Auteur : Fédération des Journalistes Africains
Organisation affiliée : Fédération Internationale des Journalistes
Type de publication : Rapport
Année de publication : 2020
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Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Introduction
Quelques jours après que le Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Ghebreyesus, a annoncé le 11 mars que le Covid-19 pouvait être qualifié de pandémie, les dirigeants de la FIJ ont commencé à débattre de la convocation d’un groupe de travail de la FIJ issu de toutes ses régions pour discuter de l’impact de la pandémie sur nos syndicats, leurs membres et le journalisme dans les différentes régions et les différents pays. La vidéoconférence a eu lieu le 24 avril, mettant la touche finale à un document intitulé « La Plateforme mondiale de la FIJ pour un journalisme de qualité » qui a finalement été lancé le 29 avril.
Destinée aux affiliés de la FIJ, aux groupes régionaux et à la communauté des médias, la Plateforme a mobilisé en quelques jours le soutien de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de toutes les fédérations syndicales mondiales, représentant plusieurs centaines de millions de travailleurs. De nombreux affiliés ont très vite mobilisé leurs affiliés, syndicats membres et sympathisants pour impliquer les gouvernements et les employeurs afin de garantir que les journalistes et les travailleurs des médias soient protégés et puissent circuler librement pendant le confinement en faisant leur travail et qu’ils aient les moyens de vivre et de travailler décemment malgré la crise économique causée par le virus.
La pandémie du Covid-19 en Afrique
Alors que les études comparatives font les gros titres, les plus récentes confirment en Afrique un taux de transmission plus lent, en grande partie en raison de facteurs sociaux et environnementaux, et d’une population plus jeune qui a bénéficié de la lutte contre les maladies transmissibles telles que le VIH et la tuberculose qui ont contribué à réduire les vulnérabilités. De nouvelles études ont mis en évidence un scénario plus grave, où 83.000 à 190.000 personnes pourraient mourir du Covid en Afrique avec un taux d’infection atteignant entre 29 et 44 millions au cours de la première année de la pandémie.
Certains gouvernements ont déjà commencé à fixer des objectifs pour une réouverture progressive, mais ils resteront cependant liés aux conseils qu’ils reçoivent des institutions médicales mondiales, de sorte que nous pouvons voir qu’ils peuvent annuler leurs actions à court terme si une deuxième vague d’infections oblige à imposer un nouveau confinement.
Cette enquête n’est pas une étude sur la santé, mais il est essentiel de comprendre comment les mesures prises par les autorités et leur impact sur la survie des médias, tels que décrits par les affiliés de la FAJ, pourraient devenir un dispositif incontournable pour les années à venir.
Que dit l’enquête de la FAJ ?
Le constat dominant montre que le virus a frappé tous les pays de la région alors que les gouvernements se précipitaient pour déployer des programmes de protection spéciale mis en place par les institutions médicales mondiales. Son impact sur les rédactions et le secteur des médias était invariablement qualifié de « négatif ». FESYTRAC, du Congo Brazzaville, a décrit de la meilleure manière que « le Covid-19 a eu un impact négatif dans le secteur des médias, car les libertés fondamentales, le droit au travail, la libre circulation des personnes et des biens étaient restreints par l’état d’urgence sanitaire (…) ». SINJOTECS, de Guinée-Bissau, a estimé que l’impact était « significatif », tandis que le GJA du Ghana l’a décrit comme « ayant un impact dévastateur sur tous les secteurs de l’économie, toutes les dimensions de la vie nationale et toutes les catégories de travailleurs, y compris les journalistes ».
