WATHI est allé à la rencontre de Glory Cyriaque Hossou, Juriste et consultant en médias et droits humains. Dans cette deuxième partie de l’entretien, il analyse les insuffisances et les avancées actuelles de la Cour constitutionnelle béninoise en matière de protection des droits de l’homme et aborde également l’impact sur la défense des droits humains, de la situation conflictuelle entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et certains États.
Biographie :
Glory Cyriaque Hossou est juriste béninois consultant en médias et droits humains. Il est titulaire d’un Master recherche de la Chaire de l’UNESCO des droits de la personne humaine et de la démocratie de l’Université d’Abomey-Calavi. Ancien Secrétaire général de l’Association des blogueurs du Bénin, il est actuellement le Coordonnateur du pôle médias et surveillance des droits humains de la section béninoise d’Amnesty International.
Entretien :
La Cour constitutionnelle du Bénin se démarquait des autres juridictions constitutionnelles de la sous-région par ses décisions audacieuses en matière de protection des droits humains. Reste-t-elle encore le dernier rempart contre les atteintes aux droits humains et à la démocratie ?
La Cour constitutionnelle du Bénin a subi ces dernières années quelques réformes procédurales mais a également renouvelé son équipe dirigeante. L’équipe du Professeur Théodore Holo a cédé sa place à celle du Professeur Joseph Djogbenou en 2018. Depuis, elle a rendu par des décisions plus ou moins incompréhensibles et a manqué d’audace par moment pour bon nombre d’observateurs, notamment sur les droits civils et politiques et sur la conformité de certains textes législatifs à la Constitution. Les décisions de la Cour de ces trois dernières années sur le processus électoral, à l’exemple de celles relatives au certificat de conformité et au parrainage, font encore l’objet de débats dans l’opinion publique majoritaire. Faut-il le rappeler, les élections de ces dernières années ont engendré des frustrations majeures, des pertes en vies humaines, des arrestations d’opposants politiques et d’activistes, des restrictions de libertés, notamment d’expression et de manifestation matérialisées par la coupure de l’internet le 28 avril 2019.
Hormis ce constat, il faut dire que la Cour constitutionnelle du Bénin a continué de rendre des décisions de principe en matière de droits humains et qui peuvent être valablement enseignées dans les facultés de droit comme faisant référence dans les matières où elles ont été rendues.
Parmi ces décisions salutaires on peut citer entre autres : le renforcement de la liberté de manifestation, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants y compris par la force publique, l’interdiction de la rétention des personnes dans les centres de santé pour non-paiement des frais médicaux, la protection de l’intégrité physique de la personne humaine, le renforcement du principe d’égalité entre l’homme et la femme dans l’armée, etc.
Il est clair que ces décisions ont pour but de renforcer la protection des droits fondamentaux au Bénin. L’institution devrait aller plus loin afin de renforcer la confiance du public en elle, notamment en traitant efficacement les requêtes touchant aux droits politiques y compris ceux garantis par les instruments et mécanismes communautaires et régionaux de protection des droits humains, et en jouant pleinement et efficacement son rôle de régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics à travers la résolution des conflits politiques et la prévention des situations de violence électorale.
Les élections de ces dernières années ont engendré des frustrations majeures, des pertes en vies humaines, des arrestations d’opposants politiques et d’activistes, des restrictions de libertés, notamment d’expression et de manifestation matérialisées par la coupure de l’internet le 28 avril 2019
Pour des faits similaires relatifs au contentieux électoral, respectivement dans les affaires Sébastien Germain Marie Aikoué Ajavon au Bénin et Guillaume Kigbafori Soro en Côte d’Ivoire, les deux décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples demandant l’intégration des concernés sur la liste des candidats aux élections n’ont pas été respectées par les deux États. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Ces dernières années, les défiances vis-à-vis de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples sont devenues légion et une bonne partie des décisions rendues par la Cour de même que les mesures provisoires sont restées inappliquées par les États en toute violation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples mais aussi et surtout en toute violation de l’acte constitutif de l’Union africaine.
Faut-il le rappeler, les États ayant reconnu la compétence de la Cour à recevoir les requêtes des individus s’obligent à respecter et à mettre en œuvre ses décisions. En signant également l’acte constitutif de l’Union africaine, les États se sont engagés à respecter les décisions des organes de l’UA.
Malheureusement, malgré ces concessions conventionnelles, certains États dans la pratique ont du mal à se soumettre aux décisions des organes de l’organisation en reniant ainsi leur propre signature. Il s’agit également, ni plus ni moins, d’un refus de protéger les droits humains de leurs populations sur leur territoire.
Les motifs souverainistes évoqués par les États contre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ne tiennent malheureusement pas en matière de droits humains. Et à y voir de près, les questions sur lesquelles la Cour africaine se prononce ne portent nullement atteinte à la souveraineté des États. Elles portent en réalité sur la protection des droits individuels et collectifs des populations que la souveraineté des États ne saurait mépriser.
