« Le taux de participation féminine fixé à 30 % dans les listes n’a pas été atteint lors des élections législatives et communales de 2020 au Bénin », entretien avec Maître Marie-Elise Gbèdo avocate et militante des droits des femmes

Entretien avec Maître Marie-Elise Gbèdo avocate et militante des droits des femmes au Bénin. En 2001, elle devient la première femme béninoise candidate à une élection présidentielle. Dans cet entretien, elle aborde la question de l’engagement des femmes béninoises en politique et leur place dans les fonctions politiques électives et nominatives. Elle évoque également la question des droits des femmes au Bénin.

 

Biographie : Avocate, militante des droits des femmes et des enfants, première femme candidate à une élection présidentielle au Bénin en mars 2001, Marie-Elise Gbèdo a réitéré sa participation aux élections présidentielles de 2006, 2011 et 2016. Présidente et membre fondatrice de l’Association des femmes juristes du Bénin (AFJB) en 1990, elle a occupé plusieurs fonctions gouvernementales au Bénin dont celles de Garde des Sceaux, ministre de la Justice, de la législation et des droits de l’Homme, Vice-présidente du Conseil supérieur de la magistrature, Porte-parole du gouvernement etc.

 

Entretien :

Quelle a été la place des femmes dans l’accession du Bénin à la souveraineté internationale et quel rôle ont-elles joué à l’occasion de la Conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990 ?

A la veille de l’indépendance, certaines femmes militaient déjà dans des organisations syndicales, mais le colon exerçait une pression forte sur elles pour les décourager. Les femmes ne pouvaient pas se réunir ouvertement. Elles craignaient les mutations dans le travail vers d’autres postes en guise de sanction et étaient de ce fait, beaucoup plus préoccupées à sauvegarder leurs emplois. Dans les partis politiques, l’action des femmes se limitaient à l’organisation des réunions publiques, à faire la propagande du parti et surtout à soutenir l’action des hommes.

Ce constat historique nous amène à retracer les étapes qui ont jalonné la participation des femmes à l’accession du Bénin à la souveraineté internationale ainsi que leur rôle à la Conférence nationale des forces vives de la Nation.

De 1946 à 1960, les femmes faisaient de la politique pour soutenir leurs époux ou leurs pères. De 1960 à 1972, elles ont continué à être membres des partis politiques, mais l’instabilité politique et les soubresauts connus par les régimes ont conduit à la réduction de leur participation dans la vie politique. De 1972 à 1989, on a noté l’envolée numérique la plus significative des femmes sur la scène politique à différents échelons. Toutefois, entre 1980 et 1989, la suppression du système de quota a réduit le nombre de femmes aux élections législatives.

Il faut rappeler que c’est en 1989 que le gouvernement de quinze (15) membres du feu Président Mathieu Kérékou a eu sa première femme ministre dans l’histoire du Bénin, en la personne de Madame Rafiatou Karim à la santé publique. A la Conférence nationale de février 1990, sur 493 délégués, on n’a fait participer que 15 femmes dont une seule au présidium, une avocate, feue Grâce d’Almeida. Je rappelle qu’une autre avocate était dans le bureau provisoire en la personne de Maître Hélène Aholou-Kèkè.

De 1990 à 2006, le renouveau démocratique a introduit le multipartisme intégral mais très peu de femmes ont dirigé les nouveaux partis créés. C’est seulement en 1995 qu’on a recensé deux nouveaux partis sur dix dirigés par des femmes. La période de 2006 à 2011 est caractérisée par une inflation des partis politiques mais aussi par une réduction du nombre de femmes dans l’exécutif. La situation perdure jusqu’à ce jour et s’étend à plusieurs domaines de la vie socio-économique du pays.

Selon vous, quels facteurs pourraient expliquer la baisse du taux d’engagement politique des femmes au Bénin ?

De nombreuses femmes béninoises techniquement compétentes sont paradoxalement frileuses à s’engager en politique. Mais ce qui est encore plus paradoxal, c’est le blocage dressé par les hommes qui non seulement empêchent ces dernières de s’engager en politique mais encore les découragent lorsqu’elles viennent à se décider.

