Les dispositions constitutionnelles encadrant l’indépendance des juridictions compétentes en matière de contrôle de constitutionnalité, IDEA International, 2016

Auteurs : Markus Böckenförde et Yuhniwo Ngenge

Organisation affiliée : IDEA International

Type de publication : Article

Année de publication : 2016

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Il est communément admis que l’indépendance judiciaire constitue un prérequis au maintien de l’État de droit et de la croissance économique. Il n’existe pas de définition commune du concept d’indépendance judiciaire ni de la manière dont celle-ci peut être mesurée. Toutefois, un certain nombre de caractéristiques principales ont été identifiées : l’indépendance et l’impartialité des juges, l’autonomie du pouvoir judiciaire et l’effet de ses décisions.

La robustesse du cadre constitutionnel qui protège l’autonomie de l’institution de toute ingérence excessive est fonction de l’influence qu’elle exerce dans ces débats au moyen d’une jurisprudence détaillée. Les institutions chargées de la justice constitutionnelle, en particulier les cours/conseils constitutionnel(le)s, sont en position de relative faiblesse par rapport aux autres branches du pouvoir : ils ne détiennent ni les cordons de la bourse, comme le pouvoir législatif, ni la force du glaive, apanage de l’exécutif. D’une manière générale, le présent rapport se concentre sur les normes écrites.

Les éléments constitutifs de l’indépendance de jure

  • L’affirmation de l’indépendance du pouvoir judiciaire

Les pays d’Afrique de l’Ouest étudiés prévoient généralement dans leur constitution des dispositions protégeant les différentes composantes de l’autonomie judiciaire. À l’exception de celle du Libéria, toutes les constitutions de la région contiennent une affirmation explicite de l’indépendance du pouvoir judiciaire ou des cours/conseils. Parfois, les garanties de cette indépendance sont limitées. Par exemple, l’article 24(1) de la Constitution gambienne dispose que les garanties ne s’appliquent qu’aux «tribunaux ou autres instances juridictionnelles établis par la loi pour déterminer le bien fondé des procédures ou affaires pénales ou déterminer l’existence ou la portée des droits ou obligations des citoyens et citoyennes ».

Du point de vue de l’indépendance de la justice, une durée déterminée entraîne le risque, pour les juges qui souhaitent planifier la suite de leur carrière, de briguer des postes politiques ou dans le secteur privé. Dans les pays où ce type de parcours professionnel est courant, l’indépendance réelle est plus difficile à évaluer étant donné que l’évolution de la carrière d’un juge à la fin de son mandat peut être influencée par les conséquences des décisions prises en tant que magistrat.

Dans les pays faisant appel à une cour ou un conseil constitutionnel, il est important d’examiner dans quelle mesure l’affirmation de l’indépendance des « autorités judiciaires » s’applique à ces institutions. Le Niger et le Sénégal incluent spécifiquement leur Cour ou Conseil constitutionnel(le) dans l’ordre judiciaire. La Constitution du Cabo Verde accorde également aux membres de sa Cour constitutionnelle les mêmes garanties que celles données aux juges des autres juridictions.

À l’inverse, dans les Constitutions du Bénin et de la Côte d’Ivoire, les Cours/Conseils constitutionnel(le)s n’apparaissent pas dans la liste des instances exerçant les « pouvoirs judiciaires » indépendants. Dans d’autres cas, la constitution ne précise pas si la Cour constitutionnelle fait partie de l’autorité judiciaire dont l’indépendance est garantie ou s’il faut la considérer comme une institution à part.

  • Les conditions de nomination et la durée du mandat des juges siégeant au sein des juridictions compétentes en matière de contrôle de constitutionnalité

La forme adoptée par les institutions chargées de la justice constitutionnelle – Cour/Conseil constitutionnel(le) ou Cour suprême au sommet d’un ordre juridictionnel – a également un impact sur la durée du mandat des juges. Une fois nommés, les juges des pays dotés d’une Cour suprême siègent jusqu’à l’âge de leur retraite qui, dans ces pays, s’étale de 65 à 70 ans au plus tard, sauf en cas de dérogation spéciale.

Cet âge avancé de départ à la retraite est important, car toute limite inférieure pourrait inciter les juges inquiets pour leur situation après leur départ à la retraite à prendre certains partis au cours de leur mandat; ce qui s’est produit en Inde, par exemple.

Le mandat à durée indéterminée associé à une limite d’âge élevée contribue donc à protéger les juges des caprices des pouvoirs législatif ou exécutif. Les juges siégeant au sein des Cours ou Conseils constitutionnel(le)s, à l’inverse, ont des mandats limités de cinq à neuf ans. Du point de vue de l’indépendance de la justice, une durée déterminée entraîne le risque, pour les juges qui souhaitent planifier la suite de leur carrière, de briguer des postes politiques ou dans le secteur privé.

