«Si on veut lutter efficacement contre la corruption au Niger, je pense qu’il faut d’abord procéder à une autopsie du système en cours », entretien avec Sakariaou Amoussa Adam, consultant international et expert en droits humains (deuxième partie)

WATHI est allé à la rencontre de Sakariaou Amoussa Adam, consultant international et expert en droits humains. Dans cette seconde partie, il évoque la question des libertés publiques, de l’impunité et de la corruption au Niger.

 

La volonté de lutter contre la corruption est revenue dans le discours du président Mohamed Bazoum lors de son investiture le 02 avril 2021. Dans quel sens faut-il orienter les politiques publiques de lutte contre la corruption pour endiguer le phénomène ?

Effectivement le président, dans son discours d’investiture a affirmé sa volonté de vouloir lutter contre la corruption. Pour cela, je pense qu’il faut d’abord évaluer les mesures prises par le passé. Si on veut lutter efficacement contre la corruption, je pense qu’il faut d’abord procéder à une autopsie du système en cours. Par la suite, il faut dégager des orientations fortes, crédibles, préventives et répressives.

Au Niger, on a quand même la chance d’avoir une autorité qu’on appelle la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) qui est investie par la loi pour lutter contre la corruption et les infractions qui lui sont assimilées. Il faut donc qu’il y ait un renforcement du contrôle administratif pour faciliter la détection des cas de corruption et instituer des sanctions pénales fortes.

Il ne suffit pas de dire qu’un cas de corruption est détecté et que la personne soit poursuivie sans être sanctionnée pénalement pour avoir remboursé le montant en cause. Au-delà de l’aspect administratif, il faut une sanction pénale. Et il faut également associer les agences concernées dans la définition des programmes et plans d’action pertinents.

Enfin, je voudrais insister sur un point important qui est la création d’une juridiction d’exception qui aurait uniquement la charge de poursuivre et réprimer les cas de corruption. Aujourd’hui, lorsque la HALCIA prend connaissance d’un cas de corruption, elle établit un rapport qu’elle communique au Procureur de la République qui décide de l’opportunité des poursuites.

Il ne suffit pas de dire qu’un cas de corruption est détecté et que la personne soit poursuivie sans être sanctionnée pénalement pour avoir remboursé le montant en cause

Je pense qu’il faut mettre en place une juridiction d’exception qui va travailler de concert avec la HALCIA. Cette juridiction d’exception, une fois établie, aura l’obligation à tout moment d’ouvrir une instruction à chaque fois qu’elle sera saisie par un tiers.

 

Récemment dans la région de Tillabéry, des soldats africains mobilisés dans le cadre de la lutte antiterroriste ont été l’objet de plusieurs plaintes de la part des populations locales pour fait de viols. Quels sont les instruments et mécanismes qui peuvent être mobilisés pour rendre justice aux éventuelles victimes ? Comment lutter contre l’impunité ?

C’est un phénomène qui devient de plus en plus récurrent et qu’il faut fermement condamner. Je voudrais donc rappeler qu’il y a toute une panoplie d’instruments qui protègent les femmes contre ces genres de phénomènes. Lorsque vous avez des personnes qui sont censées protéger des populations et qui s’érigent elles-mêmes en persécuteurs, il y a de quoi s’offusquer. Déjà la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010 proclame en son article 11 le principe de la sacralité de la personne humaine ainsi que l’obligation pour l’État de la respecter et de la protéger contre toute forme de violence.

Dans la continuité de cette obligation étatique également, la convention des Nations Unies contre l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le protocole à la charte africaine sur les droits des femmes en Afrique imposent des obligations identiques aux États-parties en vue de protéger les femmes contre toutes les formes de violences et discriminations.

Ces instruments obligent l’État à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les femmes contre toutes les formes de violences basées sur le genre. Je voudrais également citer la quatrième Convention de Genève qui protège les populations civiles, parce qu’il faut rappeler que les faits étaient intervenus dans un contexte de guerre contre les terroristes. Cette convention de Genève dit qu’il faut impérativement, dans ces genres de situation, que les femmes et les enfants soient protégés contre toute sorte de violence.

La leçon à tirer dans le cadre du déploiement des soldats du G5 Sahel est qu’il faut renforcer la formation des troupes sur la prévention et la lutte contre les atteintes et les exploitations sexuelles, et bien évidemment sur le respect en toute circonstance des dispositions qui protègent les populations civiles

Dans le cadre de la lutte contre l’impunité de ces agissements, la Commission nationale des droits humains (CNDH) a mis en place une commission d’enquête à cet effet.  Je partage parfaitement ce que fait la CNDH. Il faut identifier les auteurs de ces actes, les traduire en justice et les sanctionner.

Il faut également penser à la question de la prise en charge des victimes directes ; celles qui ont personnellement souffert de ces agissements. Elles nécessitent un suivi médico-social et un accompagnement psychologique. Ce même soutien est nécessaire pour les époux des femmes sexuellement abusées.

La leçon à tirer dans le cadre du déploiement des soldats du G5 Sahel est qu’il faut renforcer la formation des troupes sur la prévention et la lutte contre les atteintes et les exploitations sexuelles, et bien évidemment sur le respect en toute circonstance des dispositions qui protègent les populations civiles. C’est déjà chose courante dans le cadre des Nations Unies préalablement aux opérations de maintien de la paix.

