Auteur : Mamadou Guissé
Organisation affiliée : REMASJUPE
Date de publication : Janvier 2016
Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
La privation de la liberté doit être une exception pour ne pas heurter la logique de la présomption d’innocence. Elle ne doit être autorisée que contre une personne qui fait l’objet de suspicion dans le cadre d’un procès pénal. Le caractère exceptionnel de la privation de liberté a pour conséquence pour la personne poursuivie, le droit d’être jugée dans un délai raisonnable. L’arrestation ainsi que la mise à disposition de la justice du suspect ne sera pas légale sans une motivation soutenue et validée par l’effet d’un contrôle exercé par le juge.
L’obligation de motivation constitue une garantie contre l’erreur et l’arbitraire. Elle vaut pour tous les cas de privation autorisés par la loi ; qu’elle intervienne au stade policier de la procédure pénale (garde à vue) ou judiciaire (détention provisoire). Au Mali, les autorités de police ou de la gendarmerie peuvent décider de garder à leur disposition pendant un certain temps les personnes pouvant les intéresser au cours d’une enquête.
La garde à vue est définie comme la mesure par laquelle l’officier de police judiciaire maintient à sa disposition des personnes qui ne sont pas inculpées et ne font pas l’objet d’un titre de détention. Dans un tel cas, le suspect a le droit de se faire assister à sa diligence d’un ou plusieurs avocats de son choix. Le suspect qui n’est pas assisté d’un conseil, ne peut prendre connaissance du dossier concernant l’enquête. Le législateur malien n’a prévu aucune disposition légale obligeant les policiers à avertir le suspect de son droit au silence.
Au Mali, on tend à conférer à la liberté un caractère exceptionnel et à faire de la mesure privative de la liberté la règle absolue
Outre la garde à vue, la personne peut être soumise à d’autres mesures privatives de liberté. Lorsque le suspect fait l’objet de poursuites, le procureur de la République ou le juge d’instruction peut vouloir le placer en détention provisoire. Il peut en être ainsi quand il ne peut être jugé sur le champ, compte tenu de la nature de l’infraction, de la complexité de l’affaire, sources de la lenteur de la procédure judiciaire au Mali.
Une mesure privative de liberté ne doit donc avoir lieu qu’en désespoir de cause. Elle ne doit être ordonnée que lorsqu’elle constitue l’unique moyen. Au Mali, on tend à conférer à la liberté un caractère exceptionnel et à faire de la mesure privative de la liberté la règle absolue. Les délais de détention sont de plus en plus longs et cela en violation de toutes les règles juridiques et particulièrement, celles relatives au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. La violation d’un tel droit entraîne plusieurs conséquences tel l’engorgement des lieux de détention, la violation des droits des personnes poursuivies, la mise à mal des principes directeurs du procès équitable etc.
Une tendance au recours systématique aux mesures privatives de liberté avant jugement au Mali
Pour mener à bien leur mission, les enquêteurs et les juges d’instruction disposent de moyens très divers. Ils peuvent chacun, conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés et, selon leur domaine de compétence, exercer divers actes de procédures : transport sur les lieux, examen de scènes du crime, recueil d’indices à des fins d’examen technique. Ils peuvent aussi procéder à des interrogatoires, perquisitions et, malheureusement, prendre des mesures de nature à limiter la liberté des individus sous le coup de la poursuite. Mesure privative de liberté ordonnée par un officier de police judiciaire et d’une durée strictement limitée, la garde à vue doit rester constamment sous le contrôle de l’autorité judiciaire et répondre à un strict formalisme.
Par ailleurs, le juge d’instruction, magistrat chargé de la recherche et de la manifestation de la vérité au cours de l’instruction, peut aussi ordonner une mesure tendant à priver de sa liberté une personne poursuivie. La détention provisoire constitue la mesure privative de liberté décidée par l’autorité judiciaire, par excellence. Elle peut se définir comme l’incarcération de la personne poursuivie dans une maison d’arrêt pendant tout ou partie de la période qui va du début de l’instruction préparatoire jusqu’au jugement définitif sur le fond de l’affaire.
- Le non-respect des règles légales encadrant la garde à vue au Mali
Il ressort clairement des dispositions de l’article 76 du Code de procédure pénale malien qu’un individu ne peut faire l’objet d’une garde à vue que lorsqu’il existe contre lui des indices graves et concordants de nature à motiver son inculpation et seulement pour les nécessités de l’enquête. C’est là en effet, que réside le vrai problème. La nature des indices est laissée à l’appréciation de l’officier de police judiciaire. De même, il est le seul à qui, il est loisible de déterminer les nécessités de l’enquête.
