Les organisations régionales et l’instabilité politique en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, Institut d’études internationales de Montréal, 2022

Auteurs : Habibou Bako et Mike Jabbins

Organisation affiliée :  Institut d’études internationales de Montréal

Type de publication : Article

Date de publication : Février 2022 

Lien vers le document original


Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Les récentes prises de pouvoir par les militaires en Guinée, au Mali et au Tchad nourrissent la crainte d’une nouvelle ère de retour aux coups d’État en Afrique. En effet, en Guinée, le président Alpha Condé a été renversé moins d’une année après son investiture pour un troisième mandat décrié par une grande partie de la population guinéenne et par de nombreux acteurs régionaux. Au Mali, l’armée est intervenue deux fois pour déposer des chefs d’État depuis août 2020. Au Tchad, l’armée a pris le pouvoir après la mort du président Idriss Deby Itno. Ces faits, non exhaustifs, montrent un retour du militaire sur la scène politique africaine et alimentent le débat sur les changements non constitutionnels des institutions.

Ces incertitudes politiques regagnent du terrain même si des instruments juridiques régionaux et continentaux sont censés les prévenir en Afrique.

  • Entre idéalisme normatif et réalisme politique

La prévention des coups d’État et de l’instabilité politique – qui sont perçus comme des facteurs fragilisant la paix et la sécurité en Afrique – a été progressivement intégrée dans certains dispositifs régionaux et continentaux.

L’ambition des textes au niveau régional et continental est confrontée à des dynamiques internes plus complexes. L’insécurité grandissante, le climat politique volatile et les défis sociétaux semblent guider le choix politique au détriment des instruments juridiques régionaux et continentaux

Cependant, dans la plupart des pays ouest-africains, l’instabilité politique a entraîné des crises sécuritaires sans précédent. Le Mali est dans un cycle de crises politico-sécuritaires qui illustre bien cette tendance. Le Tchad n’est pas encore sorti d’une spirale de rébellion dont l’un des faits récents est la mort de l’ancien président en combattant le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT).

L’ambition des textes au niveau régional et continental est confrontée à des dynamiques internes plus complexes. L’insécurité grandissante, le climat politique volatile et les défis sociétaux semblent guider le choix politique au détriment des instruments juridiques régionaux et continentaux. Les contestations postélectorales sont généralement révélatrices d’un processus qui n’a pas fait l’objet d’un débat de fond suffisant.

Ce décalage entre les défis internes à certains États et les principes de gouvernance au niveau régional et continental a régulièrement conduit à des réponses réactives et à des problèmes plus profonds. La CEDEAO a d’ailleurs récemment suspendu le Mali et la Guinée.

Cependant, ces sanctions devraient être accompagnées de débats politiques francs et inclusifs et à tous les niveaux sur des questions de gouvernance politique incluant la limitation du nombre de mandats présidentiels et sur le plan social autour des questions sécuritaires, de la justice sociale, etc.

  • Les organisations régionales : entre réponses réactives et perte de confiance des citoyens

Au Sahel, une bonne partie de la société civile considère la CEDEAO comme « le club de chefs d’État » ou encore « le syndicat des chefs d’État » favorisant les intérêts de ceux-ci au détriment de celui des populations des États membres de l’organisation régionale. Même si cette perception ne fait pas l’unanimité, elle écorche considérablement l’image de l’institution et démontre le besoin croissant des citoyens en termes de redevabilité y compris au niveau des instances régionales.

L’incapacité de la CEDEAO à empêcher ces troisièmes mandats a également contribué à la perte de confiance de la CEDEAO aux yeux des citoyens

Ce narratif peut facilement être utilisé comme capital politique, notamment par les auteurs des coups d’État, pour prendre des décisions stratégiques opportunistes. Les autorités de la transition guinéenne ont récemment considéré la nomination d’un envoyé spécial de la CEDEAO en Guinée « ni opportune ni urgente dans la mesure où aucune crise interne de nature à compromettre le cours normal de la transition n’est observée ». Les autorités de transition maliennes ont, quant à elles, expulsé le représentant de la CEDEAO au Mali. Cette décision a par ailleurs bénéficié du soutien de l’opinion publique malienne.

Le scepticisme à l’endroit des organisations régionales, y compris au niveau continental, s’explique par plusieurs raisons. D’abord, elles n’ont pas pu soutenir les États dans leur effort pour éradiquer l’insécurité grandissante. Ensuite, sur le plan politique, les troisièmes mandats notamment en Côte d’Ivoire et en Guinée, ont révélé à de nombreux observateurs l’incapacité de ces organisations à anticiper l’instabilité politique empêche que des sujets de fond, comme le développement, soient débattus lors des campagnes électorales. De nombreux analystes estiment que l’exercice de troisièmes mandats alimente les crises et décrédibilise la classe politique africaine. L’incapacité de la CEDEAO à empêcher ces troisièmes mandats a également contribué à la perte de confiance de la CEDEAO aux yeux des citoyens. 

  • La CEDEAO et l’UA doivent renouer la confiance avec les populations

La CEDEAO et l’Union africaine ont de plus en plus du mal à prendre des décisions applicables de façon effective sur le terrain. Elles semblent mises devant les faits accomplis. Pour que les principes démocratiques régionaux et continentaux soient respectés par tous les États membres, des débats francs et à tous les niveaux sont nécessaires.

La CEDEAO et l’UA doivent avant tout se positionner comme une alternative crédible pour les populations, une sorte d’avant-garde des dérives politiques comme le troisième mandat ou encore la sécurité et le développement, et l’intégration

Il faudrait s’attaquer de façon pragmatique aux questions liées à la gouvernance en impliquant les citoyens à tous les paliers. La question de la limitation des mandats polarise par exemple l’arène politique et empêche que des sujets de fond, comme le développement, soient débattus lors des campagnes électorales.

La CEDEAO et l’UA doivent sortir du registre de sanctions systématiques et prioriser des cadres de prévention efficaces. Cela repose sur une meilleure gouvernance, notamment en ce qui concerne l’accès aux services sociaux et à la justice. La CEDEAO et l’UA doivent avant tout se positionner comme une alternative crédible pour les populations, une sorte d’avant-garde des dérives politiques comme le troisième mandat ou encore la sécurité et le développement, et l’intégration.

Par ailleurs, il est important que la CEDEAO et l’Union africaine investissent davantage dans la prévision des crises politiques en tirant les leçons d’une décennie de crise politico-sécuritaire au Sahel. La perte de confiance vis-à-vis du gouvernement d’Amadou Toumani Touré a largement favorisé l’intervention de l’armée au Mali en 2012, tout comme contre Ibrahim Boubacar Keita en 2020. Aujourd’hui encore, les séries d’attaques au Burkina Faso et au Niger, auxquelles s’ajoute une contestation croissante contre la présence militaire étrangère au Sahel, risquent de briser la confiance entre la population et les décideurs politiques. C’est pourquoi il importe de maintenir un climat favorable à un dialogue autour d’un terrain d’entente plutôt que de persister dans des sanctions hâtives qui pourraient accélérer cette rupture de confiance.

Commenter