« Le législateur togolais n’a malheureusement pas prévu de véritables mesures pertinentes pouvant servir d’alternatives à la détention », entretien avec Maître Gilles Kokou Fafadji Anani, avocat au barreau du Togo

WATHI est allé à la rencontre de Maître Gilles Kokou Fafadji Anani, avocat au barreau du Togo. Dans cet entretien, il évoque les causes de la surpopulation carcérale au Togo et relève les droits humains en souffrance dans les prisons togolaises.

 

Biographie :

Avocat au Barreau du Togo et membre du Conseil de l’ordre dont il est le Secrétaire, Maître Gilles Kokou Fafadji Anani est le représentant du barreau au sein de la Commission de la mise en place de l’aide juridictionnelle et de la Commission nationale de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des affaires (OHADA).

Entretien :

Pouvez-vous identifier des pratiques judiciaires ou des dispositions du code pénal et de procédure en la matière qui ne favorisent pas la baisse de la population carcérale ?

En ce qui concerne le Togo, je dirai que la surpopulation carcérale est moins due à des dispositions légales du code pénal ou de procédure pénale. À mon avis, il y a un grand nombre de pratiques judiciaires qui ne favorisent pas le désengorgement des prisons.

Par exemple, il est très courant de relever une mise sous mandat de dépôt systématique de personnes  déférées devant le Procureur, quel que soit l’infraction à elles  reprocher. La promptitude à mettre sous mandat de dépôt les personnes supposées être en conflit avec la loi entraine inévitablement l’augmentation de la population carcérale alors que dans certains cas, on se rend compte  que la personne aurait pu bénéficier d’une liberté provisoire ou même d’une libération définitive.

Le Procureur qui reçoit une personne déférée par l’unité d’enquête n’a souvent pas le temps d’écouter le mis en cause, encore moins d’écouter la partie plaignante, qui n’est pas toujours présente lors du déferrement. Une rapide vérification d’identité et un survol des faits reprochés à la personne contenus dans le procès-verbal d’enquête préliminaire suffisent à ce qu’il soit ordonné son placement sous mandat de dépôt et donc déposé à la prison. Ce n’est qu’ensuite que son procès-verbal sera confié à un substitut pour étude et audition de la personne en détention.

Après un long séjour carcéral sous mandat de dépôt, si le Procureur estime nécessaire de renvoyer l’affaire en jugement, c’est  à ce moment qu’il faudra préparer le dossier du mis en cause qui devra suivre plusieurs étapes avec toute la lenteur et la lourdeur de l’appareil administratif préposé à ce travail, avant sa programmation à une audience correctionnelle.

Si le Procureur estime être en besoin d’ouvrir une information, le dossier sera transmis à un juge d’instruction. Ce dernier, alors que le Cabinet regorge déjà de plusieurs dossiers de personnes croupissant en prison en attente d’être jugées, mettra un certain temps avant de :

  • Prendre connaissance des éléments de ce nouveau dossier,
  • Programmer l’audition de la partie civile pour la confirmation de sa plainte,
  • Programmer la simple audience de notification de charges à la personne inculpée,
  • Prévoir un autre jour pour l’audition au fond,
  • Programmer d’éventuelles audiences de confrontations,
  • Décider de renvoyer la personne devant une juridiction de jugement qui, à son tour, prendra du temps à programmer une audience à cet effet.

A ce marathon administratif et judiciaire, s’ajoutent les situations où le juge insiste pour régler le dossier à son Cabinet au lieu de clôturer l’information et de renvoyer les parties en jugement s’il estime ne pas vouloir accorder de liberté provisoire. Il y a autant d’actes, parfois non nécessaires, à poser avant la décision finale de condamnation ou de libération du détenu, et pendant tout ce temps, des personnes innocentes ou d’autres dont les dossiers pouvaient être réglés plus tôt demeurent encore en prison, favorisant l’augmentation de la population carcérale.

Le Procureur qui reçoit une personne déférée par l’unité d’enquête n’a souvent pas le temps d’écouter le mis en cause, encore moins d’écouter la partie plaignante, qui n’est pas toujours présente lors du déferrement

En fait, il s’agit d’une question de mentalité qui doit être résolue par une campagne de sensibilisation des magistrats tant du Parquet que de l’Instruction.

Quels sont les droits humains en souffrance dans les prisons que vous avez pu constater ou qui vous sont généralement rapportés par les détenus ?

