Les mouvements citoyens se distinguent des partis politiques classiques du fait de l’échec de ces derniers à asseoir la démocratie dans notre pays, entretien avec Nassirou Bodo, membre du directoire du Mouvement politique indépendant « Tous pour la République » au Niger, (deuxième partie)

WATHI est allé à la rencontre de Nassirou Bodo, membre du directoire du Mouvement politique indépendant « Tous pour la République » au Niger. Dans cette première partie de l’entretien, il évoque la question de l’État de droit au Niger, sa lecture de la dernière élection présidentielle et les actions prioritaires du nouveau président.

Biographie 

Nassirou Bodo est juriste publiciste de formation. Il a fréquenté la Faculté des Sciences économiques et juridiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Pendant ses années universitaires, il a été militant actif de l’Union des étudiants nigériens à l’Université de Niamey (UENUN).  Ancien militant de la société civile, il milite au sein du Mouvement  politique indépendant  » Tous Pour La République TPLR – Al Qibla  ». Aux dernières élections générales au Niger, il a été candidat aux élections législatives.

Ces dernières années au Niger, nous avons vu apparaître sur la scène politique des mouvements citoyens, en quoi se distinguent-ils des partis politiques classiques ?

Les mouvements citoyens se distinguent des partis politiques classiques du fait de l’échec de ces derniers à asseoir la démocratie dans notre pays ; une démocratie dont leur existence était pourtant tributaire. Il faut rappeler que ces partis politiques sont nés avec l’ouverture démocratique des années 1990 au Niger.

Ensuite, les mouvements citoyens se distinguent des partis politiques classiques parce qu’ils sont similaires à des organisations comme les syndicats professionnels, scolaires et estudiantins qui avaient bataillé pour l’avènement de la démocratie au Niger dans les années 1990-1991.

Les partis politiques avaient profité de ce combat pour naître et émerger comme acteurs de premier plan de la vie politique de notre pays. Les mouvements citoyens qui émergent aujourd’hui ont pour objectif de restaurer la démocratie, un retour à sa substance dont elle est vidée par les pratiques des partis politiques classiques. Il se distinguent de ces derniers en ce sens qu’ils se soucient véritablement de la démocratie.

C’est à croire que les partis politiques nés de l’ouverture démocratique n’avaient jamais cru à ce qui a été à l’origine de leur naissance, la démocratie. Pour eux, celle-ci n’était qu’un label, un simple slogan de lutte pour l’atteinte d’autres objectifs et intérêts qui s’opposent à la démocratie elle-même et à sa substance réelle ; ce qui est tout à fait contraire aux réclamations des mouvements citoyens naissant ces dernières années.

Les mouvements citoyens qui participent aux élections peuvent jouer un rôle éminemment important ne serait-ce que dans le cadre de la formation citoyenne avec leurs méthodes originales et non corruptives de mobilisation de proximité, de campagnes axées sur des arguments, des idées et des projets qui intéressent les populations et touchent directement leur quotidien.

Comment appréciez-vous l’implication des jeunes à l’occasion des élections locales et législatives ? Est-ce l’annonce d’une nouvelle ère d’une implication dans la gestion des affaires publiques ?

Ne soyons pas naïfs. L’implication apparente des jeunes aux élections locales et législatives n’inaugure pas forcément une nouvelle ère dans la gestion des affaires publiques ; surtout l’implication des jeunes issus des partis politiques classiques. Très souvent, ils sont impliqués juste en complément de liste puisqu’il faut une liste légalement constituée et complète.

Souvent, les jeunes sont simplement utilisés comme des « mascottes » afin de capter l’électorat. Une fois les sièges obtenus, on ne les désigne jamais pour les occuper à l’Assemblée nationale ou au sein des organes exécutifs des mairies. Cette fausse implication permet aussi de leur donner l’impression qu’ils sont considérés et qu’ils sont acteurs.

Les mouvements citoyens qui participent aux élections peuvent jouer un rôle éminemment important ne serait-ce que dans le cadre de la formation citoyenne avec leurs méthodes originales et non corruptives de mobilisation de proximité, de campagnes axées sur des arguments, des idées et des projets qui intéressent les populations et touchent directement leur quotidien

Au cas où ces jeunes parviennent à être désignés par les partis pour occuper les sièges obtenus à l’issue des élections, ils seraient sous ordre de leurs aînés. Ce qui a fini par vider la démocratie représentative de sa substance car le peuple n’est plus représenté, les intérêts du parti oui.

Aussi, les jeunes moulés par et dans les partis politiques classiques, sont hélas porteurs des mêmes tares et travers, des mêmes visions rétrogrades de la politique ainsi que des mêmes pratiques politiques. Il ne faut pas se bercer dans sa mappemonde pour refuser la réalité qui ne promeut aucune alternative et ne laisse aucun espoir.

A côté de ces jeunes, il y’en a d’autres qui sont véritablement des acteurs, des jeunes décomplexés et ambitieux pour le pays. Ils tentent de se réunir, de se rassembler pour construire quelque chose en dehors des partis politiques classiques et comme alternative crédible à ces derniers.

