WATHI est allé à la rencontre de Sakariaou Amoussa Adam, consultant international et expert en droits humains. Dans cette première partie, il évoque l’expérience récente du Niger avec le passage du pouvoir entre civils et l’épineuse question du troisième mandat qui n’a pas eu lieu dans le pays.
L’État du Niger vient de vivre une expérience démocratique avec une transition civile entre des présidents démocratiquement élus. Quels enseignements pour l’Afrique peut-on tirer de cette passation pacifique du pouvoir ?
Il faut le dire, cette question de la transition démocratique a toujours été d’actualité en Afrique. Pour le Niger, c’est la première fois qu’il vit cette transition démocratique civile. C’est la première fois qu’on assiste à cette passation de pouvoir entre un président sortant élu et un président entrant également élu. C’est quand même un évènement dans l’histoire politique et démocratique du Niger.
Alors, l’enseignement qu’on peut tirer de cet évènement est de deux ordres majeurs. Le premier est que cette passation du pouvoir civil marque le crépuscule, sinon la fin des moyens et procédés non démocratiques d’accession au pouvoir. Pour la première fois, nous constatons qu’on a en face des acteurs politiques, des dirigeants qui ont une compréhension des procédés démocratiques dont ils doivent faire usage pour conquérir le pouvoir.
Cette compréhension par les acteurs politiques, je pense qu’elle était inévitable pour tous les observateurs avertis de l’histoire politique sachant très bien les conditions dans lesquelles le président sortant est arrivé au pouvoir : à la suite d’une transition militaire. Je pense que c’était un moment inévitable et ça confirme cette compréhension. Désormais, nous avons des acteurs politiques et dirigeants qui comprennent que pour accéder au pouvoir, il faut l’approbation populaire et respecter les règles démocratiques et constitutionnelles.
Dans un second temps, cette passation de pouvoir entre civils permet donc de faire un premier pas vers les usages et pratiques d’une bonne santé politique du Niger. Cette transition démocratique devrait être le début d’une ère marquée par l’attitude du « gentleman politique » consistant à avoir un sens élevé de l’éthique et de la morale en politique. C’est aussi l’idée qui permettra de mieux consolider les acquis démocratiques.
C’est peut-être un peu tôt pour juger la santé politique du Niger, mais je pense que dans quelques années, nous aurons des signaux plus précis qui nous permettront de la jauger.
Peut-on dire que la personnalité politique du président sortant Issoufou Mahamadou a été déterminante dans l’avènement de cette transition démocratique ?
Comme je l’ai dit, cette transition était prévisible et inévitable. Pour ceux qui connaissent un peu l’histoire politique et constitutionnelle du Niger, il y a eu quand même des coups d’État militaires qui ont provoqué l’impasse institutionnelle. Le président sortant était élu à la suite d’une transition militaire et la constitution actuelle limite l’exercice du pouvoir à deux mandats présidentiels. Est-ce qu’il avait le choix ? Je dis encore que c’était inévitable.
Toutefois, on devrait saluer la personnalité du Président sortant qui a respecté sa parole donnée, car il avait promis respecter la limitation du nombre de mandats présidentiels et organiser une transition civile du pouvoir. En ce sens, nous pouvons bien dire qu’il a respecté sa parole au terme de ses deux mandats. Sa personnalité politique y est donc pour quelque chose et révèle une certaine éthique et morale politique.
A propos du respect de la parole donnée, il y a eu des présidents qui ont promis de se limiter à deux mandats constitutionnels avant de se rétracter, d’autres continuent d’entretenir le flou sur la question du troisième mandat, et d’aucuns l’ont obtenu dans des circonstances de contestation populaire. À partir de ce moment, peut-on dire que le troisième mandat est devenu en Afrique, une « abomination démocratique » ?
Vous savez, il y a deux courants de pensée sur cette question. D’une part, il existe ceux qui pensent qu’en démocratie le peuple a la possibilité de renouveler sa confiance au prince autant de fois qu’il souhaite le maintenir au pouvoir. Tout dépend donc des constitutions des États. Il arrive que les constitutions, dans certains États, autorisent des renouvellements réguliers de la confiance du peuple aux dirigeants.
