Un accès libre ou contrôlé à l’internet ? Il est temps que l’Afrique se prononce, Institut d’Études de Sécurité, 2022

Auteur : Karen Allen

Organisation affiliée : ISS

Type de document : Article

Date de publication : 07 juin 2022

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  • L’Afrique doit adopter une position commune sur les coupures d’internet qui nuisent aux économies et aux démocraties

Dans quelle mesure les États africains doivent-ils chercher à contrôler Internet, son accès, sa fiabilité et ses contenus ? Le cyberespace devrait-il être considéré comme une plateforme où l’on peut s’exprimer librement ?

Alors que les gouvernements africains sont invités à s’engager davantage dans les discussions de cyberdiplomatie sur les règles à suivre concernant l’accès à Internet, ces questions fondamentales divisent fortement les élites politiques du continent. Elles nuisent également à la capacité de l’Afrique à parler d’une seule voix.

Les coupures d’accès à Internet nuisent aux économies — en 2021, elles ont coûté à l’Afrique environ 30 milliards de rands — mais elles portent également atteinte aux démocraties

Le cyberespace n’est pas seulement un enjeu économique : c’est un écosystème mondial. La liberté commerciale favorise la liberté d’expression, qui peut parfois exposer les élites politiques à la critique publique. Dans ces cas-là, la réponse de l’Afrique a trop souvent été de couper l’accès au cyberespace. Les coupures d’accès à Internet nuisent aux économies — en 2021, elles ont coûté à l’Afrique environ 30 milliards de rands — mais elles portent également atteinte aux démocraties.

 

  • L’Afrique est en mesure de faire contrepoids dans un débat largement dominé par les pays du Nord et par la Silicon Valley

Les divergences de points de vue sur la conception d’Internet ne sont pas un problème uniquement africain. Elles sont le reflet de la rivalité géopolitique entre les superpuissances mondiales. Cependant, étant donné la fragilité de nombreuses démocraties africaines, les questions d’accès au numérique, qui sont inhérentes aux droits de l’homme dans les démocraties libérales, deviennent particulièrement pressantes.

Un consensus sur un accès libre et ouvert à Internet donnerait également aux pays africains plus de poids dans les forums multilatéraux. (Il ne s’agit toutefois pas de nier le droit souverain qu’ont les États de légiférer contre les discours haineux, la désinformation et d’autres formes de cybercrimes susceptibles de déstabiliser la société.)

Certains gouvernements autoritaires considèrent Internet comme une extension de l’État et par conséquent comme un élément à contrôler. Les interruptions du réseau observées en Éthiopie, au Togo, en Guinée et en Tanzanie en sont des exemples. D’autres États plus libéraux, comme l’Afrique du Sud, le Ghana et le Kenya, considèrent Internet comme une plateforme qui permet la liberté d’expression, même si l’autorité de l’État y est parfois remise en question.

 

  • L’Afrique compte une proportion non négligeable de pays en faveur du contrôle d’Internet par l’État

Ces positions peuvent néanmoins varier. En temps de crise ou de fragilisation de la position politique d’un chef d’État ou de gouvernement, certains pays comme le Nigeria peuvent justifier la suspension de l’accès à des médias sociaux comme Twitter.

Un consensus sur un accès libre et ouvert à Internet donnerait également aux pays africains plus de poids dans les forums multilatéraux

Mais contrairement aux journaux ou aux radiodiffuseurs qui dépendent du soutien du gouvernement pour obtenir des licences d’exploitation, les outils du cyberespace appartiennent principalement au secteur privé. En outre, le recours accru aux réseaux virtuels privés en Afrique permet aux citoyens de contourner les tentatives étatiques de leur en bloquer l’accès. Par conséquent, la compétence d’accorder ou non l’accès à Internet n’est pas un monopole de l’État. Le cyberespace remet ainsi en question les dynamiques de pouvoir traditionnelles.

En 2021, le Soudan, le Tchad et l’Éthiopie figuraient parmi les pays africains où les gouvernements avaient « limité l’accès à Internet, bloqué des fournisseurs de services et procédé à des perturbations complètes du réseau ». On parle de limitation d’accès lorsqu’un fournisseur de services Internet restreint délibérément la bande passante ou la vitesse de connexion.

 

  • En l’absence d’une position commune, l’Afrique risque d’être mise sur la touche ou d’être instrumentalisée

Pourquoi une vision commune d’Internet est-elle importante pour l’Afrique ? Sans un accord sur les principes fondamentaux sur le sujet, l’Afrique ne pourra ni articuler ses priorités sur la gouvernance du cyberespace ni adopter une position commune qui lui donnerait du poids dans les principaux forums multilatéraux. En outre, cette situation limite sans doute l’accès des organisations régionales aux réseaux qui pourraient renforcer les capacités de l’Afrique dans le domaine technologique.

En l’absence de position commune, de nombreux pays africains risquent d’être mis à l’écart de la scène internationale ou d’être instrumentalisés par des élites nationales qui se servent de l’État pour exiger des fournisseurs d’accès de couper la connexion à Internet

L’adoption d’une position commune de l’Afrique est également importante, car une grande partie des technologies basées sur Internet sur lesquelles elle s’appuie ne sont pas africaines. Ces technologies sont façonnées par des normes auxquelles les citoyens africains ont peu contribué. Par exemple, le programme Smart Cities adopté par certains pays comme l’Afrique du Sud et le Kenya repose sur une technologie développée par la société chinoise Huawei.

Pourtant, en l’absence de position commune, de nombreux pays africains risquent d’être mis à l’écart de la scène internationale ou d’être instrumentalisés par des élites nationales qui se servent de l’État pour exiger des fournisseurs d’accès de couper la connexion à Internet. Il se peut également que des acteurs extérieurs souhaitent imposer certaines normes concernant la liberté d’expression et la surveillance dans le cadre d’un objectif géostratégique plus large.

Il est probablement irréaliste de penser que les 55 États africains puissent s’entendre sur leur conception d’Internet. Mais le fait de réunir des États partageant les mêmes philosophies en matière de démocratie et d’accès à l’information pourrait renforcer le capital diplomatique du continent et garantir que les priorités de l’Afrique ne sont pas ignorées.

 

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