Ils ont cependant quelque chose en commun, ils sont fatigués d’être toujours à la remorque et d’être de simples spectateurs. Il y’en a qui sont mêmes dégoûtés de la conduite du pays et de la pratique politique dont les partis classiques sont les responsables depuis maintenant trente (30) ans sans pouvoir faire avancer le pays sur le sentier du développement.

Des mouvements de contestation dans les rues se sont déclenchés juste après la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle au soir du 22 février 2021, à votre avis quelle leçon doit être tirée de cet état de fait pour consolider l’unité nationale qui a été éprouvée ?

La leçon à tirer de ces élections est qu’il nous faut revenir à la démocratie, à la justice sociale et à la bonne gouvernance. En effet, nous devons tous comprendre que l’État de droit est la solution pour une coexistence pacifique, pour un vivre-ensemble paisible.

Les gouvernants doivent savoir que le déni de justice et de droit, les injustices, même avec l’assurance du pouvoir et de la force publique, ne peuvent que conduire à des situations conflictuelles. Des situations de troubles aux conséquences non souhaitables peuvent toucher tout le monde gouvernants comme gouvernés.

Nous devons tous nous résoudre à respecter scrupuleusement le contrat social afin de préserver notre nation, de retrouver la paix qui l’a toujours caractérisée, et permettre à notre communauté nationale de gagner le pari du progrès partagé entre toutes ses composantes.

Vous êtes politiquement engagé dans un mouvement citoyen, vous avez été candidat aux élections législatives, quelle analyse faites-vous de la participation de candidats issus des mouvements citoyens dans des élections marquées par la présence dominante des candidats des partis politiques classiques ?

Notre candidature aux élections législatives s’inscrit dans la droite ligne des objectifs d’un mouvement auquel j’appartiens, le Mouvement tous pour la République (TPLR AL-QIBLA). Ce mouvement est un rassemblement de jeunes et de moins jeunes nigériens qui ont pour ambition de construire autour de certaines valeurs et de certains idéaux notamment républicains, un nouveau projet politique, une nouvelle alternative à la « prison » des partis politiques classiques, un nouveau type de leadership horizontal et collectif.

Les gouvernants doivent savoir que le déni de justice et de droit, les injustices, même avec l’assurance du pouvoir et de la force publique, ne peuvent que conduire à des situations conflictuelles

Ce mouvement n’a pas pour prétention de refaire le Niger, de refaire l’histoire. Il a cependant pour ambition de ramener le Niger dans son choix d’être une République démocratique et sociale. C’est un choix dont les acteurs des partis politiques classiques se sont détournés au détriment du peuple.

Pour cela, ce mouvement nous a montré le chemin du courage et de la résistance à la corruption presque généralisée de notre société. Notre candidature, nous l’apprécions comme un refus de la résignation, comme un message d’espoir et d’espérance face aux sirènes des pessimistes et des fatalistes qui nous appellent à un réalisme-fataliste, à un abandon de notre rêve de voir un Niger nouveau et un renoncement à notre devoir de nous battre pour la réalisation de ce rêve.

En allant à ces élections, nous avons montré aux jeunes que c’est bien possible. C’est avec la conviction, l’audace et l’endurance dans l’engagement que nous réussirons à bâtir le Niger de nos rêves. Les mouvements citoyens qui participent aux élections peuvent jouer un rôle éminemment important ne serait-ce que dans le cadre de la formation citoyenne avec leurs méthodes originales et non corruptives de mobilisation de proximité, de campagne accès sur des arguments, des idées et des projets qui intéressent les populations et touchent directement leur quotidien.

Il est certes vrai que les partis classiques dominent la scène politique, et cela est le fruit de trois décennies de travail d’implantation mais aussi d’exploitation de l’ignorance des populations par les moyens de la corruption matérielle et de l’endoctrinement sur des bases éthno-régionalistes. Mais, ces méthodes de corruption et d’endoctrinement qui font la force des partis classiques constituent en même temps leur faiblesse.

La première action de ce genre de mouvements consiste à sensibiliser largement les populations sur les questions de citoyenneté, des droits et des devoirs, de redevabilité des élus à l’égard des citoyens qui leur ont accordé leur voix, du sens du vote et du mandat, de possibilités pour chaque citoyen de devenir acteur du destin de sa communauté. De ces séances de sensibilisation sous forme d’échanges interactifs, sont construits des projets dont les populations sont en partie auteurs et auxquels elles adhèrent naturellement.

Plus les populations comprennent, plus l’influence des partis politiques qui ne les ont jamais considérées, diminue. C’est ainsi, qu’ensemble avec les populations, ces mouvements peuvent arriver un jour, à prendre leur place sur la scène et marquer positivement leur présence au profit du peuple.

La première action de ce genre de mouvements consiste à sensibiliser largement les populations sur les questions de citoyenneté, des droits et des devoirs, de redevabilité des élus à l’égard des citoyens qui leur ont accordé leur voix, du sens du vote et du mandat, de possibilités pour chaque citoyen de devenir acteur du destin de sa communauté

C’est un travail de longue haleine, de persévérance, de convictions sincères. Pour ce faire, ces mouvements doivent fédérer leurs forces, s’organiser pour constituer une alternative à l’échec des partis politiques classiques, car dispersés, ils y arriveront difficilement.

 

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