Auteur : Sékou Oumar Baldé
Organisation affiliée : Sens public
Type de publication : Article
Date de publication : 29 juillet 2020
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Opposant de tous les régimes pendant 40 ans, le président Alpha Condé a été élu en 2010. Ces élections ont été accueillies comme les premières élections démocratiques du pays. Pourtant, au terme de son deuxième et dernier mandat, le président (Condé 2020) fait adopter lors d’un double scrutin très controversé le 22 mars 2020 (législatives et référendum), une nouvelle constitution et fait élire une nouvelle Assemblée nationale monocolore. Les résultats du double scrutin du 22 mars annoncent un total déséquilibre au sein des futures institutions issues de ce scrutin.
L’imbroglio juridique autour du changement constitutionnel a déjà conduit à la modification de vingt-et-une dispositions de la Constitution entre son adoption le 22 mars et sa publication au journal officiel le 14 avril 2020, élargissant davantage les pouvoirs du président et obligeant la Cour constitutionnelle à rendre un arrêt pour préciser la Constitution qui serait en vigueur. Les contestations et violences qui ont suivi mettent en évidence les limites des discours populistes qui prétendent rétablir le peuple dans ses droits et questionnent la cohérence et la rationalité de l’action de l’État.
Pratique électorale dans la nouvelle Constitution : évolution ou recul démocratique ?
Dans le système politique guinéen, depuis l’avènement du multipartisme et de l’ouverture démocratique en 1990, les élections nationales sont exclusivement réservées aux partis politiques. Les constitutions de 1990 et de 2010 ont gardé une logique d’ouverture exclusive aux partis politiques des compétitions électorales nationales. Pour certains acteurs, les conditions de participation aux élections nationales sont assez restreintes, car ne permettant pas aux indépendants qui ne se sentent pas proches des partis traditionnels de participer aux élections nationales.
- Les candidatures indépendantes : revirement et durcissement
Deux changements majeurs étaient prévus. D’abord, la suppression de l’âge minimum pour être candidat à la présidentielle qui était de 35 ans dans la Constitution du 7 mai 2010. Ensuite, la suppression de l’obligation d’être présenté par un parti politique. Cette disposition avait ouvert la possibilité aux candidats indépendants de se présenter à toutes les élections nationales contrairement aux constitutions antérieures.
Au-delà du débat purement juridique sur la forme, le tripatouillage constitutionnel est le résultat de la mascarade organisée pour tenter de légitimer une réforme balbutiante qui sert de prétexte pour permettre au président de se maintenir
Cependant, le Barreau des avocats de Guinée a révélé suite à la publication de la Constitution le 14 avril 2020 des changements sur 21 articles entre le projet de constitution adopté le 22 mars et la Constitution publiée le 14 avril et qualifie de « délinquance juridique » cette falsification. Au-delà du débat purement juridique sur la forme, le tripatouillage constitutionnel est le résultat de la mascarade organisée pour tenter de légitimer une réforme balbutiante qui sert de prétexte pour permettre au président de se maintenir.
Avec environ 150 partis politiques pour moins de 5 millions d’électeurs et une population de 12 millions d’habitants, la Guinée est un pays très politisé où les activités qui dominent depuis plus de dix ans sont liées aux processus électoraux. Ce qui laisse peu de place aux autres activités. Cela pourrait aussi ouvrir la voie à de futurs changements constitutionnels instrumentalisant à nouveau un cadre dont une certaine pérennité est indispensable à son bon fonctionnement.
- Le rallongement de la durée du mandat présidentiel
Les contestations organisées par le FNDC (Front national pour la défense de la Constitution) depuis la création du mouvement sont fondées essentiellement sur un empêchement d’un éventuel troisième mandat présidentiel qui découlerait d’un changement constitutionnel.
Tous les référendums constitutionnels en Guinée ont permis le rallongement de la durée des mandats
L’article 40 de la Constitution du 22 mars est le noyau du changement constitutionnel. Il permet non seulement au président de se présenter, mais il rallonge également la durée du mandat de 5 à 6 ans. Tous les référendums constitutionnels en Guinée ont permis le rallongement de la durée des mandats. En 2001, la révision constitutionnelle a permis le passage du quinquennat au septennat sous le régime du Général Lansana Conté.