Il est donc important de voir et d’analyser les situations en dépassant le statut des requérants. Il faut avoir les yeux rivés sur les droits en souffrance qui sont entre autres le droit à la participation politique, le droit à un procès équitable, la liberté d’association, la protection de la dignité humaine, etc. Lorsque la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme a finalement été réformée et dotée d’un double degré de juridiction, ce sont les nombreux justiciables qui en ont profité alors que ce principe fondamental pour un procès équitable n’était pas respecté.
Entre mars 2016 et avril 2020, quatre (04) États (Rwanda, Tanzanie, Bénin et Côte d’Ivoire) parmi ceux ayant reconnu la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ont retiré leur déclaration facultative d’acceptation de compétence. Quelle analyse faites-vous de cette situation à l’aune de l’avenir de l’intégration régionale et de la protection des droits humains tant au niveau régional que national ?
Il s’agit d’un net recul en matière de droits humains et notamment du droit d’accès à la justice des populations de ces différents pays. Cette situation montre à quel point le plaidoyer reste entier dans ce domaine mais aussi et surtout l’éducation des autorités aux droits humains. Les solutions apportées par les décisions de la Cour africaine au-delà des requérants directs, bénéficieront inéluctablement aux citoyens de la Côte d’Ivoire et du Bénin. Les Chefs d’État et de gouvernement doivent comprendre que les mécanismes de protection des droits humains ne constituent pas des menaces pour les États ni pour les responsables politiques ; ils existent juste pour la protection des droits fondamentaux des populations et y compris ceux des hommes acteurs et femmes actrices de la scène politique.
Les motifs souverainistes évoqués par les États contre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ne tiennent malheureusement pas en matière de droits humains. Et à y voir de près, les questions sur lesquelles la Cour africaine se prononce ne portent nullement atteinte à la souveraineté des États. Elles portent en réalité sur la protection des droits individuels et collectifs des populations que la souveraineté des États ne saurait mépriser
Le faible taux du nombre d’États ayant accepté la compétence de la Cour depuis 15 ans est symptomatique d’un malaise auquel il est important de trouver une solution. Heureusement que les récentes adhésions du Niger et de la Guinée Bissau montrent que le combat n’est pas perdu et qu’il faut continuer à plaider. Ce qui est sûr, il est plus qu’important pour le continent d’avoir des mécanismes de protection à même de constater et de punir les violations des droits humains commises dans la sphère interne des États.
L’Afrique continue d’être le théâtre de nombreuses violations des droits des citoyens en témoignent les nombreuses manifestations réprimées en périodes électorales et les crispations politiques de ces dernières années au Bénin, au Nigéria, au Cameroun, au Mali, au Tchad, en Côte d’Ivoire, en Guinée, en Ouganda, en Éthiopie, etc.
La plupart du temps, les victimes des violations des droits humains obtiennent difficilement justice et réparation devant les tribunaux nationaux. Il est donc important qu’elles disposent de voies de recours hors des frontières de l’État pour obtenir justice et réparation, mais aussi des garanties de non-répétition des violations de leurs droits. Il ne faudrait pas donner raison à ceux qui pensent que l’Afrique est le siège du barbarisme et qu’il lui sera difficile de relever le défi de la démocratie et du respect des droits humains.
Au demeurant, le protocole créant la Cour africaine n’est pas fermé. Il est ouvert et prévoit les modes de sa révision. Il donne la possibilité aux États et à la Cour elle-même d’être des initiateurs de sa révision. Le Bénin, la Côte-d’Ivoire, le Rwanda et la Tanzanie, au lieu de retirer aux individus le droit de saisir directement la Cour, auraient pu faire des propositions pour l’amélioration du protocole qui l’a instituée. Pour finir, dire que les individus peuvent passer par la Commission africaine pour aller devant la Cour reste une possibilité mais qui est totalement inefficace et contreproductive. En 15 ans d’existence, la Cour africaine n’a reçu que 03 fois des requêtes en provenance de la Commission.
Le faible taux du nombre d’États ayant accepté la compétence de la Cour depuis 15 ans est symptomatique d’un malaise auquel il est important de trouver une solution. Heureusement que les récentes adhésions du Niger et de la Guinée Bissau montrent que le combat n’est pas perdu et qu’il faut continuer à plaider
Quels sont les défis majeurs qui se posent globalement aux États africains dans le domaine de la consolidation de l’État de droit et de la démocratie ?
Il s’agit d’un défi à trois volets : respect des droits humains, bonne gouvernance et lutte contre la corruption. Et tous ces trois volets réunis sont à même de conduire au développement. Malheureusement de nombreux États sur le continent peinent toujours à allier ces trois principes ou choisissent l’un au détriment de l’autre et s’étonnent de l’échec retentissant des politiques de développement. Il n’y a pas de développement sans bonne gouvernance et respect des droits humains, ni de développement sans lutte contre la corruption.
Il faut travailler à asseoir une réelle séparation des pouvoirs au sein des États pour avoir moins d’institution à la solde de l’exécutif et un secteur judiciaire fort et indépendant.
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