Les élections complexes de 2022 en Afrique : rétablir les processus démocratiques, Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique, 2022

Auteurs : Joseph Siegle et Candace Cook

Organisation affiliée : Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique

Type de publication : Article

Date de publication : 21 janvier 2022

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Les élections prévues en Afrique en 2022 n’ont rien d’ordinaire. Avec de multiples élections sensées relancer les processus démocratiques et la gouvernance constitutionnelle, les élections africaines de 2022 seront bien distinctes de ce que le continent a connu ces dernières années. La Libye, la Somalie, le Mali, la Guinée et le Tchad devraient organiser des élections qui ont été retardées ou interrompues par des coups d’État ou des conflits. Les paramètres de ces processus électoraux doivent encore être finalisés et la date à laquelle ils se dérouleront reste incertaine.

Les élections africaines de 2022 seront donc dynamiques et complexes. Étant donné l’autorité de légitimation qu’un processus électoral crédible peut apporter, c’est la manière dont ces élections sont gérées, plus que leurs résultats spécifiques, qui sera importante pour façonner le paysage de gouvernance et de sécurité du continent.

·      Mali : élections présidentielles et législatives, 27 février

L’année 2022 sera une année charnière dans les efforts du Mali pour rétablir un régime démocratique après les deux coups d’État menés par le colonel Assimi Goïta en août 2020 et mai 2021. L’échéance électorale du 27 février a été fixée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) lors de négociations avec la junte en vue de la reprise du pouvoir civil dans ce vaste pays sahélien de 20 millions d’habitants. Goïta, cependant, a de grandes ambitions pour le rôle de l’armée dans le gouvernement malien et s’est fait un devoir de réhabiliter l’image des anciens dirigeants militaires disgraciés tels que Moussa Traoré et Amadou Haya Sanogo, qui avaient géré des périodes ruineuses de l’histoire postindépendance du Mali. Le Mali est donc sur la voie d’un affrontement à fort enjeu autour de visions très différentes de sa trajectoire de gouvernance.

Les questions clés à surveiller au Mali seront donc de savoir comment la CEDEAO augmentera le coût de l’intransigeance de la junte et comment des élections indépendantes seront organisées. Il a été démontré par le passé que la volonté de la CEDEAO de céder aux exigences et aux calendriers de la junte était fondée sur de faux espoirs que cette dernière voulait réellement faciliter une transition. La résolution renforcée de l’organisme régional indique également qu’il reconnaît que s’il tolère la junte au Mali, la norme des coups d’État comme moyen de succession sera légitimée, inspirant d’autres coups d’État sur le continent – un phénomène qui a déjà commencé à prendre forme.

La junte a justifié son coup d’État ainsi que la prolongation du délai de transition qu’elle propose par la menace sécuritaire que représentent les groupes islamistes militants dans les régions du centre et du nord du pays. Cependant, la menace à la sécurité n’a fait que s’aggraver depuis le coup d’État militaire – les événements violents liés aux groupes islamistes militants au Mali ayant augmenté d’un tiers en 2021 par rapport à 2020. Le souci des putschistes de consolider leur prise de pouvoir s’est fait au détriment de la sécurisation des communautés à risque.

Les questions clés à surveiller au Mali seront donc de savoir comment la CEDEAO augmentera le coût de l’intransigeance de la junte et comment des élections indépendantes seront organisées

Parmi les nombreuses leçons à tirer des récents coups d’État au Mali pour le développement de la démocratie en Afrique, deux se détachent en particulier : la première est l’importance de renforcer les institutions indépendantes pour favoriser les autocorrections qui sont le socle des systèmes démocratiques. En renforçant les institutions démocratiques indépendantes, telles que le système judiciaire, la commission électorale et les organes de lutte contre la corruption, les Maliens disposeront de moyens plus efficaces pour répondre aux inévitables lacunes qui apparaitront en matière de gouvernance.

