Auteur : Rachad Bani Samari
Organisation affiliée : Media Foundation for West Africa
Type de publication : Article
Date de publication : Juin 2021
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Le Bénin a été l’une des démocraties stables de la région de l’Afrique de l’Ouest connue pour ses records en matière de liberté d’expression, de liberté de la presse et de droits numériques. Cependant, ces dernières années, le pays a connu une aggravation de la sécurité des journalistes et des violations de la liberté d’expression. Ces violations sont soulignées par l’adoption de nouvelles lois répressives.
« La peur d’aller en prison est désormais une arme mortelle utilisée par les agents publics pour museler la presse », a déploré Ignace Soussou, un journaliste d’investigation béninois de 32 ans, interrogé sur la situation de la liberté de la presse dans le pays. Il se tend, un peu mal à l’aise et essaie de sourire. Soussou a été victime de peines de prison utilisées pour réduire au silence des journalistes critiques. Aux premières heures du vendredi 20 décembre 2019, vers 5 heures du matin, Ignace Soussou et sa famille ont été brutalement réveillés du sommeil suite à une rafale de coups à leur porte. Il s’agissait d’un groupe de policiers armés et de responsables de la lutte contre la cybercriminalité. Ils étaient venus arrêter Ignace pour avoir tweeté des propos tenus par le procureur général du Bénin lors d’une conférence organisée par l’agence française de développement des médias CFI. « J’ai fait ce que font tous les journalistes ; publier des informations qu’ils jugent essentielles pour la population », a expliqué Ignace. Le procureur de la République a toutefois contesté que ses propos aient été sortis de leur contexte.
Alors qu’Ignace était traîné sans mandat d’arrêt dans les quartiers de l’Office central de répression de la cybercriminalité (OCRC), sa fille de cinq ans regardait et gémissait de manière incontrôlable, perçant le calme du petit matin, tandis que sa femme se penchait à la porte, confus, ses yeux trempés de larmes. Le traitement autoritaire d’Ignace Soussou, qui a ensuite été condamné à 18 mois de prison pour « harcèlement par voie de communication électronique », est désormais devenu une norme pour les journalistes, blogueurs et militants en ligne en République du Bénin, longtemps présentés comme un phare démocratique et une étoile brillante pour la liberté de la presse en Afrique.
En 1991, le Bénin est devenu le premier pays ouest-africain sous dictature militaire à revenir à une gouvernance démocratique après que les Béninois ont rejeté le général Mathieu Kérékou qui avait pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 1972 et avait dirigé le pays pendant 18 ans. L’élection de 1991 a marqué la première fois qu’un président militaire sortant était élu pacifiquement dans un pays d’Afrique de l’Ouest.
- Une Liberté pleine de pièges – Un nouveau code numérique
Le Bénin compte 12 millions d’habitants et 6.499.553 millions d’ internautes. Avec l’utilisation croissante des médias sociaux, le gouvernement a jugé nécessaire de réglementer l’espace en ligne. Ainsi, en 2018, le parlement a adopté un code numérique. L’un des principaux problèmes abordés par le code est le harcèlement en ligne et la publication de fausses informations. Dans son article 550 sur le harcèlement au moyen de communications électroniques, il est stipulé « quiconque initie une communication en ligne pour contraindre, intimider, harceler ou créer une détresse émotionnelle chez une personne, au moyen d’un système informatique pour encourager, et reproduire une dangereuse et comportement hostile est passible d’un emprisonnement d’un (1) mois à deux (2) ans ou d’une amende de cinq cent mille (500 000) à dix millions (10 000 000) de francs CFA, ou les deux ».
Sur la base de l’article ci-dessus qui traite également de la publication de fake news dans ses deuxième et troisième paragraphes, au moins 17 journalistes, blogueurs et cyberactivistes, dont Ignace Sossou, ont été arrêtés et poursuivis en moins de deux ans.
Le code numérique est d’autant plus dangereux pour la liberté d’expression qu’il s’applique également aux citoyens qui sont impliqués ou qui s’engagent avec du matériel en ligne jugé faux
L’arrestation la plus récente a eu lieu en janvier 2021 lorsque Jean Kpoton, un militant de la bonne gouvernance a été arrêté dans le style de la Gestapo par une escouade de policiers, et condamné à douze mois de prison pour avoir commenté un article alléguant que la voiture utilisée par le président, M. Patrice Talon, pour sa tournée de reddition de comptes à travers le pays en 2020 a été loué à 6 millions de FCFA par jour. L’arrestation de Kpoton montre que le code numérique s’applique non seulement aux journalistes, mais aussi aux citoyens. « Le code numérique est d’autant plus dangereux pour la liberté d’expression qu’il s’applique également aux citoyens qui sont impliqués ou qui s’engagent avec du matériel en ligne jugé faux », explique Guy Constant.
