Auteur : Kinde DAMSOU
Organisation affiliée : Thinking Africa
Type de publication : Article
Date de publication : Août 2019
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L’Union africaine a élaboré une politique de libre-échange visant à créer un marché unique continental pour les biens et les services avec la libre circulation des biens, des personnes et des investissements, marché similaire à celui de l’Union européenne. Elle est entrée en vigueur le 30 mai 2019 après la ratification par 24 pays africains sur 55. Le sommet des Chefs d’État de l’Union de juillet à Niamey a défini ses modalités de fonctionnement. C’est une étape de plus pour l’intégration régionale tant voulue par les dirigeants africains depuis les pères fondateurs de 1963 aux fondateurs de l’Union en 2002 telle qu’inscrite dans l’Acte constitutif de l’UA ainsi que dans le Traité d’Abuja de 1991. L’objectif de cette politique est de mettre en place un ensemble de principes directeurs qui puissent élaborer et harmoniser la zone de libre-échange africaine sur la base de l’Agenda 2063. Elle fournira une feuille de route et un plan d’action aux États, aux communautés économiques régionales (CER) et aux institutions régionales pour réguler l’impact des activités économiques et commerciales sur le continent.
L’approche d’une élaboration institutionnelle et juridique de la zone de libre-échange a donné l’opportunité aux États d’analyser les différents textes et principalement le protocole instituant la zone de libre-échange. Il est ici question de savoir si la mise en œuvre de cette politique tient compte de la problématique des droits de l’homme dans une Afrique qui se veut industrialisée. L’Agenda 2063 de l’UA offre la possibilité de réaliser un programme de développement durable à l’horizon 2030 en prenant en compte les droits de l’homme et la lutte contre la pauvreté. La présente analyse s’articule autour des objectifs de la ZLEC en rapport avec les droits de l’homme. La préoccupation principale est axée sur la capacité ou non des États africains de veiller à ce que la mise en œuvre de la ZLEC permette de renforcer les mécanismes existants de protection et d’assurer un respect acceptable des droits de l’homme et, plus particulièrement le droit au développement.
Lors de la XVIIIe Session ordinaire de la Conférence de l’UA, l’idée de mettre en place une zone de libre-échange continentale a conduit les États à se fixer un objectif à atteindre en 2017, mais qui a finalement abouti en 2019. C’est une avancée majeure en matière d’intégration régionale pour consolider l’unité et la solidarité prônées depuis la genèse de cette Organisation. Mais cette avancée permettra-t-elle de résoudre certains problèmes majeurs de l’Afrique comme le respect des droits de l’homme ?
LES DÉFIS À CONSIDÉRER
En se situant aux côtés des afro-optimistes, la politique de libre-échange continentale est un second départ pour un développement économique effectif et efficace de l’Afrique. En d’autres termes, l’évolution du continent africain se doit d’une vigilance et une responsabilité pour que la mise en œuvre soit à la hauteur des attentes de tous les Africains sans exception aucune. Il est judicieux de se référer aux objectifs généraux ci-dessus de la ZLEC pour mieux aborder les défis que nous devons, à cet effet, considérer pour mieux appréhender cette analyse.
Ces objectifs de la ZLEC sont de :
- Créer un marché continental unique pour les biens et services avec la liberté de circulation des hommes et femmes d’affaires et des investissements, pour faciliter l’établissement de l’Union douanière continentale et de l’Union douanière africaine.
- Développer le commerce inter-africain par l’harmonisation et la coordination des échanges, leur libéralisation et la création de régimes de facilitation et d’instruments appliques dans les différents CER et dans le continent en général.
- Résoudre les difficultés de l’appartenance à plusieurs organisations régionales et accélérer l’intégration régionale et continentale.
- Améliorer la compétitivité au niveau de l’industrie et de l’entreprise en tirant avantage des possibilités d’une production à grande échelle d’un accès aux marchés de tout le continent et d’une meilleure allocation des ressources.
Mais comme tout développement ne se fait pas sans obstacle, il serait judicieux de relever les défis auxquels la ZLEC doit faire face. Le principal défi consiste à s’assurer que la mise en œuvre soit à la hauteur de cette politique. L’engagement de tous les États au protocole principal ainsi qu’à ses annexes est un défi majeur parce que certains États protectionnistes ou apeurés par le phénomène du terrorisme sont réticents de compromettre leur sécurité au profit du commerce. L’Annexe sur la libre circulation des personnes est compromise, signée par 32 pays sur 55 et une seule ratification. La ZLEC perdra de son sens sans une libre circulation effective des personnes. Les États sont encore loin de promouvoir le droit d’entrer et de sortir sur le continent bien que cela constitue un principe fondamental des droits de l’homme.