Retirer les processus et les calendriers des transitions démocratiques des mains des acteurs militaires et les confier à un organisme indépendant, fondé sur le mérite, est bien plus susceptible de conduire à la restauration souhaitée d’un système démocratique

Une autre leçon cruciale à tirer du Mali (ainsi que d’autres pays africains qui ont subi des coups d’État) est l’erreur de permettre aux acteurs militaires qui ont pris le pouvoir de manière extra constitutionnelle de diriger le processus de transition vers la démocratie. Ces putschistes ont déjà démontré leur dédain pour les processus démocratiques et sont donc les moins aptes à les rétablir. En outre, tant qu’ils sont reconnus et ont accès aux ressources de l’État, ils sont peu enclins à le faire. Retirer les processus et les calendriers des transitions démocratiques des mains des acteurs militaires et les confier à un organisme indépendant, fondé sur le mérite, est bien plus susceptible de conduire à la restauration souhaitée d’un système démocratique.

·      Guinée : élections présidentielles et législatives, mars 2022

La date de mars pour les élections présidentielle en Guinée reflète le calendrier de six mois établi par la CEDEAO suite au coup d’État militaire de septembre 2021. Dirigé par le colonel Mamady Doumbouya, chef d’une unité de forces spéciales de 300 hommes, le coup d’État a déposé le président Alpha Condé, âgé de 83 ans, qui effectuait un troisième mandat controversé.

La constitution guinéenne interdisait les troisièmes mandats présidentiels, jusqu’à ce que Condé passe outre ces dispositions en recourant à ce que de nombreux Guinéens considèrent comme des tactiques extralégales et à l’usage de la violence parfois létale contre les manifestants par les forces de sécurité.

Tout en la justifiant comme une réponse légitime au troisième mandat de Condé, la junte militaire n’a cependant toujours pas remis le pouvoir à un gouvernement civil intérimaire. Au contraire, elle a installé Doumbouya comme président par intérim et n’a pris que peu de mesures en vue de la tenue d’élections, semblant s’engager dans une transition pluriannuelle dirigée par les militaires.

Retirer les processus et les calendriers des transitions démocratiques des mains des acteurs militaires et les confier à un organisme indépendant, fondé sur le mérite, est bien plus susceptible de conduire à la restauration souhaitée d’un système démocratique

Le point central du processus électoral en Guinée sera les négociations avec la CEDEAO pour accélérer le retour d’un régime démocratique dirigé par des civils. Ayant déjà suspendu la Guinée de l’organisme régional et lui ayant imposé des sanctions, la CEDEAO et les acteurs démocratiques internationaux doivent continuer à coordonner leurs actions pour signaler à Doumbouya (et aux autres putschistes potentiels) que sa prise de pouvoir ne sera ni reconnue ni récompensée.

L’ironie du fait que les militaires revendiquent le manteau de la réforme est particulièrement absurde étant donné l’héritage dévastateur des gouvernements militaires en Guinée  où ils sont tristement notoires pour leurs violations des droits humains, leur corruption et leur impunité. Quand le pays a organisé ses premières élections démocratiques en 2010, c’est cette mauvaise gouvernance militaire qui avait largement contribué à faire de la Guinée l’un des pays les plus pauvres d’Afrique. En effet, reflétant les cicatrices encore fraîches d’un régime autoritaire, seuls 52 % des Guinéens disent faire confiance à l’armée, selon les derniers sondages Afrobaromètre. En revanche, 77 % des Guinéens soutiennent fermement la démocratie et le même nombre d’entre eux déclarent qu’il n’est pas acceptable que les militaires interviennent et prennent le pouvoir. 

L’expérience de la Guinée rappelle également l’instabilité liée aux troisièmes mandats en Afrique, où les dirigeants qui restent au pouvoir pendant plus de deux mandats sont liés à des niveaux de corruption plus élevés, à une diminution des libertés civiles et à une augmentation des conflits. Il sera donc essentiel d’empêcher de manière proactive les dirigeants de se soustraire à la limitation des mandats pour maintenir des calendriers électoraux réguliers en Afrique et éviter de devoir orchestrer des efforts ad hoc pour rétablir la démocratie.