La chaîne du désastre pour la liberté d’expression et de la presse dans le pays est encore aggravée par le paysage économique difficile dans lequel évoluent les médias
Le Bénin est entré dans l’histoire en 2015 après l’adoption d’un code de l’information et de la communication . Bien que le code représente une réalisation majeure pour la liberté de la presse dans le pays car il inclut le droit d’accéder à l’information et décrit un processus facile pour la création d’un média, il prescrit une peine de prison pour la publication de Fake News dans son article 266. Bien que la publication de fausses informations soit une infraction pénale en vertu du code de l’information, elle n’avait auparavant pas été utilisée contre les médias, selon des experts du pays. Depuis 2018, cependant, l’utilisation gratuite du code numérique pour réprimer la liberté d’expression en ligne dans le pays est alarmante.
La chaîne du désastre pour la liberté d’expression et de la presse dans le pays est encore aggravée par le paysage économique difficile dans lequel évoluent les médias.
- Un média étranglé financièrement
Trente ans après le « printemps des médias au Bénin, la pérennité financière reste un test sévère pour les médias privés. La plupart des organisations médiatiques du pays dépendent des contrats de communication et de publicité du gouvernement pour rester à flot. Depuis les années 90 jusqu’à une époque récente, 80% des médias tirent 80% de leurs revenus du gouvernement. Avec un secteur privé relativement restreint, les publicités du secteur des entreprises sont peu nombreuses et la plupart d’entre elles sont dirigées vers les médias publics, au détriment des médias privés.
En 1997, l’État a adopté une politique de soutien aux médias consistant à injecter des fonds annuels pour soutenir les médias. Dans les années 90, le fonds était estimé à 300 millions de francs CFA, cependant, à mesure que le nombre de maisons de presse augmentait, le montant a été revu à 350 millions de francs CFA. Au fil des ans, le fonds a aidé les médias à survivre à un environnement économique difficile et a été utilisé comme un outil pour améliorer le professionnalisme des médias. Cependant, depuis l’avènement d’un nouveau gouvernement en 2016, les médias privés ont vu leurs revenus de l’État s’amenuiser progressivement. Tous les contrats publicitaires du gouvernement et le fonds de soutien aux médias ont été suspendus en 2016. Ce n’est qu’en 2018 qu’une partie du fonds a été débloquée, mais, depuis lors, les médias privés ont dû lutter.
Depuis l’avènement d’un nouveau gouvernement en 2016, les médias privés ont vu leurs revenus de l’État s’amenuiser progressivement. Tous les contrats publicitaires du gouvernement et le fonds de soutien aux médias ont été suspendus en 2016
En raison de leur vulnérabilité financière, les médias du pays sont perçus comme étant la proie de la « capture politique » par le régime, car le gouvernement a des contrats bilatéraux avec des médias spécifiques, qui à leur tour se sentent redevables et réticents à critiquer ses actions, ainsi, sapant leur rôle de chien de garde. Cela est devenu encore plus évident lors de l’élection présidentielle d’avril 2021 lorsque les médias habituellement dynamiques, connus pour organiser des débats entre les partis, se sont tus. La faible pérennité financière des médias menace l’existence même de médias crédibles car certains propriétaires sacrifient leur indépendance éditoriale sur l’autel de l’accès aux fonds pour survivre. Selon Reporters sans frontières , depuis l’élection du président Patrice Talon, des directives de reportage pro-gouvernementales sont transmises à la presse à l’issue des réunions du cabinet. Cela constitue une grave menace pour la liberté éditoriale des médias.
La faible pérennité financière des médias menace l’existence même de médias crédibles car certains propriétaires sacrifient leur indépendance éditoriale sur l’autel de l’accès aux fonds pour survivre
Le contexte actuel au Bénin menace la liberté d’expression et de la presse, et appelle à des solutions urgentes à plusieurs volets de la part des parties prenantes pour inverser la tendance vers un retour à une industrie des médias résiliente, responsable et professionnelle œuvrant pour la promotion du développement. Il est donc indispensable pour :
Le gouvernement à :
- Réviser le code numérique et abroger l’article 550 et tous les autres articles répressifs de la liberté d’expression et de la presse ;
- Faire usage du droit de réponse ou de réplique dans les publications médiatiques où il y a des erreurs, et traiter les délits de presse comme des affaires civiles ;
- Collaborer avec l’association des propriétaires de médias CNPA et ODEM pour rétablir le fonds de soutien aux médias et accorder des allégements fiscaux aux médias.
Journalistes à :
- Respecter résolument le code de déontologie des médias et s’abstenir de tout reportage biaisé,
- Vérifier les rapports avant les publications et s’abstenir de la culture scoop,
- Obtenez une bonne compréhension des lois qui régissent leur profession.
Les propriétaires de médias et les associations à :
- Initier des engagements avec le gouvernement pour discuter de la révision des lois considérées comme répressives à la liberté d’expression et de la presse ;
- Éduquer les journalistes sur les législations en vigueur réglementant les médias et assurer le professionnalisme dans les publications ;
- Plaider pour l’instauration du fonds de soutien aux médias ;
- Explorez des modèles innovants de génération de revenus pour assurer la durabilité à long terme.
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