Les États sont encore loin de promouvoir le droit d’entrer et de sortir sur le continent bien que cela constitue un principe fondamental des droits de l’homme
Cet objectif ne pourra être atteint que dans le cadre d’une politique de développement régional et continental beaucoup plus franc. Pour cela, il faut repenser l’Afrique en la connectant au reste du monde, ce qui signifie que les infrastructures doivent être revues, chercher à rapprocher les produits de leurs zones de commercialisation et renforcer les liens entre les pays africains. La ZLEC ne pourra être effective et efficace que si les politiques sont traitées collectivement par les États, par les CER et par l’UA.
LES ASPECTS CLÉS DU CADRE JURIDIQUE
L’Afrique doit réglementer les activités économiques et commerciales ayant un impact sur les droits de l’homme. Le cadre juridique repose sur les principes de base de chaque pays. C’est le devoir de l’État de promouvoir et de protéger les droits de l’homme, celui des entreprises de respecter ces droits et l’accès à des voies de recours. À cet effet, les États africains, parties à la ZLEC, ont la plupart souscrit aux accords et conventions internationaux en matière de protection des droits de l’homme tels que la Charte africaine des droits de l’homme (Charte africaine), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relative aux droits de la femme (Protocole de Maputo), la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADBE), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et bien d’autres.
Tous ces instruments ne vont pas à l’encontre du développement économique tant voulu et prôné par ces mêmes Chefs d’État africains, mais ils exigent juste qu’il y ait un cadre de suivi continu des politiques en question, et que toute discrimination soit évitée. L’enjeu essentiel réside dans les dispositifs de protection de ces droits fondamentaux, en particulier, la deuxième génération des droits de l’homme dits les droits économiques et sociaux. À cet égard, le contraste est évident entre les différents types de garantie au niveau tant régional qu’international (via la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ou le Comité des droits de l’homme des Nations unies pour l’application des droits civils et politiques) et les instruments de protection existant au niveau régional européen, notamment la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
Les États doivent veiller à ce que les activités économiques et commerciales n’affectent pas les moyens de subsistance des populations locales. Les gouvernements doivent veiller à ce que des accords conclus avec les États d’origine des multinationales et également avec les entreprises soient à même de protéger les droits de l’homme en Afrique en prenant en compte les nouvelles exigences, largement inspirées par la préoccupation des droits de l’homme. De leur côté, les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits de l’homme en intégrant la dimension sociale dans leurs activités dans le respect de la déclaration de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) de 1998. En tant que telles, elles doivent s’abstenir d’activités qui auraient un impact négatif sur les droits de l’homme. Pour s’acquitter de cette responsabilité, elles doivent élaborer des politiques en matière de droits de l’homme et s’engager à les mettre en œuvre. Ce travail d’imposition aux différents acteurs internes et externes vient se greffer à la déclaration finale de la Conférence sur les droits de l’homme tenue à Vienne, appelant ainsi les États en juin 1993, « à renforcer les institutions nationales et les infrastructures qui maintiennent l’État de droit » en vue de créer « les conditions permettant à chacun de jouir des droits universels et des libertés fondamentales » ; on va donc bien au-delà du cadre tracé par la Déclaration universelle des droits de l’homme et des Pactes qui y sont relatifs.
Les États doivent veiller à ce que les activités économiques et commerciales n’affectent pas les moyens de subsistance des populations locales. Les gouvernements doivent veiller à ce que des accords conclus avec les États d’origine des multinationales et également avec les entreprises soient à même de protéger les droits de l’homme en Afrique en prenant en compte les nouvelles exigences, largement inspirées par la préoccupation des droits de l’homme
La volonté de « mettre l’humanité dans l’économie » se traduit par la formulation de nouveaux principes, tels que le « développement durable » manifesté dans l’Agenda 2063. Cette approche devrait conduire les États à élaborer des procédures de règlement des différends afin de garantir des recours aux communautés touchées. Un exemple type est le mécanisme de règlement des différends mis en place autour du pipeline Trans Adriatic, construit pour transporter du gaz naturel de la frontière grecque et turque au sud de l’Italie. Mais il est important de rappeler que ces procédures ne portent pas atteinte aux droits des victimes de demander justice auprès des systèmes judiciaires.
- LA QUESTION DU RESPECT DES DROITS DE L’HOMME
La politique de l’UA est un pas en avant pour garantir un développement économique inclusif pour que même les entreprises, en plus des États, se sentent impliquées. Mais qu’en est-il du respect des droits de l’homme en matière de commerce ?
D’après l’article 11 du PIDESC, le droit à un niveau de vie suffisant pour toute personne et sa famille, et il est réaffirmé dans la Convention relative aux droits de l’enfant. La Charte africaine n’a pas fait une mention claire de la situation, mais les articles 4, 14 et 18 affirment le droit à la vie avec une protection plus large et l’engagement des parties de réaliser ce niveau de vie adéquat. Quant au droit au travail et à la sécurité sociale, l’article 15 de la Charte africaine garantit à toute personne « le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un travail égal ». Les dispositions correspondantes, au niveau international, sont les articles 6 à 9 du Pacte international. Tous les États africains sont également tenus de respecter les principales normes du droit du travail, considérées comme contraignantes pour tous les États. Ils sont donc liés par des principes relatifs à la liberté d’association et de négociation collective, à l’élimination du travail forcé ou obligatoire, l’abolition du travail des enfants et l’élimination de la discrimination dans l’emploi et l’occupation.