 

La particularité ici réside dans le fait que les faits sont imputables à des soldats d’un contingent étranger mobilisés. L’origine étrangère des personnes mises en cause, étant des militaires de surcroît,  ne serait-elle pas de nature à leur accorder un certain privilège de juridiction ? La voie diplomatique de règlement des différends ou l’élévation du problème au niveau international, ne devraient-elles pas être privilégiées ?

Je pense que cela ne serait pas le moyen le plus approprié. Pourquoi ? Parce que d’abord, il s’agit des infractions qui ont été commises sur le territoire nigérien. La loi normalement applicable est celle du lieu de commission de l’infraction. Ce n’est pas tout le contingent qui s’est rendu coupable de cette infraction à la loi pénale. Ce sont quelques individus. Ils doivent être sanctionnés pour que ce comportement ne fasse pas tache d’huile. C’est pourquoi il est important de privilégier la procédure pénale nationale de répression de ces actes et de réparation des dommages qui en résultent, plutôt que d’envisager les procédés diplomatiques.

 

Comment jugez-vous la situation des droits humains au Niger ? Quels sont les organismes qui interviennent dans le cadre de la protection des droits humains et quels sont les axes à améliorer ?

Il y a des actes posés dans ce sens et des organes institués à cet effet. Les organes de protection des droits humains sont de plusieurs ordres ; on retrouve entre autres des organes administratifs, juridictionnels et politiques. Les organes juridictionnels de protection comprenant les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif. Ensemble, ces juridictions garantissent la protection des droits et libertés et la protection de l’administré contre l’arbitraire de l’administration.

D’un point de vue administratif,  la Constitution nigérienne du 25 novembre 2010 a institué une Commission nationale des droits humains en tant qu’autorité administrative indépendante chargée de promouvoir et protéger les droits humains. D’un point de vue politique, les commissions d’enquête parlementaires sont des organes établis en fonction des besoins identifiés pour diligenter des enquêtes indépendantes sur des situations bien déterminées.

Mais la question de la réalisation des droits humains est très délicate car elle englobe plusieurs réalités. On a assisté ces dernières années à une restriction du champ des libertés. L’adoption de la loi sur la cybercriminalité a suscité beaucoup de suspicions quant aux vrais motifs ayant précédé son élaboration. Le défi du moment reste l’incapacité pour les citoyens nigériens de saisir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour défaut d’accomplissement de la déclaration facultative d’acceptation de la compétence de la cour bien que le Niger ait ratifié le protocole portant sa création.

On a assisté ces dernières années à une restriction du champ des libertés. L’adoption de la loi sur la cybercriminalité a suscité beaucoup de suspicions quant aux vrais motifs ayant précédé son élaboration

Le second défi majeur en ces temps d’interdiction presque systématique des manifestations sur la voie publique reste les recours administratifs contre les actes administratifs de restriction des libertés manifestement illégaux. Le plus souvent, les interdictions sont notifiées aux organisateurs le matin des vendredis pour une marche prévue le samedi ; toute chose qui ne rend pas possible la saisine du juge des référés en vue d’obtenir l’annulation de l’arrêté d’interdiction de la manifestation.

Il serait beaucoup plus pertinent que les notifications des interdictions parviennent aux organisateurs 72 heures avant au moins, pour leur permettre de saisir en urgence le juge des référés. Si au dernier moment l’administration décide d’interdire la manifestation, on pourrait requérir l’approbation obligatoire du juge. Voilà quelques propositions pour protéger davantage les libertés.

Nombreux sont les rapports d’enquête qui n’ont pas connu de traitement judiciaire adéquat ; il faut trouver des voies et moyens pour pallier cet état de fait

Enfin, on déplore l’absence de suite favorable aux rapports d’enquête ou d’établissement des faits que la Commission nationale des droits humains soumet aux autorités judiciaires après investigation. Parce que l’opportunité des suites dépend des autorités judiciaires et plus précisément du Procureur de la République. Nombreux sont les rapports d’enquête qui n’ont pas connu de traitement judiciaire adéquat ; il faut trouver des voies et moyens pour pallier cet état de fait.

L’État de droit est une construction continue. C’est un sentier toujours inachevé chez nous. C’est ce qui explique pourquoi sa conquête est à inscrire dans la durée. Mais quand même il existe une lueur d’espoir. Nous avons une jeunesse africaine beaucoup plus consciente des enjeux. C’est donc une société beaucoup plus dynamique qui voit le jour avec des exigences affirmées en faveur de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains.

Que pensez-vous du mandat de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples aujourd’hui ?

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples est l’organe investi par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples pour promouvoir et protéger les droits proclamés par ladite Charte ainsi que son interprétation au besoin. Depuis déjà trois décennies, la Commission africaine abat un travail formidable de promotion et de protection des droits humains en Afrique. Ses décisions, bien que non contraignantes, ont permis de trancher beaucoup de contentieux.

Le protocole de Ouagadougou portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a du mal à s’implémenter en raison de l’exigence de ratification et de déclaration d’acceptation de compétence. L’économie de ce formalisme permettra d’améliorer le mécanisme africain de protection des droits humains

Il faut dire aussi que la Commission africaine dispose de faibles moyens. C’est dû au fait que nos États sont très réfractaires à la charge juridictionnelle. Devant ce constat amer, l’alternative est d’instituer une cour africaine à compétence obligatoire et non facultative. Le protocole de Ouagadougou portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a du mal à s’implémenter en raison de l’exigence de ratification et de déclaration d’acceptation de compétence. L’économie de ce formalisme permettra d’améliorer le mécanisme africain de protection des droits humains.

 

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