Dans les pays où ce type de parcours professionnel est courant, l’indépendance réelle est plus difficile à évaluer étant donné que l’évolution de la carrière d’un juge à la fin de son mandat peut être influencée par les conséquences des décisions prises en tant que magistrat. L’indépendance et l’impartialité des juges peuvent également être remises en question si leur mandat est de courte durée, mais renouvelable – en particulier lorsque les affaires traitées portent sur les actions des institutions impliquées dans la procédure de renouvellement (par exemple une loi du parlement, un décret, etc.). En Afrique de l’Ouest, trois pays autorisent le renouvellement du mandat des juges après un premier mandat de sept ans (Mali, Togo) ou de cinq ans (Bénin). Au Bénin et au Mali, ce renouvellement n’est possible qu’une fois.

  • La procédure de nomination

La procédure de nomination des juges doit refléter leur rôle spécifique dans le contexte constitutionnel et diffère donc parfois des procédures utilisées pour les autres instances. Il est par conséquent communément admis que les acteurs politiques ont une influence sur la désignation des juges, afin de les encourager à se plier aux décisions qui ne seraient pas en leur faveur. L’implication de différents acteurs et institutions politiques dans le processus accroît également la probabilité de constituer une cour politiquement équilibrée.

À l’exception du Cabo Verde et du Sénégal, où le Parlement et le président respectivement gardent seuls le contrôle du processus de désignation, la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest suivent l’un ou l’autre des deux modèles de désignation, qui impliquent une grande diversité de parties prenantes politiques. Dans les pays de common law, le processus de désignation repose sur la participation consécutive de différentes institutions politiques, dont le nombre varie de deux (Gambie, Libéria) à quatre (Ghana).

Il part du principe que le consentement ou l’implication de multiples institutions évite la sélection de juges ayant un parti pris pour l’une ou l’autre de ces institutions. Par conséquent, si les candidats sont sensibles à l’un ou l’autre des acteurs politiques, ces partis pris s’équilibrent mutuellement étant donné que plusieurs acteurs politiques/institutions (dont le président et l’Assemblée nationale) participent à la désignation des juges.

  • La révocation des juges : motifs et procédure

Même les meilleures procédures de sélection de juges indépendants s’avèrent futiles si, une fois nommés, ces derniers restent à la merci d’une révocation de leur mandat. C’est pourquoi, afin de permettre aux institutions chargées de la justice constitutionnelle de fonctionner de manière indépendante, il est important que la Constitution ou une loi organique détermine les conditions précises et les procédures applicables à la révocation d’un juge.

Les motifs de révocation sont généralement similaires d’un pays à l’autre et incluent notamment un handicap physique ou mental permanent, une mauvaise conduite comme un manquement avéré, une faute professionnelle grave, une condamnation par une instance judiciaire pour trahison, corruption ou autre délit grave, le non-respect du serment prêté, ou une accusation de crime ou d’inconduite notoire. Dans les pays où la durée du mandat des juges est courte, l’acceptation d’une autre charge incompatible avec celle exercée au sein de la Cour ou du Conseil constitutionnel(le) est également un motif de révocation.

Afin de permettre aux institutions chargées de la justice constitutionnelle de fonctionner de manière indépendante, il est important que la Constitution ou une loi organique détermine les conditions précises et les procédures applicables à la révocation d’un juge

La procédure de révocation diffère en fonction des systèmes juridiques. Dans les pays de common law, elle implique systématiquement des institutions externes, tandis que dans la plupart des pays de civil law, elle reste une affaire interne soit à la Cour soit au pouvoir judiciaire. Tous les pays d’Afrique de l’Ouest se réclamant de la common law ont établi une procédure de révocation qui implique des acteurs externes. Dans la plupart des autres pays, les constitutions et lois organiques restent silencieuses ou ambigües quant au processus de révocation.

En Mauritanie par exemple, ni la Constitution ni la loi organique ne contiennent de dispositions précisant si les membres du Conseil constitutionnel peuvent être révoqués ni sous quelles conditions. Au Bénin, au Togo, en Guinée, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, les membres des instances chargées de la justice constitutionnelle ne peuvent être révoqués au cours de leur mandat sauf de leur propre initiative, mais ils peuvent être arrêtés, incarcérés et poursuivis pour infraction pénale ou en cas de flagrant délit avec l’aval de la Cour ou du Conseil constitutionnel.

Le type de sanction qu’entraînerait un verdict de culpabilité dans le cadre d’une procédure pénale n’est pas précisé, mais il serait logique que le juge incriminé soit révoqué. Le Burkina Faso semble être le seul pays d’Afrique de l’Ouest – de civil law – à considérer explicitement une condamnation pénale comme motif de révocation.

 

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