Les sociétés multinationales et les entreprises doivent se soumettre aux mesures législatives ou politiques prises par les États pour ne pas violer les droits économiques, sociaux et culturels des Africains. Seul le temps nous dira si le cadre politique et institutionnel, une fois mis en œuvre, sera effectivement utilisé pour protéger les droits de l’homme
Les droits des femmes sont expressément protégés en droit international. La Charte africaine interdit toute discrimination, y compris sur la base du sexe, oblige les États parties à éliminer toute forme de discrimination à l’égard des femmes et à assurer la protection de leurs droits. Le Protocole de Maputo de 2003 est la source principale et précise des obligations juridiques des gouvernements africains concernant les femmes. De ce fait, ce protocole prévoit que les États parties prendront toutes les mesures appropriées pour promouvoir l’accès des femmes au crédit, à la formation, au développement des qualifications et à des services de vulgarisations aux niveaux rural et urbain afin de leur donner une meilleure qualité de vie et réduire la pauvreté dont elles souffrent. L’obligation des États de tenir compte des femmes rurales comme urbaines. Le Protocole de Maputo contient des dispositions pratiquement identiques à celles de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes que tous les États africains, sauf deux, ont ratifiée.
Les enfants, le maillon faible de la chaîne en matière des droits de l’homme, sont exposés à tous les niveaux (travail, toutes formes d’exploitation et abus). La CADBE ainsi que le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE) garantissent cette protection par les articles 1, 15 et 16 de ladite charte. La survie et le développement englobent le droit à la vie et imposent aux États l’obligation d’assurer un niveau de vie suffisant pour les enfants, la protection contre toute forme d’abus et des traitements dégradants, y compris le travail des enfants. Selon le rapport de Human Rights Watch de décembre 2011, dénonçant les conditions de travail des trente-trois (33) enfants dans les mines artisanales d’orpaillage et de mercure du Mali, les violations des droits des enfants en Afrique sont en forte progression malgré les efforts fournis par les États.
Ce n’est que le début d’un long cheminement vers le questionnement du principe de la souveraineté et des droits de l’homme. La culture du respect des droits de l’homme par les entreprises en Afrique ne serait pas du reste, comparée à celles des autres continents comme l’Asie. Les sociétés multinationales et les entreprises doivent se soumettre aux mesures législatives ou politiques prises par les États pour ne pas violer les droits économiques, sociaux et culturels des Africains. Seul le temps nous dira si le cadre politique et institutionnel, une fois mis en œuvre, sera effectivement utilisé pour protéger les droits de l’homme. Mais le simple fait que la question soit formulée, durant les négociations et plus précisément dans le préambule de l’Accord et en son article 3 sur les objectifs généraux, montre que les États sont résolus à s’attaquer aux principaux problèmes de droits de l’homme liés aux activités commerciales en Afrique.
CONCLUSION
Les États africains constituent les meilleurs relais de protection des droits de l’homme et il serait vain et illusoire de penser que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples peut, à elle seule, par les mécanismes mis en place, garantir et protéger les droits des citoyens africains. Les droits de l’homme impliquent l’étroite collaboration des États et des organisations internationales, régionales et sous régionales. Dans ce contexte, l’État est le meilleur garant des droits de l’homme. La fragilité des États africains face à la problématique de paix et sécurité a permis de se rendre compte de la nécessité pour l’UA de renforcer ses politiques et mécanismes en matière de protection des droits de l’homme et aussi de se doter des moyens appropriés pour relever le défi qui met les droits de l’homme au cœur du développement économique ou durable.
La fragilité des États africains face à la problématique de paix et sécurité a permis de se rendre compte de la nécessité pour l’UA de renforcer ses politiques et mécanismes en matière de protection des droits de l’homme et aussi de se doter des moyens appropriés pour relever le défi qui met les droits de l’homme au cœur du développement économique ou durable
Les États aussi, aussi puissants soient-ils, à eux seuls, ne peuvent assurer le total respect des droits économiques, sociaux et culturels relatifs aux droits humains. Ils sont tenus à l’obligation d’agir, c’est-à-dire de prendre des mesures qui doivent avoir un caractère délibéré et concret et viser aussi clairement que possible à la réalisation des droits de l’homme en Afrique. Une approche inclusive est nécessaire dans la mise en application de cette politique. Le respect des principes procéduraux requiert la participation de tous aux affaires publiques et la consultation au processus décisionnel. C’est peut-être difficile dans le contexte actuel des choses et surtout pour un début, mais ce n’est pas du tout IMPOSSIBLE. L’Afrique peut !
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