Rapport sur la situation des droits des femmes dans les lieux de détention au Sénégal, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 2015

Auteur : West Africa OHCHR

Organisation affiliée : OHCHR

Date de publication : Mars 2015

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Le Sénégal a souscrit à la plupart des instruments internationaux et régionaux relatifs à la protection des droits de l’homme en général, et des droits des femmes et des enfants en particulier. Cependant, le cadre juridique national reste en deçà des standards internationaux, surtout en ce qui concerne la protection et le respect des droits des femmes dans les lieux de privation de liberté.

De plus, afin de mieux orienter l’action des États en matière de protection des droits humains des personnes détenues, un ensemble de règles minima internationales pour le traitement des détenus a été adopté. Et, en vue de répondre à la situation spécifique des femmes détenues, des règles supplémentaires, dites « Règles de Bangkok », ont été adoptées.

En dépit des conventions internationales et régionales auxquelles il a adhéré, l’État du Sénégal n’a pas encore un cadre législatif et règlementaire assurant aux détenus de chaque sexe des conditions de détention conformes aux engagements souscrits. Seuls deux établissements pénitentiaires sont exclusivement réservés aux femmes au Sénégal : la maison d’arrêt des femmes de Liberté VI et la maison d’arrêt des femmes de Rufisque, toutes deux situées dans la région de Dakar. Les 11 autres accueillent des hommes et des femmes.

Analyse des causes de détention des femmes

Les discriminations qui mènent les femmes en prison ne sont pas seulement d’ordre culturel, elles sont également contenues dans des lois, y compris le code pénal. Les infractions à l’origine de la détention relevées lors des visites des cinq établissements pénitentiaires révèlent qu’après le trafic de stupéfiants (31%), l’infanticide est la principale cause d’incarcération des femmes (16%).

Au moment des visites, 3% des femmes étaient en détention pour cause de délit d’avortement. Le crime d’infanticide est souvent la conséquence de situations de discrimination ou de violence préexistantes, notamment de grossesses issues d’actes de violences sexuelles (viols, incestes ou pédophilie). L’ampleur des condamnations pour infanticide s’explique également en partie par l’interdiction absolue de l’interruption volontaire de grossesse, dont la pénalisation peut aller jusqu’à cinq ans de prison ferme.

A ce titre, l’infanticide devient un chef d’inculpation récurrent et son ampleur est en directe corrélation avec l’impossibilité dans laquelle se trouvent les femmes et les filles pauvres d’avoir accès à un avortement. Cette situation touche essentiellement les femmes les plus pauvres qui voient souvent l’infanticide comme la solution ultime, n’ayant pas les moyens financiers de recourir à l’avortement clandestin.

L’ampleur des condamnations pour infanticide s’explique également en partie par l’interdiction absolue de l’interruption volontaire de grossesse, dont la pénalisation peut aller jusqu’à cinq ans de prison ferme. A ce titre, l’infanticide devient un chef d’inculpation récurrent et son ampleur est en directe corrélation avec l’impossibilité dans laquelle se trouvent les femmes et les filles pauvres d’avoir accès à un avortement

La prostitution constitue une autre infraction découlant du fait d’être de sexe féminin. En effet, les stéréotypes de genre présents dans la société font des femmes qui se livrent à la prostitution des délinquantes potentielles. La prostitution, qui est légale au Sénégal, devient délit et passible d’emprisonnement dès lors qu’une travailleuse du sexe n’est pas détentrice d’un carnet de santé ou n’est pas enregistrée au registre administratif. La mise en œuvre de cette mesure contribue à incriminer exclusivement les femmes.

Le Code pénal réprime la culture, l’usage, le transport et la distribution des produits stupéfiants. Les consultations ont révélé que 42% des femmes détenues pour trafic de drogues sont d’origine étrangère, et qu’elles ont en général été interpellées durant le transport de produits stupéfiants. Certaines ont indiquées avoir été impliquées par leur conjoint et d’autres affirment n’avoir pas été informées du contenu du colis transporté. Cette situation pourrait s’expliquer par la féminisation de la pauvreté associée au manque d’instruction, qui expose de plus en plus les femmes à la merci des trafiquants qui les utilisent sans qu’elles ne soient toujours conscientes des risques encourus.

Situation des femmes détenues : état des lieux

Dans la mesure où plus de 96 % de la population carcérale est masculine, les politiques nationales et processus applicables au système carcéral ne répondent pas nécessairement aux besoins spécifiques des femmes. Ainsi, la détention des femmes, qui n’est pas en soi discriminatoire, peut avoir un impact discriminant en raison de l’absence de mesures prenant en compte leurs besoins spécifiques.

