« La difficulté dans le cadre de la lutte contre le terrorisme vient du fait que nous avons d’une part, des États ayant souscrit à des instruments internationaux de protection des droits de l’homme et d’autre part, des groupes armés qui ne s’imposent aucune limite… », entretien avec Nedanlou Ismaël Gnaon, directeur des affaires juridiques de la Commission nationale des droits humains (deuxième partie)

WATHI est allé à la rencontre de Monsieur Nedanlou Ismaël Gnaon, Directeur des affaires juridiques de la Commission Nationale des Droits Humains du Burkina Faso. Dans cette deuxième partie de l’entretien, il aborde la question de la sauvegarde des droits fondamentaux dans un contexte de lutte contre le terrorisme au Sahel et l’effectivité du système régional africain de protection des droits de l’homme.

 

Biographie :

Magistrat de profession,  Nedanlou Ismaël Gnaon a exercé tour à tour les fonctions de juge d’instruction et de doyen des juges d’instruction au sein du système judiciaire du Burkina Faso, entre les tribunaux de grande instance de Fada N’Gourma et de Ouagadougou. En tant que militant et défenseur des droits humains, il fut membre d’Amnesty International au Burkina Faso où il avait coordonné la campagne dite « Contrôlez les armes » qui s’articulait autour d’actions de plaidoyers et de lobbying en vue de parvenir à l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies du Traité sur le commerce des armes.

Par la suite, il avait rejoint le Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique où il a participé à l’animation des sessions des Universités d’été des droits humains. Présentement, il est le directeur des affaires juridiques de la Commission nationale des Droits humains du Burkina Faso.

 

Entretien :

Parlant des défis liés à la mobilité des équipes de la Commission nationale des Droits humains sur les terrains en raison du contexte sécuritaire marqué par des attaques terroristes dans la zone du Sahel, comment des États, à l’instar du Burkina Faso, parviendrait-ils à concilier, d’une part le respect dû aux droits des personnes poursuivies et d’autre part, les exigences de sécurité intérieure, de lutte contre le terrorisme et de justice pour les victimes ?

La lutte contre le terrorisme dans le respect des libertés fondamentales n’est pas une option pour l’État. Elle constitue bien au contraire une exigence. Cette obligation de la prise en compte des droits humains dans les réponses apportées par l’État au phénomène du terrorisme découle des instruments juridiques internationaux et régionaux auxquels a souscrit l’État burkinabè. En droit international humanitaire, tous les moyens en vue d’anéantir l’ennemi  ne sont pas permis.

Les terroristes, jouissent également de la dignité inhérente à tout être humain. En matière de conduite des hostilités, les prisonniers de guerre doivent être bien traités. A cet effet, les combattants désarmés ne doivent pas faire l’objet de traitements susceptibles d’affecter leur intégrité physique. Faute de quoi, l’État court le risque de tomber sous le coup des normes du droit international humanitaire. Ceci pour dire que le respect des droits humains dans la lutte contre le terrorisme n’est pas qu’une simple faculté laissée à l’appréciation de l’État.

Le second aspect à souligner est l’obligation absolue, faite à tous les belligérants au cours d’un conflit armé, d’assurer par tous les moyens la protection des civils. Il s’agit là d’une exigence fondamentale propre à tous les conflits. La difficulté dans le cadre de la lutte contre le terrorisme vient du fait que nous avons d’une part, des États ayant souscrit à des instruments internationaux de protection des droits de l’homme et d’autre part, des groupes armées qui ne s’imposent aucune limite dans le cadre de leurs actions.

Cela impose à l’État une double obligation : la première consiste à épargner les civils des actions militaires menées par ses forces armées et la seconde est relative à la protection des populations civiles contre les exactions des groupes armés non étatiques.

 

Le sentiment d’atteinte à la vie privée et à la liberté d’expression est de plus en plus partagé chez les citoyens face à l’adoption par certains États de lois permettant de lever le secret des correspondances électroniques, d’intercepter les communications téléphoniques ou portant sur la régulation des réseaux sociaux ; invoquant souvent des exigences de lutte contre le terrorisme. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Il faut dire que cette question peut difficilement être appréciée à l’aune des réactions suscitées au sein des opinions publiques nationales par ces intrusions dans la vie privée. En vérité, les populations sont très peu sensibilisées aux questions de protection juridique de la vie privée. Cela demeure encore une question élitiste, intéressant essentiellement les universitaires et dans une moindre mesure, les journalistes qui sont la frange socioprofessionnelle la plus largement impactée par ces collectes de données de renseignement.

