Auteur : Sérigne Abdou Khadre SY
Organisation affiliée : Ceracle
Type de publication : Article
Année de publication : 2020
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Soixante ans après les indépendances, les changements anticonstitutionnels de gouvernement continuent de représenter un défi majeur de gouvernance en Afrique. Survenant par la force des armes ou à travers un subtil remodelage des Constitutions ne conservant qu’une apparence de légalité, ce phénomène est récurrent sur le continent noir et génère de lourdes menaces, de violences et d’instabilité.
Préalablement, il est important de caractériser les changements anticonstitutionnels de gouvernement pouvant affecter l’institution étatique. Pour l’essentiel, nous pouvons retenir, entre autres, coup d’État militaire, coup d’État constitutionnel ou bien même sédition qui, parfois, est légitimée par certaines dispositions constitutionnelles.
Dans cette dynamique, après ce que l’on a pu espérer comme étant une trêve à partir de 2005, une statistique permet de déceler que le continent a connu pas moins de neuf (9) coups d’État en une décennie répertoriés dans toutes les régions d’Afrique : Mauritanie (2008), Guinée (2008), Madagascar (2009), Niger (2010), Guinée-Bissau (2012), Mali (2012), Égypte (2013), République Centrafricaine (2013) et Mali (2020). Sans prétendre épuiser les raisons possibles de cet état de fait, il nous paraît qu’il existe au moins deux facteurs susceptibles d’être évoqués dans l’explication du phénomène constaté.
A première vue, il faut noter que les Constitutions africaines élaborées après les indépendances en déphasage avec nos réalités sociales, culturelles et religieuses ont, en quelque sorte, reproduit une bonne partie de la Constitution française du 4 octobre 1958 (…) A seconde vue, après le départ des « féticheurs constitutionnels », la plupart des constitutions sont issues de « l’ingénierie constitutionnelle locale » des constitutionnalistes africains qui mènent un office auprès des gouvernants africains pour la mise en œuvre d’une bonne Constitution.
Seulement, à rebours de cet effort pour un meilleur constitutionnalisme africain permettant à l’Afrique d’entrer dans une ère de renouveau démocratique, le continent continue d’être persécuté par des « coups de grâce constitutionnels » pérennisant, bien évidemment, les coups d’État militaires et l’arrivée des hommes de caserne au pouvoir.
Après ce que l’on a pu espérer comme étant une trêve à partir de 2005, une statistique permet de déceler que le continent a connu pas moins de neuf (9) coups d’État en une décennie répertoriés dans toutes les régions d’Afrique
Un rappel historique permet de constater que le Mali à l’image du Bénin avant la Constitution du 11 décembre 1990 a, toujours, eu des soubresauts avec des conséquences néfastes relativement à la bonne marche de l’appareil d’État. Il est utile de constater que depuis 1968, ce pays est secoué par des « inconstances institutionnelles ». Dans ce sens, arrivé au pouvoir en 1968 par coups d’État, le Président Moussa TRAORE perdra la direction de l’institution présidentielle en 1991 par le même modus operandi.
De la même manière, le 22 mars 2012, le Président Amadou Toumani TOURE, élu démocratiquement en 2002 et réélu en 2007 a été renversé à quelques semaines de l’expiration de son mandat par la junte militaire qui s’est constituée en Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE).
Son porte-parole, le lieutenant Amadou Haya SANOGO a fait une déclaration à la télévision nationale malienne annonçant la suspension de la Constitution et la dissolution des institutions de la République. Il justifie sa forfaiture par l’incapacité du Gouvernement à donner aux forces armées les moyens nécessaires pour défendre l’intégrité du territoire national en proie à la rébellion armée sévissant au nord du Mali.
La dernière tentative au Mali et, d’ailleurs, la plus récente en date du 18 août 2020 qui fait l’actualité est le renversement du système politique et le départ forcé du Président Ibrahim Boubacar KEÏTA. Pour cette dernière prise de pouvoir par les militaires, les figures de proue de la mutinerie qui s’est transformée en une tentative de coup d’État sont trois officiers supérieurs : le général Cheick Fantamady DEMBELE, les colonels DIAW et Mama Sékou LELANTA.
l’idée dominante était de barrer la route à ceux reconnus comme ayant la « nationalité ivoirienne dans la poche gauche et une autre nationalité dans la poche droite » ; plus exactement, il s’agissait d’un coup d’État constitutionnel devant tenir à l’écart certains candidats
Dans cette mouvance, la persistance des changements anticonstitutionnels de gouvernement peut être symbolisée par des coups d’État constitutionnel. Ce dernier recouvre quant à lui une réalité assez récente. En effet, il ne constitue qu’une des modalités, que l’on pourrait qualifier de « raffinée » des mutations anticonstitutionnelles de gouvernement. Le coup d’État classique est mené afin de renverser l’ordre constitutionnel existant, celui constitutionnel est par contre fomenté par un des organes de l’ordre constitutionnel existant (l’exécutif) afin de modifier la Constitution.
