La crise de l’État de droit au Sénégal, Collectif de 102 universitaires sénégalais, 2021

Auteurs : Collectif de 102 universitaires sénégalais

Type de document : Manifeste

Date de publication : 23 février 2021

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Le présupposé d’une « nation mortelle » ne se limite pas à une vue de l’esprit philosophique qui ne s’appliquerait pas dans l’espace politique sénégalais. L’État de droit structure institutionnellement la fabrique d’une nation en ce qu’il renferme une ambition sociologique. Le discours sur l’État de droit n’est pas la propriété exclusive des juristes. En effet, la crise postulée, systémique par nature, a diverses expressions : l’incapacité de la normativité institutionnelle à essentialiser la démocratie, la remise en cause de la fondation unitaire de l’État par l’atomisation du pouvoir, la justice sélective, l’organisation judiciaire de la compétition politique, l’urgence de la conservation et de la patrimonialisation du pouvoir etc. Aussi, l’État de droit vise-t-il la réalisation du contrat social. En ce sens, la crise du droit se prolonge en une crise de société. La soumission de l’État au droit organise le vivre-ensemble indispensable pour faire société.

Les lois et les institutions, comme seuls outils de mesure de la démocratie, créent un État de droit abstrait, peu enclin à réconcilier le Peuple avec le Droit. Une architecture institutionnelle, puisse-t-elle être formellement séduisante, doit être questionnée à l’aune de sa pratique et de son degré d’intériorisation politique par les acteurs. L’État de droit abouti transcende les standards institutionnels. Bien souvent, par naïveté intellectuelle, la démocratie au Sénégal est exaltée, chantée et célébrée. Quelle démocratie ? Celle procédurale, matérialisée par des modes populaires globalement transparents de dévolution du pouvoir, ne satisfait pas pleinement les citoyens.

Les lois et les institutions, comme seuls outils de mesure de la démocratie, créent un État de droit abstrait, peu enclin à réconcilier le Peuple avec le Droit. Une architecture institutionnelle, puisse-t-elle être formellement séduisante, doit être questionnée à l’aune de sa pratique et de son degré d’intériorisation politique par les acteurs

  • La gouvernance politique au Sénégal est oublieuse de l’État de droit

Au demeurant, l’antique théorie de la séparation des pouvoirs, déclamée dans les discours officiels, ne s’inscrit dans le temps long qu’à travers la rationalisation de l’interdépendance fonctionnelle des pouvoirs, caractéristique du fonctionnement des démocraties modernes. Cet idéal ne pourrait naturellement prospérer que si le serment d’allégeance des acteurs institutionnels (juges, parlementaires, autorités investies de l’ordre public – police, gendarmerie, armée –, dépositaires provisoires de l’autorité politique etc.) est désincarné.

De fait, la transformation de l’État de justice en État politique donne libre cours à certaines pratiques : la docilité des juges, le suivisme alimentaire des sbires, l’entrisme et le clientélisme politique, le culte du chef etc

Incarné, il se transforme en féodalité. Le Sénégal n’échappe pas à cette personnalisation exacerbée du pouvoir. Quel État de droit lorsque les contre-pouvoirs institutionnels ; parlement et pouvoir judiciaire, se dépossèdent par devoir de gratitude et de corruption intellectuelle de leurs attributions ? La consolidation de l’État de droit suppose, à l’évidence, une justice plus indépendante. De fait, la transformation de l’État de justice en État politique donne libre cours à certaines pratiques : la docilité des juges, le suivisme alimentaire des sbires, l’entrisme et le clientélisme politique, le culte du chef etc. La paraphrase de Jean de la Fontaine raconte l’état de l’institution judiciaire au Sénégal : « selon que vous soyez « opposant » ou « avec le pouvoir », les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

Or, l’État de droit ne s’accommode pas de la création de catégories de justiciables. Les instructions, non pas seulement générales mais individuelles, adressées aux chefs de parquet qui sont autant d’injonctions de faire, participent à l’établissement d’une doctrine politique des poursuites pénales. La domestication de la justice renforce la perspective marxiste d’un droit instrument de domination d’une classe sur une autre et valide le constat d’un État de droit purement déclaratoire.

  • Ni juges du gouvernement, ni droit de l’État, l’État de droit exige la soumission totale de l’État au droit

La gouvernance politique, dans l’absolu, sanctuarise les symbolismes du pouvoir. Le raffermissement des représentations sociales légitimes est un attribut de la fonction de diriger. La parole et le serment participent de ces valeurs transcendantes qui résonnent en contemplation de la hiérarchie des normes. Dans notre espace sociétal, construit sur une civilisation de l’oralité comme le suggère Mamoussé Diagne, le culte des valeurs n’est pas inférieur à celui des « lois écrites ». La sagesse africaine millénaire ne dit pas autre chose lorsque l’article 23 de la Charte du Mandé en 1236 affirmait ceci : « Ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole d’honneur ».