Le législateur, en ne procédant pas à une énumération des indices dits graves et concordants, laisse ouverte la porte de l’abus. Dès que le suspect est placé en garde à vue, en plus d’informer le procureur, l’officier de police judiciaire doit notifier immédiatement à la personne gardée à vue ses droits dans une langue qu’elle comprend. Dans la pratique policière au Mali, dès leur arrestation, les personnes placées en garde à vue sont instantanément dépossédées de leurs téléphones ou de tout autre moyen de communication.
Le droit de communiquer est restreint et lorsqu’il est autorisé, c’est dans l’espoir de pouvoir négocier. Le droit d’être examiné par un médecin de son choix ou désigné par le procureur de la République est un droit réservé aux nantis et autres fonctionnaires de haut rang. S’il est évident que les textes internes et internationaux encadrent la garde à vue, l’effectivité du respect des droits du suspect pose problème.
Le droit de communiquer est restreint et lorsqu’il est autorisé, c’est dans l’espoir de pouvoir négocier. Le droit d’être examiné par un médecin de son choix ou désigné par le procureur de la République est un droit réservé aux nantis et autres fonctionnaires de haut rang
La connivence, voire la complicité entre autorités judiciaire et policière est de nature à pérenniser l’irresponsabilité et l’impunité des OPJ (officier de police judiciaire) dans l’exercice de leur fonction. Les comportements affichés par les policiers au Mali en sont la parfaite illustration : arrogance, violence et surtout négligence dans le traitement des dossiers. Ces différentes attitudes sont connues.
Elles persistent et demeurent une ligne de conduite permanente, car n’ayant jamais fait l’objet de réprobation ni de la part des supérieurs hiérarchiques, ni des procureurs censés diriger l’activité de la police judiciaire. Ainsi, il apparaît clairement qu’au cours de l’enquête préliminaire, l’inobservation de certaines règles pourrait porter atteinte aux droits de la défense. De même, au cours de l’instruction, le recours systématique au mandat de dépôt, en lieu et place des mesures alternatives, pourtant prévues par la législation en vigueur au Mali, constitue aussi une véritable atteinte aux intérêts de la personne poursuivie.
- Le recours rarissime aux mesures alternatives
Au cours de l’instruction préparatoire, le juge d’instruction peut être amené à exercer plusieurs actes de procédure. Mais, de tous les actes que la juridiction d’instruction peut être amenée à prendre, le placement en détention de la personne mise en examen est certainement le plus grave. De toute évidence, le législateur malien a entendu prescrire la mesure uniquement dans les cas où la gravité de l’infraction est telle que le maintien en liberté est difficilement concevable. Toutefois, elle présente des inconvénients majeurs, en ce sens qu’elle semble incompatible avec le principe de la présomption d’innocence. (…) elle peut constituer un pré-jugement et causer de graves désagréments à la fois psychologiques et sociaux, à la personne concernée.
Ensuite, les juges d’instruction utilisent trop souvent cette mesure pour exercer des pressions sur l’inculpé, afin d’obtenir des aveux. Enfin, comme pour couvrir cet abus, les juridictions de jugement prononcent des peines d’emprisonnement au moins égales à la durée de la détention. Incontestablement, il existe plusieurs mesures alternatives, toutes simples et moins contraignantes pour le mis en examen, à la disposition du juge d’instruction à savoir : l’assignation à résidence, la libération sous caution, le contrôle judiciaire, voire la liberté tout simplement, celle-ci étant le principe consacré par le législateur.
(…) de nos jours, de plus en plus, dans les sociétés développées, si le contrôle s’avère insuffisant, une assignation à résidence avec surveillance électronique peut être décidée. Une telle mesure a pour but de rendre la détention provisoire véritablement exceptionnelle. Il est donc indispensable que de nouvelles dispositions législatives puissent intervenir et envisager la surveillance électronique au Mali. Il s’agit là d’un grand défi à relever : celui du mariage entre le droit et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Plutôt que de recourir à de telles mesures, les juges d’instruction maliens privilégient l’exception : la détention provisoire.