Cela étant, dans les ordonnancements juridiques d’Afrique francophone, il ne peut avoir lieu qu’avec la complicité d’autres organes de l’ordre constitutionnel subsistant, et le plus souvent, les Cours constitutionnelles. Quel que soit le nom attribué à ces dernières, les systèmes constitutionnels internes leur ont donné les voies et moyens juridiques de pouvoir accepter ou non les modifications constitutionnelles souhaitées par l’exécutif. Or, rares sont celles ayant exercé ce pouvoir de refus.
Avant d’entrer dans le fond, il est important de clarifier le concept de coup d’Etat constitutionnel. Ainsi, il peut être entendu comme tout toilettage de la Constitution dans le sens d’une monopolisation du pouvoir ou dans la perspective de renforcer la domination des gouvernants traduisant, à coup sûr, « une fraude à la Constitution ». Aussi convient-il d’observer que ces coups d’État constitutionnel peuvent être sériés. Dans ce sens, la Constitution peut être rejetée compte tenu de certaines dispositions discriminatoires qui y sont insérées. De la même manière, la Constitution peut être réclamée contre les velléités de tripatouillage de celle-ci.
Dans la première hypothèse, la crise est née du rejet de la Constitution considérée comme discriminatoire ou exclusionniste ; on peut, à cet égard, retenir l’exemple ivoirien. La Constitution ivoirienne du 1er août 2000 fut, à l’époque, élaborée dans une ambiance de grande tension où l’idée dominante était de barrer la route à ceux reconnus comme ayant la « nationalité ivoirienne dans la poche gauche et une autre nationalité dans la poche droite » ; plus exactement, il s’agissait d’un coup d’État constitutionnel devant tenir à l’écart certains candidats. L’article 35 du texte, donnant effet à cette préoccupation, prévoyait, entre autres, que « le candidat à l’élection présidentielle doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère, eux-mêmes Ivoiriens d’origine ».
Dans la seconde hypothèse, la crise est ravivée à cause du refus par le peuple de la modification des dispositions constitutionnelles considérées comme intangibles. Le cas du Burundi fut, à l’époque, d’une actualité brûlante. Les accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000 conclus pour mettre fin à une interminable guerre civile avaient retenu le principe de la limitation du mandat présidentiel25.
Ledit principe a été posé par l’article 75 alinéa 3 desdits accords aux termes duquel « nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Dans ce sens, le Président Pierre NKURUNZIZA estimant qu’il tenait son premier mandat du parlement (suffrage universel indirect) et non du peuple (suffrage universel direct) avait cru pouvoir briguer un troisième mandat perdant ainsi de vue l’esprit des textes régissant le pouvoir présidentiel.
Un autre exemple plus récent fut celui du Burkina Faso où le peuple revendique le respect de la Constitution. En effet, le Président Blaise COMPAORE avait entrepris de mettre en mouvement la procédure de révision de la Constitution du 02 juin 1991 qui, par une loi constitutionnelle en date du 11 avril 2000 (la loi n° 003-2000/AN du 11 avril 2000), prévit en son article 37 que « le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois ». Contre cette volonté controversée de remettre en cause la disposition constitutionnelle relative au mandat présidentiel, le chef de fil de l’opposition appelle à la désobéissance civile le 28 octobre 2014.