- Comment l’état d’urgence a affecté les rédactions
Peu de gouvernements ont abordé les journalistes et les travailleurs des médias différemment du reste des travailleurs et des citoyens. Plus de 50% des syndicats interrogées ont déclaré que leur gouvernement n’avait entrepris aucun effort spécifique pour atténuer l’impact physique du virus sur les lieux de travail des médias. « Le gouvernement n’a pas fourni un tel soutien ou des conseils au secteur des médias », a déclaré le GPU (Gambie) et cela a été repris par le SINJOTECS de Guinée-Bissau : « Aucune recommandation spécifique pour le secteur des médias » ; ce qui trouve un écho dans les déclarations de l’UJT du Tchad « un plan d’urgence gouvernemental comprenant un soutien pour opérateurs économiques, une assistance sociale aux groupes vulnérables mais rien pour le secteur de la presse » ; et du SYNAPCCI de Côte d’Ivoire « Le gouvernement n’a jusqu’à présent rien fait pour le secteur des médias, à part fournir quelques masques et autres équipements d’hygiène ».
Plus de 50% des syndicats interrogées ont déclaré que leur gouvernement n’avait entrepris aucun effort spécifique pour atténuer l’impact physique du virus sur les lieux de travail des médias
Un autre impact important des mesures d’urgence des gouvernements a été la restriction de la liberté de circulation des journalistes. Dans l’ensemble, les gouvernements ont commencé par traiter les journalistes comme des citoyens ordinaires sans prendre en compte ce qu’il leur fallait pour faire leur travail de journalistes, ce qu’ils auraient dû faire spontanément. L’UJIT du Togo a bien décrit les journalistes « en première ligne jour et nuit pour informer, sensibiliser et éduquer les citoyens sur la pandémie ». Mais l’UNIJOM du Mali a observé que « les mesures préventives telles que le couvre-feu initié par le gouvernement ont sérieusement affecté le travail, en particulier dans le secteur des médias ».
Aucun chiffre définitif n’a été fourni par les répondants en ce qui concerne la santé des journalistes, sauf en Guinée Bissau où deux journalistes infectés ont été isolés en quarantaine et en Guinée Conakry, qui cite 30 cas positifs parmi les journalistes, mais heureusement aucun décès.
- Des conséquences économiques désastreuses
La récession historique de l’économie devrait atteindre 7% et le pronostic pour les marchés émergents et les pays en développement, comme en Afrique, devrait atteindre 2,5%, ce qui représente la plus faible performance de ce groupe depuis au moins 60 ans (Perspectives économiques mondiales de juin 2020). Si la crise devait se poursuivre, divers pronostics prévoient une situation encore plus désastreuse : les entreprises, qui auront des difficultés à rembourser leur dette et verront leurs coûts d’emprunt augmenter, feront faillites avec défauts de paiement, aboutissant à une chute de la croissance mondiale de près de 8% en 2020.
Dans leurs réponses, les syndicats de journalistes africains ont indiqué que seulement 60% des gouvernements avaient mis en place des mesures de relance pour soutenir l’activité économique et la croissance. (…) au Mali, un programme d’une valeur de 500 milliards de francs CFA a été mis à la disposition des secteurs d’emploi touchés ; et au Sénégal, un plan d’allègement fiscal d’un montant de 200 milliards de francs CFA a été convenu (…).
Les syndicats de journalistes africains ont indiqué que seulement 60% des gouvernements avaient mis en place des mesures de relance pour soutenir l’activité économique et la croissance
S’il est clair que, dans tous les pays, l’industrie du secteur des médias a été frappée par les effets du virus, certains étant déjà sous le choc d’une série de coups durs dus à une baisse des ventes et à une perte de publicité, seuls 20% des gouvernements ont répondu spécifiquement à la crise des médias d’information. En Côte d’Ivoire, le gouvernement a annoncé un fonds de soutien, mais les détails restent inconnus.
Au Sénégal, le gouvernement a doublé l’aide à la presse de 700 millions de francs CFA à 1,4 milliard et a annoncé un fonds spécial pour soutenir les entreprises et le secteur des médias. Au Togo, le gouvernement a augmenté l’aide à la presse de 50%, de 100 à 150 millions de francs CFA, alloués à 180 organes de presse, huit chaînes de télévision et 56 stations de radio.