Incontestablement, il existe plusieurs mesures alternatives, toutes simples et moins contraignantes pour le mis en examen, à la disposition du juge d’instruction à savoir : l’assignation à résidence, la libération sous caution, le contrôle judiciaire, voire la liberté tout simplement, celle-ci étant le principe consacré par le législateur
En matière contraventionnelle, le procureur de la République peut, d’office, recourir à la médiation pénale. La mesure est semble-t-il privilégiée dans tous les types de contraventions, car elle permet d’éviter les procédures abusives et de désengorger les juridictions. L’avantage de la procédure de médiation est qu’elle peut être conduite par le procureur lui-même ou sous son contrôle, par un médiateur pénal. La médiation peut sensiblement contribuer à la réduction des délais de jugement et partant, au désengorgement des juridictions pénales. En ce sens, elle constitue un véritable facteur favorisant le respect du droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
La violation des délais légaux
La durée légale de la garde à vue est fixée à 48 heures. Ce délai est susceptible d’être prorogé à 72 heures à deux conditions. Or, l’AMDH (Association malienne des droits de l’homme) a constaté que le délai légal des 48 heures est fréquemment violé par les OPJ, policiers comme gendarmes. A titre d’exemple, au commissariat du 10e arrondissement, les 14 suspects présents lors de la visite de l’AMDH, en avril 2012, étaient tous en dépassement du délai légal. Le même constat a été fait dans les locaux de garde-à-vue des huit régions administratives du pays et du district de Bamako.
- Les facteurs ou causes de violation des délais légaux
Deux périodes caractérisent le temps de la réponse pénale. La première, est celle pendant laquelle une telle réponse peut être apportée à un comportement délictueux : le législateur a prévu une durée au terme de laquelle l’action publique est prescrite. La seconde est celle de la mise en œuvre de la réponse pénale, c’est-à-dire du traitement des affaires pénales. La lenteur de la justice et l’absence de répression d’une infraction sont de moins en moins bien acceptées.
Face à l’évolution de la société et des attentes des justiciables, il est légitime de modifier les règles de droit. Toutefois, les réformes se multiplient à un point tel que l’analyse de la procédure pénale contemporaine montre un véritable éclatement du temps de la réponse pénale, c’est-à-dire une rupture de l’unité des règles prévues par la loi. Pour que la matière retrouve cohérence et lisibilité, une approche unitaire doit être envisagée : le juste temps de la réponse pénale doit être recherché.
Parmi ces innocents reconnus en 2005, 613 étaient en détention provisoire. Ils peuvent alors prétendre à une indemnisation pour le préjudice qu’ils ont subis. Mais le mal est fait et le tort causé à la psychologie de l’intéressé demeure à jamais
Aujourd’hui, nous constatons que le nombre de magistrats est très réduit par rapport aux besoins de justice qu’attendent les citoyens. L’absence d’autorités judiciaires est une réalité qui entraîne la violation des délais légaux. Cette triste réalité est exacerbée par l’explosion de la violence suite à l’occupation des régions septentrionales du Mali. L’implantation de la charia par les djihadistes dans les régions du nord a eu pour conséquence la désertion des services administratifs et judiciaires desdites régions. Les incursions des mouvements rebelles dans certaines parties de la région de Mopti, la fuite, voire l’abandon des lieux par les différentes autorités a engendré un vide. La justice est totalement absente, les audiences ne sont plus tenues.
- Les effets de la violation des délais légaux
Les décisions de placement en détention provisoire et les violations des délais légaux, ont nécessairement un impact sur les personnes placées en détention et sur les centres de détentions. Dans l’hypothèse où la personne nie toute implication, la souffrance sera accentuée, l’attente étant insupportable et le sentiment d’avoir déjà été condamné prégnant. (…) certaines personnes bénéficient d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement et sont donc innocentes. Parmi ces innocents reconnus en 2005, 613 étaient en détention provisoire.
Ils peuvent alors prétendre à une indemnisation pour le préjudice qu’ils ont subis. Mais le mal est fait et le tort causé à la psychologie de l’intéressé demeure à jamais. Selon le rapporteur spécial de la commission africaine sur les prisons et les conditions de détention en Afrique, il peut arriver souvent que, la durée de la détention excède six ans dans certains pays. Au Mali, il note dans son rapport que 80 % des détenus de la prison centrale de Bamako sont en attente de jugement et ce chiffre pourrait monter à 90 % dans d’autres prisons. Ainsi, la détention provisoire participe largement à l’augmentation de l’effectif carcéral.
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