À cela, s’ajoute le faible niveau d’instruction de la majorité des femmes béninoises qui apparait comme l’une des grandes difficultés entravant leur engagement massif en politique. Il y a aussi les pesanteurs sociologiques, le manque de moyens financiers et surtout le défaut de confiance en soi-même, en plus de l’éducation reçue à la maison qui veut que la femme s’abstienne de parler ou de donner son avis en public et de n’être confinée qu’à la gestion des tâches ménagères.

La période de 2006 à 2011 est caractérisée par une inflation des partis politiques mais aussi par une réduction du nombre de femmes dans l’exécutif. La situation perdure jusqu’à ce jour et s’étend à plusieurs domaines de la vie socio-économique du pays

C’est pourquoi, nous nous battons pour une meilleure prise en compte de l’approche genre par le parlement et les autres institutions de l’État. Pour l’heure, c’est par la sensibilisation au quotidien et la formation citoyenne que nous tentons d’éveiller la conscience des pouvoirs publics sur la nécessité de tenir compte de la variable genre en politique, afin de montrer la voie aux partis politiques et autres structures associatives de base pour une meilleure participation des femmes dans les instances de prise de décisions.

 Qu’en est-il de la présence des femmes dans les institutions de la République

La révision de la Constitution du 11 décembre 1990 et celle du Code électoral allaient accroître le taux d’implication des femmes béninoises dans la gestion de la chose publique afin de leur assurer une bonne place dans la gouvernance démocratique. Mais au vu des résultats des différentes élections législatives et communales, les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.

A l’Assemblée nationale, pour la 8ème législature, nous avons cinq (05) femmes sur 83 députés au lieu de 24 sur 83 escomptés, soit 6 % seulement de femmes. Dans le gouvernement, elles sont 05 femmes sur 23 ministres soit 21,79 %. A la Cour constitutionnelle, nous avons une (01) femme sur sept (07) membres au lieu de deux (02) comme auparavant, soit 14,28 %.

A la tête des institutions de la République, à part la Haute Cour de justice dirigée par une femme, on ne trouve que des hommes.  Tout dernièrement du fait de la réforme, le Conseil électoral reste désespérément entre les mains des hommes alors que dans la dernière Commission électorale nationale autonome (CENA), nous avions une femme vice-présidente.

Pour l’heure, c’est par la sensibilisation au quotidien et la formation citoyenne que nous tentons d’éveiller la conscience des pouvoirs publics sur la nécessité de tenir compte de la variable genre en politique, afin de montrer la voie aux partis politiques et autres structures associatives de base pour une meilleure participation des femmes dans les instances de prise de décisions

Le taux de participation féminine de 30 % auquel on aspire n’est atteint nulle part, ni dans les instances des partis politiques, ni dans les listes de candidature présentées par ces partis politiques lors des élections législatives et communales de 2020. Ces politiciens qui ne sont pas convaincus du droit de la femme à accéder à des postes de décisions nous répètent à souhait l’argument selon lequel « le pouvoir s’arrache ! »

Quelles sont les principales actions menées par l’Association des femmes juristes du Bénin pour la réalisation des droits des femmes au Bénin ?

Notre lutte pour la réalisation des droits des femmes et de ceux des enfants se fait au quotidien au sein de l’Association des femmes juristes du Bénin (AFJB) créée en 1990, initialement pour la pleine participation des femmes à la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation, avec l’idée de porter la voix des couches vulnérables que sont les femmes elles-mêmes, les jeunes filles, les enfants et mêmes les personnes détenues en prison.

Dans l’exercice de ses activités, l’Association s’inspire des lois, règlements, principes du droit et traités internationaux applicables au Bénin. Il s’agit entre autres, des principes inhérents aux droits humains, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 18 juin 1981, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des Femmes (CEDEF) du 18 décembre 1979, de la Convention relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989, des  Pactes internationaux relatif aux droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, des résolutions et recommandations de l’Organisation des Nations Unies.

