La problématique de l’inclusivité de la transition politique : une analyse des attentes des Maliens au prisme du diktat de la CEDEAO, CODESRIA, 2020

Auteur : Bréma Ely Dicko

Organisation affiliée : CODESRIA

Type de publication : Article

Année de publication : 2020

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  • De la crispation de la grogne sociale au renversement militaire du président IBK

En l’espace de huit ans (en 2012 et 2020), le Mali a connu deux renversements anticonstitutionnels du pouvoir en place par des militaires. La rapidité de l’action des militaires, qui s’est déroulée sans effusion de sang, a beaucoup surpris. En juillet 2018, malgré un bilan mitigé, le président IBK brigue un second mandat sur fond de contestation post-électorale – conduite en son temps par son principal challenger Soumaila Cissé, président du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD). À cette contestation politique se sont greffées des manifestations de divers syndicats, en l’occurrence de l’hôpital Gabriel Touré, des magistrats, des cheminots, des enseignants du fondamental et du secondaire.

L’année 2019 a été d’une extrême violence, tant par la fréquence des conflits intercommunautaires, notamment entre Peuls et Dogons, que par le nombre de victimes. Les angoisses des populations se développent, et elles sont devenues le terreau de violences multiformes exacerbées, avec leurs lots de déplacés internes, estimés à 168 515 personnes pour la période de janvier à juin 20193, et externes, estimés à 139 020 réfugiés maliens vivant en Mauritanie, au Niger et au Burkina Faso.

Nonobstant cette dégradation de la situation sécuritaire, le président a pris avec son gouvernement la décision d’organiser le renouvellement de l’Assemblée, alors même que des voix autorisées tentaient de l’en dissuader. La tenue des élections législatives de mars-avril 2020 a dès lors été l’élément déclencheur de différents mouvements de contestation des résultats, d’abord à Sikasso, puis dans la ville de Bamako qui en est devenue l’épicentre.

  • Le M5-RFP, catalyseur des tensions et miroir des attentes maliennes

Les mobilisations citoyennes répétées visant à dénoncer la dégradation de la situation sécuritaire, notamment avec les massacres récurrents de populations civiles dans le Centre du pays, et plus récemment la gestion controversée de la crise sanitaire liée à la Covid-19, ont mis à mal le peu de confiance qui subsistait entre le gouvernement et une large partie de l’opinion nationale.

Au-delà du slogan mobilisateur « le départ du président IBK et de son régime », les leaders du M5 visaient en réalité la restauration de l’autorité de l’État par l’instauration d’une meilleure gouvernance des affaires publiques, la résolution de la crise scolaire qui perdurait, la lutte contre la corruption impliquant les proches du président, et la promotion de la réconciliation, notamment entre Peuls et Dogons, dans le Centre du Mali. Pour les leaders du M5-RFP, ce changement n’était plus possible sous le régime sclérosé de IBK.

D’une manière générale, eu égard à la déliquescence de l’État, à la dégradation de la situation sécuritaire, à la faillite d’une large partie de la classe politique, les Maliens de tout bord (société civile, politiques, citoyens lambda) aspirent à une refondation du système de gouvernance. Les attentes fortes exprimées au cours des réunions et lors des débats radiophoniques et télévisés concernent les réformes institutionnelles et politiques : la révision de la Constitution, la lutte contre l’impunité, l’insécurité, la résolution de la crise scolaire, l’éducation à la citoyenneté, la réforme du système électoral entre autres.

  • De l’inclusivité du processus de mise en place de la transition

S’agissant de la problématique de l’inclusivité du processus de transition, si les officiers qui ont pris le pouvoir ont rencontré l’ensemble des forces vives, ils ont rencontré seuls la délégation de la CEDEAO pour discuter de la durée de la transition et de sa nature civile ou militaire. Ensuite, la junte a pris la décision unilatérale de publier au Journal officiel un nouvel acte fondamental, sans pour autant suspendre la Constitution de février 1992.

Les réponses de la CEDEAO sont en décalage avec la profondeur de la crise malienne et les réformes substantielles à mettre en place durant la transition

Par ailleurs, pour nombre de Maliens, les réponses de la CEDEAO sont en décalage avec la profondeur de la crise malienne et les réformes substantielles à mettre en place durant la transition. Pour cette raison, les sanctions de la CEDEAO, bien que conformes à son protocole de bonne gouvernance, sont mal perçues. La CEDEAO a d’abord infligé au Mali des sanctions économiques et elle a exigé et obtenu la libération du président IBK. Mais sa demande d’une transition civile a suscité diverses réactions des Maliens.

Certains, non seulement fustigent ses sanctions, mais se sont aussi organisés dans le cadre d’un mouvement populaire, dit du 4 septembre, pour réclamer une transition militaire. D’autres, par contre, revendiquent une transition civile tout en demandant la levée des sanctions de la CEDEAO, à l’instar des leaders du M5-RFP. Le paradoxe est que ce qui est perçu par la CEDEAO et les partenaires du Mali comme étant un coup d’État, est vu au niveau national comme un coup de pouce vers un Mali nouveau, dont la gouvernance est à refonder du point de vue des acteurs et de son architecture globale. Néanmoins, les avis des citoyens divergent sur le modèle de transition qui permettra de faire émerger un nouveau cap.

 

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