Parallèlement, la situation conflictuelle en Afrique teintée de frénésie mue à la neutralisation des Constitutions aboutissant, à coup sûr, à la déliquescence des régimes politiques africains n’a pas laissé indifférentes les organisations d’intégration communautaire en l’occurrence l’Union Africaine (UA) mais également la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Les vents de démocratisations qui ont soufflé depuis 1990 avec l’organisation des conférences nationales souveraines et l’émergence d’une justice constitutionnelle très active comme protectrice de la Constitution, l’Afrique est toujours bouleversée par la scissiparité des coups d’État miliaires ou constitutionnels contre la monarchisation à outrance des exécutifs
Au moyen de deux instruments juridiques, le « législateur communautaire » ouvre un « boulevard pacifique » qui conduit, directement, l’ensemble des Etats à solutionner les questions déstabilisant l’ordre constitutionnel et infligeant, bien évidemment, un « coup de fouet » à la démocratie politique. Il s’agit justement du Protocole de la CEDEAO/A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de sécurité mais surtout et, plus précisément, de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Ainsi, le chapitre II du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, intitulé « des modalités de mise en œuvre et des sanctions » énumère des sanctions pour que la sous-région ouest africaine soit épargnée des crises. Plus précisément, l’article 45 qui est le siège conventionnel des sanctions, précise qu’« en cas de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce soit et en cas de violation massive des Droits de la Personne dans un État membre, la CEDEAO peut prononcer à l’encontre de l’État concerné des sanctions. »
Des réflexions analogues peuvent, mutatis mutandis, être faites au sujet de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Pour l’essentiel, le chapitre 8 intitulé « Des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement » prévoit, dans une certaine mesure, les déterminants du dispositif répressif en cas d’éventuelles situations. La Charte prévoit que les auteurs des changements anticonstitutionnels de gouvernement peuvent aussi être poursuivis dans leurs États ou faire l’objet d’extradition s’ils sont à l’étranger dans un État partie, et ne peuvent être accueillis ou se voir accorder l’asile par l’État partie.
En outre, d’autres formes de sanctions, y compris les sanctions économiques peuvent être appliquées par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement. De plus, la Charte prévoit aussi d’imposer des sanctions à l’encontre de tout État partie qui fomente ou soutient un changement anticonstitutionnel de gouvernement dans un autre État.
A la lumière de cette modeste contribution, nonobstant les élections avec des Présidents démocratiquement élus, les vents de démocratisations qui ont soufflé depuis 1990 avec l’organisation des conférences nationales souveraines et l’émergence d’une justice constitutionnelle très active comme protectrice de la Constitution, l’Afrique est toujours bouleversée par la scissiparité des coups d’État miliaires ou constitutionnels contre la monarchisation à outrance des exécutifs.
Pour une énième fois, le bruit des bottes foulant au pied les sanctions des instruments juridiques africains comme le Protocole de la CEDEAO (2001) sur la démocratie, les élections et la bonne gouvernance et la Charte africaine de la démocratie (2007), la junte militaire malienne renversa le 18 août 2020 le président de la République pour encore aboutir à un « nouveau marathon constitutionnel » qui, à coup sûr, mettra, sans commune mesure, le pays dans une instabilité politique et, peut-être, constitutionnelle.
Pour parer à cette situation, la CEDEAO compte-tenu de la situation actuelle marquée par la pandémie de la Covid-1942 a organisé une réunion en mode visioconférence pour condamner ce modus faciendi des militaires et promeut, ipso facto, le rétablissement de l’ordre constitutionnel avec un embargo et une éventuelle intervention militaire. D’ailleurs, le 22 août 2020 lors du dernier sommet, en mode virtuel, des Chefs d’États de la CEDEAO, le Président Umaro Sissoco EMBALO de la Guinée-Bissau, sur un « ton ironique », considère qu’: « un coup d’État militaire est forcément condamnable mais s’il faut intervenir militairement au Mali, il faut aussi condamner et intervenir à tous putschs qui permettent aux Présidents de faire un troisième mandat dans leurs pays ».
En toile de fond, un tel discours semblerait jeter le discrédit sur le référendum du 22 mars 2020 organisé par le Président Guinéen Alpha CONDE aux fins d’un « artifice constitutionnel» pour prétendre à un troisième mandat. Dans la même logique, le chef de l’État ivoirien Alassane Dramane OUATTARA, après le décès de l’ex-Premier ministre Amadou Gon COULIBALY, invoquant un « cas de force majeure » soutient qu’en vertu de la Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016, il est candidat à sa propre succession pour un troisième mandat.
En définitive, tous ces cas sus-évoqués permettent de présager qu’à l’issue de ce coup d’État au Mali, la « machine présidentielle africaine » devra, avec de nouveaux défis, conquérir un « nouveau panorama démocratique » avec l’accession des gouvernants au pouvoir basée, exclusivement, sur la légalité constitutionnelle enrobée d’une onction de légitimité pour une Afrique orientée sur de nouveaux rails institutionnels propice au développement.
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