L’intensification des manifestations de l’opposition d’un côté et la radicalisation du gouvernement dans la conduite de son chronogramme électoral de l’autre côté fragilisent le tissu social et favorisent les violences. Le FNDC et les principaux partis de l’opposition dénoncent ce qu’ils appellent un « coup d’État constitutionnel » (…) une situation déjà connue en 2001 où le président de l’Assemblée nationale Boubacar Biro Diallo avait aussi dénoncé « un coup d’État constitutionnel ».
L’instrumentalisation de la norme fondamentale
Tous les changements constitutionnels intervenus en dehors des coups d’État en Guinée ont pour motif principal une suppression du verrou de la limitation de mandats et l’élargissement des pouvoirs du président de la République. Des constitutions instrumentalisées au service d’un exécutif en quête d’un prolongement ou d’un élargissement de pouvoirs. Une pratique qui a tendance à se normaliser.
- Des élections sous contrôle de la majorité
La loi organique L/2018/044/AN du 5 juillet 2018 sur la CENI, en son article 6, prévoit un total de 17 membres répartis comme suit : deux membres désignés par les organisations de la société civile, un par l’administration et quatorze par les partis politiques (dont sept par les partis de la mouvance présidentielle et sept par ceux de l’opposition). Les partis politiques habilités à désigner des membres doivent satisfaire à deux critères (excessivement discriminatoire des autres formations politiques) à savoir : avoir participé aux deux dernières élections nationales (législatives et présidentielle) précédant la mise en place de la CENI, et avoir au moins deux députés à l’Assemblée nationale.
Le parti au pouvoir est le seul à remplir les conditions selon l’article 6 de la loi du 5 juillet pour mandater des représentants à la CENI pour la prochaine recomposition. Le contrôle de la CENI permet de maitriser tout le processus électoral
Selon les résultats provisoires publiés par la CENI sur le double scrutin du 22 mars, le RPG (le parti au pouvoir) totalise 78 sièges sur 114. En plus d’avoir une majorité absolue, il sera le seul « maître » de la CENI, sachant que le principal parti d’opposition l’UFDG qui a 4 représentants a boycotté le double scrutin et n’a aucun député dans la nouvelle Assemblée nationale.
Le parti au pouvoir est le seul à remplir les conditions selon l’article 6 de la loi du 5 juillet pour mandater des représentants à la CENI pour la prochaine recomposition. Le contrôle de la CENI permet de maitriser tout le processus électoral en Guinée d’autant plus que l’institution est responsable de l’ensemble des étapes de l’enrôlement des électeurs à la publication des résultats provisoires. Ce qui permet au parti de la majorité d’avoir le contrôle des élections sans contre-pouvoir. (…) d’un côté, la tenue de scrutins réguliers atteste de l’existence de nouvelles pratiques du politique en Afrique.
De l’autre, la qualité des processus électoraux, même s’ils sont conduits avec la volonté affichée de rallier les électeurs autour de leur consentement libre et éclairé, demeure suspecte dans de nombreux pays où ils sont source de tensions et de conflits. Les multiples fraudes supposées ou réelles qui sont confortées par l’absence de neutralité et d’impartialité mettent en évidence le degré d’instrumentalisation de l’institution électorale par le parti de la majorité.
- La haute juridiction électorale sous le contrôle du président
En Guinée, la Cour constitutionnelle (CC) est la plus haute institution judiciaire électorale du pays. La Constitution de 2010 garantit du moins dans le texte, une forme d’indépendance et d’équilibre dans la constitution et le fonctionnement de l’institution. La Constitution du 22 mars remet en cause cette indépendance et place la direction de l’institution sous le contrôle du président de la République. Elle élargit ses prérogatives dans la composition de la Cour constitutionnelle.