Je dois dire qu’au niveau de l’Afrique de l’Ouest, pour la petite connaissance de l’architecture juridique du renseignement que j’ai, l’on note un certain nombre d’États disposant de lois sur le renseignement et qui font figure de bons élèves. Il s’agit notamment du Sénégal et du Bénin. Même si ces lois comportent des insuffisances en bien des points, elles recèlent tout de même de garanties substantielles en faveur des citoyens.

Si on prend l’exemple du Bénin, tout citoyen peut demander à savoir s’il fait l’objet d’une mesure de collecte de renseignement. Le bémol à apporter toutefois demeure le fait que les organes appelés à être mis en place par la loi ne semblent pas l’avoir été. D’ailleurs, la société civile au Bénin est en train de faire un plaidoyer en vue de la mise en place des organes censés encadrer l’activité des services de renseignement.

Au Sénégal également, la loi sur le renseignement consacre des garanties au profit des citoyens. Quoique cette loi paraisse assez laconique, la plupart des questions en rapport avec l’incidence des activités des services de renseignement sur la protection de la vie privée des citoyens se trouvent prises en compte. C’est un peu les bons élèves.

Un autre point d’inquiétude en lien avec les droits fondamentaux vient du fait que, les infractions commises  par les services de renseignement au cours de leurs activités bénéficient d’une immunité, et donc d’une impunité consacrée par la loi régissant le renseignement au Burkina Faso

Il y a également les élèves qui se situent en quelque sorte en milieu de tableau. C’est notamment le cas du Burkina Faso. Ce pays a le mérite de s’être doté d’une loi qui traite du renseignement. Mais cette loi regorge un grand nombre d’insuffisances. Au nombre de celles-ci l’on note l’omission d’exclure du champ des renseignements certaines catégories socioprofessionnelles.

Il s’agit notamment des journalistes en raison de la protection du secret des sources. Également, les parlementaires, qui, au regard des privilèges constitutionnelles qui leur sont accordés, ne devraient pas faire l’objet d’une mesure de collecte de renseignements. Les magistrats, les avocats, eux également au regard de leurs différentes garanties statutaires.

Cela constitue une insuffisance majeure de la législation burkinabè en la matière. Un autre point d’inquiétude en lien avec les droits fondamentaux vient du fait que, les infractions commises  par les services de renseignement au cours de leurs activités bénéficient d’une immunité, et donc d’une impunité consacrée par la loi régissant le renseignement au Burkina Faso.

Enfin, il y a au bas du tableau les pays qui n’ont aucune législation traitant du renseignement, et qui sont les plus nombreux du reste. C’est le cas notamment du Mali et du Niger.

Le phénomène terroriste est, faut-il le rappeler, la raison pour laquelle le législateur burkinabè à adopter en 2018 la loi sur le renseignement. L’objectif était de permettre à l’Agence nationale de renseignement (ANR) d’avoir un statut juridique législatif et de bénéficier de dotations budgétaires conséquentes pour mener à bien ses missions de renseignement antiterroriste, si bien que la question des libertés individuelles et des libertés publiques a été du coup reléguée au second plan.

Pourtant, dans d’autres pays, tout aussi durement touchés par le terrorisme, tels que le Mali et le Niger , il n’y a pas de loi qui encadre le renseignement. C’est dire à quel point les abus les plus inimaginables en matière de collecte de données de renseignement peuvent se produire. Si en présence d’une loi, des craintes subsistent, imaginez ce qu’il en est sans aucune loi. C’est tout simplement la porte ouverte à d’innombrables atteintes au droit à la vie privée et à divers autres droits fondamentaux.