Les formes d’action de l’AFJB consistent à susciter ou à exécuter par l’intermédiaire de ses membres, des travaux entrant dans le cadre de ses objectifs, à rassembler et diffuser toutes informations et toutes documentations utiles concernant les femmes, la famille, le genre et la sauvegarde de l’environnement en vue de l’inclusion des aspects liés au droits humains dans les politiques de développement durable de notre pays.

A l’Assemblée nationale, pour la 8ème législature, nous avons cinq (05) femmes sur 83 députés au lieu de 24 sur 83 escomptés, soit 6 % seulement de femmes. Dans le gouvernement, elles sont 05 femmes sur 23 ministres soit 21,79 %. A la Cour constitutionnelle, nous avons une (01) femme sur sept (07) membres au lieu de deux (02) comme auparavant, soit 14,28 %

C’est ainsi qu’au sein de l’Association, j’ai participé à tous les travaux d’élaboration du nouveau Code des personnes et de la famille, voté par l’Assemblée nationale et promulgué le 24 août 2004 par le Chef de l’État. À travers cette participation, nous avons combattu le droit coutumier du Dahomey de 1931 déclaré anticonstitutionnel parce qu’il excluait entre autres, les femmes de l’héritage. Il est abrogé par l’article 1029 du Code des personnes et de la famille qui dispose que : « Toutes les dispositions antérieures contraires au présent code sont abrogées. »

L’association a créé des Centres d’aide juridique pour fournir des informations aux femmes par rapport à leurs droits et pour leur assurer une assistance judiciaire adéquate devant les juridictions. Elle a beaucoup travaillé avec les prisons civiles du Bénin pour assister les femmes et les détenus mineurs.

Il y a aussi les actions menées avec l’Association béninoise pour la promotion de la famille dans le cadre d’un programme de campagne d’information, de lutte contre les violences basées sur le genre et de promotion du droit à la santé sexuelle et reproductive des femmes et jeunes filles et de dépistage du cancer du col de l’utérus. Ce programme s’exécute surtout avec les maires des communes du Couffo, en particulier ceux de Toviklin, Lalo et Klouékanmè. Il est temps de briser les tabous !

Vous êtes à l’origine de l’avènement du Code des personnes et de la famille au Bénin et de la loi sur les mutilations génitales. Quel bilan faites-vous de la mise en œuvre de ces instruments juridiques ? 

J’ai la chance de pouvoir faire appliquer toutes ces lois par les cours et tribunaux de notre pays. Par exemple, lorsque nous prenons la question sur la succession dans le Code des personnes et de la famille, en cas de décès du conjoint, ses proches ne peuvent plus se lever pour expulser épouse et enfants du domicile du défunt mari dont la succession est ouverte et s’emparer de tous ses biens. La femme mariée hérite des biens de son conjoint décédé et vice versa. La femme peut être le liquidateur des biens de son conjoint décédé ainsi que ses enfants. C’est une avancée notable qui assure la protection de la veuve et de l’orphelin.

Si les mutilations génitales ont connu un certain recul du fait des décisions de justice qui condamnent les exciseurs et exciseuses, il y a encore quelques poches de résistance où l’on voit ces derniers émigrer le plus souvent vers les pays limitrophes du Nord pour perpétrer leur sale besogne.

Il y a aussi les actions menées avec l’Association béninoise pour la promotion de la famille dans le cadre d’un programme de campagne d’information, de lutte contre les violences basées sur le genre et de promotion du droit à la santé sexuelle et reproductive des femmes et jeunes filles et de dépistage du cancer du col de l’utérus

Dans nos tribunaux, les magistrats sont assez informés et formés pour appliquer les textes permettant de lutter contre ce fléau. Nous pouvons dire que le Bénin a mis à la disposition des victimes et des associations des droits humains, des instruments qui permettent en tout état de cause de combattre les violences faites aux femmes et aux filles.

 

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