D’autre part, vous avez des États dans lesquels la Constitution n’autorise pas le renouvellement du mandat de façon illimitée. Selon que l’on est dans l’un ou l’autre des cas, il faut savoir apprécier les situations en tenant compte de leurs contextes. Dans les États où la Constitution impose une limitation du mandat présidentiel à deux fois uniquement, on peut dire que le troisième mandat est banni par la démocratie.
Avec ce qui s’est passé au Niger, on peut bien parler d’une leçon donnée aux États et aux dirigeants qui avaient l’intention de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir ainsi que ceux qui entretiennent le flou sur l’éventualité d’un troisième mandat. Je dirais même qu’il s’agit d’un appel à savoir raison garder lancé à ces dirigeants des pays où la Constitution offre des possibilités de révisions opportunistes.
Ailleurs en Afrique tout comme particulièrement au Niger, l’organisation des élections est souvent émaillée d’incidents aboutissant à la restriction des libertés dans l’espace public et des droits humains en général (interruption de la connexion internet et interdiction presque systématique des manifestations sur la voie publique). Qu’est-ce qui explique que le couple « élection et libertés publiques » ne fait pas bon ménage ?
Ce qu’il faut retenir est que l’espace des libertés est un étalon de mesure de la démocratie dans un État. J’ai tantôt parlé de l’élévation d’une certaine éthique politique. Lorsque, dans le cadre d’un processus électoral, vous avez des acteurs qui ne sont pas empreints de l’élévation de cette éthique, des acteurs peu respectueux des règles du jeu démocratique, vous assisterez à une méconnaissance des règles fondamentales du processus électoral.
En pareille occasion, bien évidemment, comme je l’ai dit, ce manque de maturité politique et de la culture de l’éthique va inciter les autorités à restreindre le champ des libertés. Ce qui entraîne à avoir d’un côté des libertés froidement mises à l’épreuve par des dirigeants qui sont peu soucieux des règles faisant corps aux exigences de l’État de droit.
La liberté de manifestation, à titre illustratif, est consacrée par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La plupart de nos États ont incorporé dans le préambule de leur Constitution cet instrument juridique. Dès lors, ce Pacte intègre leur droit constitutionnel et fait désormais partie de leur bloc de constitutionnalité. La liberté de manifestation acquiert de ce fait une valeur constitutionnelle et devrait être garantie.
L’observation générale n° 35 du Comité des droits de l’homme a porté sur la liberté de manifestation. Au sens de cette observation générale, il ne peut être apporté aucune restriction à la liberté de manifestation parce que son exercice relève d’un ordre spontané. Aujourd’hui, on constate dans nos États une pratique qui tend vers une interdiction presque systématique des manifestations sur la voie publique malheureusement.
S’agissant toujours de la liberté de manifestation, on constate qu’elle est variablement consacrée selon l’état du droit positif de chaque pays. A titre illustratif, l’État du Sénégal est passé d’un « régime d’autorisation » à un « régime de déclaration ». C’est-à-dire, pour organiser une manifestation sur la voie publique, on a juste besoin de la déclarer aux autorités compétentes. Mais au Niger, le régime des manifestations sur la voie publique est celui de l’autorisation. Que pensez-vous de cette situation ?
A ce niveau, l’éthique ainsi que la morale politique tantôt évoquées permettent d’apprécier concrètement le niveau de vitalité démocratique des États. J’ai parlé tantôt de l’observation générale 35 relative à l’application de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui consacre le droit de réunion pacifique. Lorsque vous parcourez cette observation, vous n’allez voir nulle part où il est dit qu’il faut une autorisation pour organiser une manifestation publique. Il est juste dit qu’il faut informer l’autorité compétente.
Lorsque vous avez malheureusement une législation qui institue une autorisation pour l’exercice de la liberté de manifestation, on se retrouve alors en présence d’un contraste législatif qui méconnaît le droit international des droits de l’homme.
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