Entretenir la mystique du troisième mandat rétrograde notre avenir politique dans les abîmes de 2012

Dans une telle perspective, lorsque la norme fondamentale (article 27 de la Constitution qui dispose ceci : « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ») rencontre la valeur – la confession présidentielle de l’impossibilité d’un troisième mandat –, ce mutisme anxiogène, pourtant bruissant de calculs politiciens, réduit les derniers vestiges de l’État de droit à sa portion congrue.

Entretenir la mystique du troisième mandat rétrograde notre avenir politique dans les abîmes de 2012. Cette histoire politique récente, à l’origine d’une alternance sans alternative, est pourtant promue à un avenir en perspective ! Le temps est suspendu à l’humeur opportuniste du Chef. L’interprétation d’un énoncé clair et sans ambages, fût-elle politique ou judiciaire, n’est pas un acte de volonté. C’est faire l’apologie de la volonté du Prince !

  1. Idrissa BA, Professeur assimilé en histoire, FLSH/UCAD
    2.Mame Penda BA, Professeure assimilée en sciences politiques, Agrégée des Facultés de droit, UFR SJP/UGB
    3. Tapsirou BA, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB
    4. Mor BAKHOUM, Maître de conférences assimilé en droit, UVS
    5. Oumar BARRY, Professeur assimilé en sociologie, FLSH/UCAD
    6. Jean Charles BIAGUI, Maître de conférences assimilé en sciences politiques, FSJP/UCAD
    7. Marie BOUARE, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB
    8. Mouhamadou BOYE, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB
    9. El Hadji Alioune CAMARA, Maître de conférences assimilé en économie, UFR SES/UIDTT
    10. Aminata CISSE-NIANG, Professeure assimilée en droit, Agrégée des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    11. Jean-Louis CORREA, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, UVS
    12. Patrice CORREA, Maître de conférences assimilé en sciences de l’information et de la communication, UFR CRAC/UGB
    13. Karamoko DEMBA, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    14. Mamadou Hady DEME, Maître de conférences assimilé en sciences politiques, FSJP/UCAD
    15. Abdoul Alpha DIA, Maître de conférences titulaire en économie, UVS
    16. Amadou Hamath DIA, Professeur assimilé en sociologie, SES/UASZ
    17. Hamidou DIA, socio-anthropologue, Directeur de recherche, IRD/France
    18. Mouhamadou Mansour DIA, Maître de conférences titulaire en sociologie, UVS
    19. Oumar DIA, Maître de conférences titulaire en philosophie, FLSH/UCAD
    20. Karounga DIAWARA, Professeur titulaire de droit, Université Laval, Québec
    21. Fatimata DIA-BIAYE, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    22. Malick DIAGNE, Maître de conférences titulaire en philosophie, FLSH/UCAD
    23. Sidy Nar DIAGNE, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    24. Babacar DIAKHATE, Professeur assimilé en mathématiques/informatique, FST/UCAD
    25. Abdoulaye DIALLO, Maître de conférences assimilé en droit, SES/UASZ
    26. Halima DIALLO, chercheure en psychologie, IFAN/UCAD
    27. Mamadou Diouma DIALLO, Maître de conférences assimilé en sciences de l’information et de la communication, UFR CRAC/UGB
    28. Mamadou Aguibou DIALLO, Maitre de conférences assimilé en sociologie, SES/UASZ
    29. Thomas DIATTA, Maître de conférences assimilé en droit, SES/UASZ
    30. Paul DIEDHIOU, Maître de conférences titulaire en sociologie, SES/UASZ
    31. Abou Adolf DIEME, Maître de conférences assimilé en droit, SES/UASZ
    32. Ablaye DIEYE, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    33. Adrien DIOH, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB
    34. Ibrahima Demba DIONE, Maître de conférences assimilé en sociologie, SES/UASZ
    35. Abdou Khadre DIOP, Maître de conférences assimilé en droit, UVS
    36. Babacar DIOP, Maître de conférences titulaire en philosophie, FLSH/UCAD
    37. Dame DIOP, Maître de conférences assimilé en lettres modernes, UFR LASHU/UASZ
    38. Abdoul Aziz DIOUF, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    39. Christian Ousmane DIOUF, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    40. Gane DIOUF, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    41. Ibrahima Dally DIOUF, Professeur assimilé en sciences de gestion, Agrégé des Facultés de sciences économiques et de gestion, FASEG/UCAD
    42. Ismaïla DIOUF, Professeur assimilé en mathématiques et informatique, FST/UCAD
    43. Ousseynou Kolly Diène DIOUF, Maître de conférences titulaire en économie et gestion, UFR SES/UASZ
    44. Pape Alioune FALL, Professeur assimilé en informatique, UFR SAT/UGB
    45. Saliou FAYE, Maître de conférences assimilé en sciences politiques, FSJP/UCAD