- Licenciements, fermetures et indignation au sujet des salaires : la crise dans nos rédactions
Il va sans dire qu’il serait surprenant qu’aucun employeur du secteur des médias n’ait profité de cette crise pour réorganiser la façon dont le travail est effectué et, notamment, réduire sa masse salariale, faire des économies et créer une main-d’œuvre plus flexible et souple. C’est exactement ce que beaucoup font, déclenchant un régime de peur où les vagues d’attaques contre les conditions de travail des journalistes se succèdent.
Près de 100% des répondants ont décrit cet assaut sur les emplois dans les termes les plus explicites. Partout ailleurs, les vagues massives de licenciements sont allées au-delà de la tragédie personnelle et institutionnelle pour devenir le plus grand ralentissement de l’histoire du journalisme africain.
« L’ensemble de la presse privée, qui représente plus de 90% de l’espace médiatique, subit la crise de plein fouet… De nombreux journaux ne paraissent plus ou paraissent brutalement lorsqu’une opportunité d’être imprimés leur est offerte ; d’autres changent même leur format de tabloïd en A4 » (UJT, Tchad). « Il y a eu des suppressions d’emplois dans quelques groupes de presse bien qu’elles n’aient pas encore annoncé publiquement de crise » (GPU, Gambie). « Environ 35% des journalistes et techniciens ont été mis au chômage technique avec seulement 70% de leur salaire » (SYNPICS, Sénégal). « À ce jour, aucun média n’a fermé. Seuls les employeurs ont réduit leur horaire de travail » (UJIT, Togo).
- Comment les organisations de journalistes survivent-elles ?
Certaines activités telles que les congrès ou les réunions de dirigeants et de militants ont été retardées ou annulées en raison de l’état d’urgence et du confinement. Dans de nombreux cas, les syndicats ont joué un rôle plus solide que les employeurs, impliquant les institutions gouvernementales sur les questions de survie du journalisme et surveillant les conditions de travail de leurs membres, fournissant même des conseils sur la sécurité et des conseils sur toute une gamme de questions allant de la sécurité à l’éthique en passant par le droit du travail.
Deux syndicats se démarquent : ils ont négocié la sauvegarde d’emplois et de salaires dans des conditions difficiles. Le KUJ (Kenya) a poursuivi deux sociétés de médias en justice pour les forcer à traiter les réductions de salaires qu’elles voulaient imposer comme des dettes que les sociétés devraient rembourser une fois la normalité revenue. Il a gagné. La deuxième réalisation a été la négociation d’un protocole d’accord avec la fédération des employeurs pour éviter les licenciements obligatoires et négocier une procédure pour convenir d’autres mesures de réduction des coûts.
La voie à suivre
Alors que les journalistes et leurs dirigeants et militants débattent de ce qui serait nécessaire pour assurer la survie du journalisme, les employeurs restent paralysés et incapables de proposer de grandes idées, en dehors de faire des déclarations apocalyptiques. Au Mali, par exemple, l’Association des éditeurs de presse privée (ASSEP) prévoit que la presse perdra près de 3 milliards de francs CFA en deux mois si rien n’est fait. Le Congo Brazzaville semble être l’exception après que les rédacteurs en chef et les responsables de la diffusion ont convaincu le gouvernement de créer un fonds. Il a trouvé 100 milliards de francs CFA.
Les employeurs restent paralysés et incapables de proposer de grandes idées, en dehors de faire des déclarations apocalyptiques
L’Union des journalistes tchadiens a célébré la Journée mondiale de la liberté de la presse 2020 dans un format de « réflexion et de consultation » impliquant tous les médias et le résultat a été soumis au gouvernement. Ailleurs, l’image est assez désespérée. Au Ghana, aucune des groupes de presse concernés n’a proposé de programme de redressement, même si le syndicat a fait allusion à des plans de recalibrage des médias. Au Soudan du Sud, aucun média n’a annoncé de plan de relance bien que la situation financière de certains médias risque de se détériorer. Une fois le confinement terminé, la plupart des syndicats se sont engagés à prendre l’initiative de lancer des campagnes pour sauver le journalisme dans leur pays.
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