·      Tchad : élections présidentielles et législatives, juin-septembre

Les élections hors-cycle de 2022 au Tchad sont une tentative de faire évoluer le pays vers un gouvernement démocratique dirigé par des civils, après la mort du dirigeant autoritaire de longue date Idriss Déby en avril 2021. Ces élections irrégulières sont nécessaires parce que le pouvoir exécutif n’a pas été transféré au président du Parlement après la mort de Déby, comme le prévoit la Constitution.

Au contraire, un conseil militaire composé de 13 généraux a pris le pouvoir, dissout le gouvernement et choisi son fils de 37 ans, Mahamat Déby, comme nouveau dirigeant du pays. Cette succession extraconstitutionnelle et héréditaire du pouvoir s’apparente à un coup d’État, précipitant une négociation avec l’Union africaine aboutissant à un  délai de transition de 18 mois censé culminer avec les élections présidentielles de 2022.

Les affirmations de la junte selon lesquelles elle organisera un dialogue national inclusif en février 2022 ont été accueillies avec beaucoup de scepticisme au Tchad. Les groupes d’opposition et les principaux acteurs de la société civile, y compris les membres du mouvement citoyen Wakit Tama (phrase en arabe tchadien signifiant « le moment est venu ») qui ont contesté la légitimité de la junte, n’ont pas pris part à ce dialogue

Toutefois, comme pour d’autres coups d’État militaires récents en Afrique, la junte tchadienne ne semble pas pressée d’organiser la transition ou d’abandonner le pouvoir. L’armée a longtemps joué un rôle dans la politique tchadienne, Idriss Déby lui-même ayant pris le pouvoir lors d’un coup d’État 31 ans avant sa mort. Pendant son mandat, le gouvernement tchadien s’est caractérisé par son exclusion politique, des actions répressives à l’encontre des dirigeants politiques et des médias de l’opposition, la corruption et des épisodes répétés d’instabilité impliquant une multitude de groupes rebelles organisant régulièrement des attaques pour renverser le gouvernement.

Les affirmations de la junte selon lesquelles elle organisera un dialogue national inclusif en février 2022 ont été accueillies avec beaucoup de scepticisme au Tchad. Les groupes d’opposition et les principaux acteurs de la société civile, y compris les membres du mouvement citoyen Wakit Tama (phrase en arabe tchadien signifiant « le moment est venu ») qui ont contesté la légitimité de la junte, n’ont pas pris part à ce dialogue. En outre, les manifestations contre le caractère exclusif de la transition ont été réprimées par la force, y compris à balles réelles. En novembre 2021, la junte a toutefois libéré près de 300 dissidents politiques.

La junte a signalé qu’elle entendait contrôler la transition selon ses propres termes en rejetant l’envoyé spécial et médiateur de la crise tchadienne de l’Union africaine, Ibrahima Fall. La junte a également soulevé la possibilité que la transition de 18 mois pourrait être renouvelée et ne s’est pas engagée à empêcher les membres du gouvernement de transition de se présenter aux élections. Mahamat Déby a également suggéré que des « conditions » soient remplies avant qu’une transition puisse avoir lieu, notamment que « les Tchadiens s’entendent » et que la transition reçoive un soutien financier international. Ce genre d’attitude effrontée a conduit de nombreux Tchadiens à craindre que Mahamat Déby ne cherche simplement à reproduire la longue emprise de son père sur le pouvoir au Tchad.

L’inclusion d’une véritable opposition politique dans le processus de transition, l’ouverture d’un espace pour la société civile et les médias, et la mise en place d’une commission électorale indépendante chargée de superviser des élections sans plus de retard seront autant d’indicateurs du sérieux de la junte dans son soutien à une transition et de la crédibilité des scrutins de 2022.

 

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