Plus du tiers des femmes détenues dans les établissements pénitentiaires du Sénégal le sont pour des délits mineurs et non violents. Leur niveau d’instruction peu élevé et l’insuffisance de ressources financières pour recourir aux services d’un avocat affectent le bon déroulement de leur procédure judiciaire. La situation est particulièrement préoccupante pour les femmes détenues dans les MAC se trouvant en dehors de Dakar. Dans les MAC de Thiès, Kaolack et Tambacounda, 21% des détenues interrogées bénéficiant de l’assistance d’un avocat commis d’office ont déploré leur manque de diligence et le fait de ne pas recevoir leurs visites. A la MAC de Kaolack par exemple, le directeur a confirmé que certains avocats commis par les familles disparaissent après avoir reçu leurs honoraires.

Outre les maladies communes, la majorité souffre de maux spécifiques à leur sexe que seule la mise à disposition de spécialistes permettrait de soigner. Il s’agit en particulier d’affections d’ordre gynécologique, y compris des infections urinaires, de cancers de l’utérus et des fibromes

Les établissements pénitentiaires du Sénégal datent pour la plupart de l’époque coloniale et peu ont été rénovés. Ils se caractérisent par une grande vétusté qui n’est pas sans conséquence sur le respect des droits basiques et la dignité des personnes détenues ; la capacité d’accueil des locaux est généralement réduite, alors que la population a crû. En outre, en dépit de la présence des moustiques, qui sont la cause de paludisme, les moustiquaires étaient également en nombre largement insuffisant. Sur 152 femmes détenues interrogées, moins de la moitié avait une moustiquaire, 16% possédaient un matelas. Les femmes en détention sont aussi confrontées à de sérieux problèmes d’hygiène, exacerbés par la promiscuité et des infrastructures sanitaires insuffisantes et inadéquates.

En raison des mauvaises conditions sanitaires, l’état de santé des détenues est globalement déplorable. Outre les maladies communes, la majorité souffre de maux spécifiques à leur sexe que seule la mise à disposition de spécialistes permettrait de soigner. Il s’agit en particulier d’affections d’ordre gynécologique, y compris des infections urinaires, de cancers de l’utérus et des fibromes.

Conclusions et recommandations

Le diagnostic du système carcéral féminin révèle que les femmes font face à de nombreuses difficultés d’ordre matériel et juridique dans le système pénitentiaire sénégalais. Les femmes sont particulièrement affectées par la détention, d’une part parce qu’elles sont dans une grande précarité ou victimes de violences ou d’exploitation, et d’autre part en raison de l’absence d’éducation. L’existence de dispositions discriminatoires, en particulier en matière de santé sexuelle et reproductive, et la criminalisation de l’avortement accroît également le risque d’incarcération des femmes.

Pour réduire les motifs d’inculpation discriminatoires et attentatoires aux droits des femmes, il est nécessaire d’harmoniser la législation sénégalaise avec les engagements internationaux et régionaux de l’État du Sénégal

Les recommandations du rapport sont adressées aux responsables du système judiciaire et pénitentiaire sénégalais. Certaines peuvent être mises en application immédiatement ou à court terme. Elles devraient retenir l’attention de la communauté internationale dont l’assistance est nécessaire pour réaliser l’indispensable réhabilitation de la justice pénale et du système pénitentiaire sénégalais.

En outre, pour réduire les motifs d’inculpation discriminatoires et attentatoires aux droits des femmes, il est nécessaire d’harmoniser la législation sénégalaise avec les engagements internationaux et régionaux de l’État du Sénégal. Il faut ensuite considérer que, pour la réinsertion de la personne incarcérée et la protection de la société dans son ensemble, les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté doivent être améliorées. Enfin, la détention doit être l’exception et des mesures alternatives à la détention la règle, surtout quand il s’agit de femmes, de surcroît enceintes, allaitantes ou mères de jeunes enfants.

La détention doit être l’exception et des mesures alternatives à la détention la règle, surtout quand il s’agit de femmes, de surcroît enceintes, allaitantes ou mères de jeunes enfants

Les recommandations ci-dessous sont adressées aux acteurs suivants : les parlementaires, le Ministère de la Justice à travers l’administration pénitentiaire, le Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, le service médical des prisons, l’Observateur national des lieux de privation de liberté, le Comité sénégalais des droits de l’homme, le Ministère de la santé et de l’action sociale :

  • Réviser les infractions basées sur des stéréotypes de genre discriminant les femmes
  • Fixer un délai limite à la durée de la détention préventive
  • Prévoir des peines de substitution à l’incarcération pour les femmes
  • Humaniser les lieux de privation de liberté
  • Développer des actions de prévention

 

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