Le milieu carcéral est malheureusement un endroit où il semble que la seule présence signifie une présomption de culpabilité et cela est prouvé par le délaissement des prisonniers dans un dénuement total. Il est fréquent de relever la violation du droit de vivre dans un milieu sain et décent d’autant plus que les cellules, les toilettes et autres endroits des prisons sont extrêmement sales.

Le droit à la santé n’existe pratiquement pas dans les prisons car un détenu malade doit se retrouver dans un état où son pronostic vital est engagé pour être admis à l’infirmerie et en cas de besoin être transféré à l’hôpital. Ce qui occasionne parfois des morts de détenus en prison que les codétenus doivent prendre en charge pour l’évacuation, sans compter la qualité très légère des soins médicaux apportés. Le droit à l’accès à une alimentation est aussi un problème car la qualité de la nourriture servie aux détenus laisse à désirer.

Nous notons également des difficultés liées au droit de communiquer avec les proches et de recevoir des visites car les parents des détenus subissent toute sorte de tracasseries dans l’enceinte des lieux d’incarcération rien que pour pouvoir les rencontrer. Même munis d’une autorisation de visite délivrée par l’autorité judiciaire, les parents devront négocier avec les gardes pénitenciers soit pour avoir à nouveau le droit de s’entretenir avec le détenu ou pour prolonger le temps de causerie. Il arrive parfois que le détenu ou ses parents fassent l’objet de racket et de chantage dans l’enceinte carcérale pour un entretien.

Il y a autant d’actes, parfois non nécessaires, à poser avant la décision finale de condamnation ou de libération du détenu, et pendant tout ce temps, des personnes innocentes ou d’autres dont les dossiers pouvaient être réglés plus tôt demeurent encore en prison, favorisant l’augmentation de la population carcérale

 Quelles sont les difficultés liées à l’application de mesures alternatives à la détention préventive ou à l’exécution aménagée des peines en dehors du milieu carcéral ? Quelles sont les orientations à donner à la politique pénale ou les réformes à mener pour venir à bout de la surpopulation carcérale ?

Le législateur togolais n’a malheureusement pas prévu de véritables mesures pertinentes pouvant servir d’alternatives à la détention préventive ou permettant une exécution aménagée des peines en dehors du milieu carcéral. Par conséquent, le juge, lorsqu’il doit statuer sur un cas qui nécessite une condamnation, n’a d’autre choix que d’appliquer la loi sans pouvoir recourir à une alternative laissée à son appréciation.

Il est vrai qu’il est prévu une peine avec sursis. Pour autant, cela n’empêche pas que la personne poursuivie retourne en prison pour au moins le reste de sa peine, sauf si la durée de la détention avait couvert la peine.

Il importe donc que les décideurs politiques comprennent la nécessité d’initier une véritable politique pénale et des réformes tenant compte, entre autres, de la construction de nouvelles prisons, de l’extension des prisons existantes, de l’amélioration des conditions de vie en milieu carcérale, de la mise en place de mesures alternatives comme la mise en liberté sous caution, le contrôle judiciaire, le port de bracelets électroniques et la mise en place de politique de réinsertion sociale. Ce sont autant de mesures qui permettront qu’une personne en prison sache qu’elle n’est pas définitivement exclue de la société et qu’elle garde encore sa dignité.

Le droit à la santé n’existe pratiquement pas dans les prisons car un détenu malade doit se retrouver dans un état où son pronostic vital est engagé pour être admis à l’infirmerie et en cas de besoin être transféré à l’hôpital

Quel est votre dernier mot ?

Je voudrais exprimer mes remerciements au think tank WATHI, au programme pour la promotion de l’Etat de droit de la Fondation Konrad Adenauer Stiftung pour l’opportunité qu’il nous offrent  de nous exprimer à travers l’organisation de colloques en présentiel et de webinaires sur des thèmes aussi importants  que celui des conditions et du respect des droits humains dans les lieux de détention.

En effet, il s’agit d’un thème qui concerne tous les citoyens que nous sommes indépendamment de notre rang social car il est possible qu’un jour, à tort ou à raison, nous nous retrouvions dans un milieu carcéral et ce n’est qu’à ce moment que nous découvrirons la dure réalité du milieu carcéral.

 


 

PS : Cet entretien avec Maître Gilles Kokou Fafadji Anani s’est tenu à l’occasion de la table ronde virtuelle organisée par WATHI en partenariat avec la Konrad Adenauer Stiftung le 18 mai 2021 de 15h à 17h GMT, sur le sujet «Les conditions et le respect des droits humains dans les lieux de détention : quelles réformes  en Afrique de l’Ouest ? ».

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