 

L’État du Burkina Faso a accepté la compétence facultative de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples au bénéfice des particuliers. D’autres États ont retiré leur déclaration d’acceptation initialement émise dans ce sens, tandis que certains États refusent jusqu’à présent d’ouvrir le prétoire de cette juridiction aux particuliers. Face à cette situation, qu’en est-il de l’effectivité du système régional africain de protection des droits humains à votre avis ?

Permettez-moi d’exprimer tout mon chagrin vis-à-vis de ces décisions de retrait de déclarations de reconnaissance de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme prises par la Côte d’Ivoire et le Bénin.  Cela est véritablement déplorable et je formule le vœu qu’à très brève échéance, ces États puissent revenir sur leur décision.

Il ressort un déséquilibre entre le volume des requêtes pendantes devant ces institutions régionales africaines de protection des droits de l’homme et le rythme de production des arrêts et recommandations

Ceci dit, je fais le constat que le système régional de protection des droits de l’homme semble, en quelque sorte, être à bout de souffle. Si l’on considère les principaux organes de ce système régional, que sont notamment la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que le Comité africain d’experts sur le droit et le bien-être des enfants, on se rend compte que les deux premières institutions connaissent un volume important de contentieux.

Pour ce qui est du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être des enfants, il faut dire qu’il est très rarement saisi. Son mandat  est peut-être mal connu du grand public

Toutefois, il ressort un déséquilibre entre le volume des requêtes pendantes devant ces institutions régionales africaines de protection des droits de l’homme et le rythme de production des arrêts et recommandations. Ce qui pose un problème d’efficacité de ces institutions. Les États doivent prendre des mesures urgentes visant à permettre une plus grande célérité dans la production des décisions et de désengorger ainsi les rôles de la Commission et de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

Pour ce qui est du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être des enfants, il faut dire qu’il est très rarement saisi. Son mandat  est peut-être mal connu du grand public. Si je prends la période de 2018 à 2019, le Comité africain d’experts n’a reçu aucune communication. Est-ce à dire qu’il n’y a pas aucune problématique majeure en lien avec la question des droits des enfants qui se pose dans les États ayant ratifié le protocole créant le comité ? Chacun peut se faire son opinion. Il y a sans doute un travail de communication à faire au sein de la société civile africaine relativement au rôle de ces organes.

Pour ce qui est de la Commission et de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, elles doivent tout mettre en œuvre pour être les plus diligentes possibles dans le traitement contentieux des requêtes soumises à elles.

 

Quel est votre plaidoyer en faveur de l’Etat de droit en Afrique ?

J’aimerais lancer un appel à un sursaut républicain à tous les États africains, dans le souci de placer les libertés fondamentales au-dessus des calculs et des contingences politiques du moment. Lorsque l’on analyse les circonstances de retrait des déclarations de reconnaissance de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples par le Bénin et la Côte d’Ivoire, l’on se rend compte que les motivations en sont plus politiques que juridiques.

Dans la plupart de nos pays où l’État de droit est en crise, la liberté de presse l’est également. Les quotidiens d’État y sont prédominants, la presse indépendante et les journalistes d’investigation aphones, si bien que l’on n’y enregistre aucune voix dissonante

Je souhaiterais ensuite paraphraser le Président Bertrand Louvel, pour dire tout simplement que l’État de droit repose sur la liberté de presse, la liberté des avocats, des magistrats et l’indépendance de la justice. Lorsque l’un de ces acteurs s’endort, l’autre sera en capacité de le réveiller, disait-il. Dans la plupart de nos pays où l’État de droit est en crise, la liberté de presse l’est également. Les quotidiens d’État y sont prédominants, la presse indépendante et les journalistes d’investigation aphones, si bien que l’on n’y enregistre aucune voix dissonante.

Il s’agit également d’États où il n’y a pas d’indépendance de la justice. La séparation des pouvoirs n’est pas effective et les juges sont à la merci du pouvoir exécutif et du législatif. Les avocats, eux se doivent de jouer un rôle de vigie de l’État de droit en luttant pour une application sans faille de la règle de droit. C’est à ces différents acteurs qu’il appartient d’interpeller l’État sur ses obligations en matière d’indépendance de la justice, de bonne gouvernance et de respect des libertés fondamentales. C’est là le sens de l’appel que j’avais à lancer.

 

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