    46. Souleymane GAYE, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    47. Souleymane GOMIS, Professeure titulaire en sociologie FLSH/ UCAD
    48. Jean Alain GOUDIABY, Maître de conférences titulaire en sociologie, UFR SES/UASZ
    49. Ababacar GUEYE, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    50. Cheikh Thiécoumba GUEYE, Professeur titulaire en mathématiques et informatique, FST/UCAD
    51. Doudou GUEYE, Maître de conférences titulaire, UFR SES/UASZ
    52. Abdoulaye GUISSE, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SES/UASZ
    53. Fatoumata HANE, Professeure assimilée en sociologie, UFR SES/UASZ
    54. Abdou KA, Maître de conférences assimilé sociologie, UFR SES/ UASZ
    55. Amadou KA, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB
    56. Cheikh KASSE, Maître de conférences titulaire en lettres modernes, FASTEF/UCAD
    57. Ousmane KHOUMA, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    58. Diouma KOBOR, Professeur titulaire en physique, UFR ST/UASZ
    59. Mohamed Moro KOITA, Maître de conférences titulaire en gestion, ESP/UCAD
    60. Raphael LAMBAL, Maitre de conférences titulaire en lettres modernes, UFR LASHU/UASZ
    61. Mouhamed Abdallah LY, Chargé de recherche en linguistique, IFAN/UCAD
    62. Mohamed Lamine MANGA, Maître de conférences assimilé en histoire, UFR LASHU/ UASZ
    63. Ibou NDAO, Maitre de conférences assimilé en géographie, UFR SES/ UASZ
    64. Abdoul Aziz NDIAYE, Professeur assimilé en économie, Doyen de l’UFR SEG/UGB
    65. Amsata NDIAYE, Maître de conférences titulaire en physique, UFR SAT/UGB
    66. El Hadji Samba NDIAYE, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    67. Ndéye Astou NDIAYE, Maître de conférences assimilé en sciences politiques, FSJP/UCAD
    68. Ndéye Coumba Madeleine NDIAYE, Professeure assimilée en droit, Agrégée des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    69. Serigne NDIAYE, Docteur en littérature comparée, Emory University/USA, ancien directeur du Council of International Externe Exchange (CIEE), Bureau Afrique
    70. Seydi Ababacar NDIAYE, Maître de conférences titulaire en chimie, ESP/UCAD
    71. Sidy Alpha NDIAYE, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    72. Thierno Amadou NDIOGOU, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    73. Lucienne Kodou NDIONE, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    74. Moussa NDIOR, Maître de conférences assimilé en sciences politiques, UFR SES/UASZ
    75. Amary NDOUR, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    76. Abdoulaye NGOM, Maître de conférences assimilé en sociologie, UFR SES/UASZ
    77. Paul NGOM, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    78. Abdoul Aziz NIANG, Directeur de recherche, entomologiste, IFAN/UCAD
    79. Babacar NIANG, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    80. Mouhamed Bachir NIANG, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    81. Yaya NIANG, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB
    82. Baye Massaer PAYE, Maitre de conférences assimilé en anglais, UFR LASHU/ UASZ
    83. Cheikh Sadibou SAKHO, Maitre de conférences titulaire en sociologie, UFR LSH/UGB
    84. Moussa SAMB, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD
    85. Yamar SAMB, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, UFR SJP/UGB
    86. Aly SAMBOU, Maître de conférences assimilé en lettres étrangères appliquées, UFR LSH/UGB
    87. Mame Anna SENE-FALL, Maître de conférences titulaire en philosophie, FASTEF/UCAD
    88. Marie-Pierre SARR-TRAORE, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD
    89. Mamadou SEYE, Maître de conférences assimilé en droit, UFR ECOMIJ/UADB
    90. Yankhoba SEYDI, Professeur assimilé en anglais, FSLH/UCAD
    91. Youssouf SEYDI, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    92. Adama SOUMARE, Maître de conférences titulaire en langues et civilisations romanes, FSLH/UCAD
    93. Fatoumata Bernadette SONKO, Maître de conférences assimilé, CESTI/UCAD
    94. Ndiémé SOW, Maître de conférences assimilé, UFR LASHU/ UASZ
    95. Oumar SY, Professeur titulaire en géographie, UFR ST/UASZ
    96. Ibrahima SYLLA, Maître de conférences titulaire en sciences politiques, UFR SJP/UGB
    97. Mouhamadou Moustapha TALL, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD
    98. Cheikh THIAM, Professeur d’études africaines, Doyen de la School for international training, USA
    99. Mballo THIAM, Maître de conférences titulaire en droit, UFR ECOMIJ/UADB
    100. Benoît TINE, Professeur assimilé en sociologie, UFR SES/UASZ
    101. Sadou WANE, Maître de conférences assimilé en droit, UFR ECOMIJ/UADB
    102. Moussa ZAKI, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, UFR SJP/UGB

 

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