Le président de la République nomme désormais le président de la Cour constitutionnelle (qui était jusqu’à présent élu par ses pairs conformément à la constitution de 2010) ce qui implique un pouvoir de révocation. Il propose trois membres sur les neuf qui composent la Cour au lieu d’un membre (selon la Constitution de 2010) soit 33 %. Le changement de constitution va complètement bouleverser le fonctionnement de l’institution.
La nouvelle Constitution supprime l’âge minimum pour être membre de la CC qui était de 45 ans. Elle supprime les conditions d’expériences pour les deux magistrats désignés par leurs pairs contrairement à la Constitution de 2010 qui exige 20 ans de pratique. Elle supprime les deux représentants de l’Institut National des Droits Humains (INDH). Enfin, elle élargit et renforce le pouvoir du président de la République sur le fonctionnement de la plus haute juridiction électorale. Un changement qui entraine un grand recul dans le cadre de l’indépendance des institutions juridictionnelles électorales.
Recul démocratique et instabilité politique
La démocratisation de la Guinée régresse depuis quelques années. Des dizaines de morts depuis l’annonce du projet de changement constitutionnel, des violences électorales et des élections contestées dissipent les avancées démocratiques obtenues depuis 2010. Entre le 14 octobre 2019 et le 30 mars 2020, le FNDC a enregistré 47 morts suite aux violences policières et militaires lors des manifestations contre la forfaiture du président selon son rapport publié le 9 avril 2020 soit 3 jours avant la publication de la nouvelle Constitution.
- Une Constitution sous le prisme du frein à l’alternance
Offrir la possibilité d’une alternance politique est un élément essentiel de la démocratie qui contribue à renforcer la légitimité de la Constitution et accroitre l’adhésion des citoyens au régime politique ; ce que l’adoption d’une nouvelle Constitution n’offre pas dans les faits, car elle permet de maintenir après 10 ans au pouvoir le président Alpha Condé. Pourtant, l’article 40 garantit au président de la République la possibilité de briguer un mandat de six ans, renouvelable une fois. En 2015, Me Kéléfa Sall, ancien président de la Cour constitutionnelle mettait en garde le président de la République contre toute tentative d’instrumentalisation de la Constitution pour se maintenir au pouvoir.
Entre le 14 octobre 2019 et le 30 mars 2020, le FNDC a enregistré 47 morts suite aux violences policières et militaires lors des manifestations contre la forfaiture du président selon son rapport publié le 9 avril 2020 soit 3 jours avant la publication de la nouvelle Constitution
L’article 27 de la Constitution de mai 2010 limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Une disposition non modifiable du fait de son intangibilité prévu à l’article 154 (2020). La seule alternative pour briguer un mandat supplémentaire est le changement de constitution pour partir sur un nouveau mandat d’une nouvelle constitution.
- Une Constitution source d’instabilités politiques
Depuis plusieurs années, la Guinée est plongée dans une impasse politique du fait de la volonté du président de changer de constitution. La situation a fait des dizaines de morts depuis le 14 octobre 2019 premier jour de mobilisation et de manifestation du Front national pour la défense de la Constitution. L’appel à la désobéissance et à la résistance a intensifié des violences dans la plupart des préfectures et sous-préfectures des régions de la Moyenne-Guinée, Guinée-Forestière et Basse-Guinée. Des régions qui ne sont pas ou peu favorables au parti au pouvoir.
La destruction d’édifices publics et du matériel électoral a amené le gouvernement à déployer l’armée dans la plupart des villes concernées par la contestation. Ces faits mettent en péril le fonctionnement des institutions administratives, politiques et électorales.
Le changement constitutionnel est finalement une source d’instabilités politiques et institutionnelles. D’abord, il cristallise le problème de la légitimité des institutions électorales qui est la source de la plupart des contestations électorales. Ensuite, il favorise l’établissement d’un régime présidentiel fort et renforce les pouvoirs du président. Enfin, il empêche la possibilité d’alternance politique sans même parler de la violation des procédures d’élaboration et d’adoption des lois fondamentales depuis 1990.
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