Auteur : Mahawa Diouf
Organisation affiliée : UEMOA
Type de publication : Discours
Date de publication : Novembre 2019
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Face à l’évolution démocratique des États africains, l’objectif de l’ancrage de l’État de droit et les exigences des citoyens en ce qui concerne les droits de l’homme, la Cour de Justice de l’Union reste plus que jamais interpellée. En effet, il importe de s’interroger sur le rôle, qui doit être le sien, dans la protection des droits fondamentaux au sein de l’UEMOA. Il convient de rappeler qu’à ce titre, le Traité de l’Union avait, dès 1994, pris en compte la nécessité de prescrire l’obligation, pour l’Union, de respecter les droits humains. Seulement l’analyse de la pratique jurisprudentielle de la juridiction communautaire laisse entrevoir quelques difficultés dans la mise en œuvre des prérogatives de la Cour de Justice dans le domaine de la sauvegarde des droits humains.
Cette situation devrait donc induire une réflexion autour de la problématique globale de la vocation de la Cour communautaire de l’Union en matière de protection des droits de l’homme, l’efficacité de son contrôle ainsi que les mécanismes existants ou à créer pour en assurer l’efficience. L’examen du système mis en place et l’analyse de la mise en œuvre de sa compétence en matière de droits humains aideront à trouver les réponses adéquates à ces questionnements.
L’Union respecte dans son action les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981
La protection des droits de l’homme par la Cour de Justice de l’UEMOA repose sur un fondement textuel dont le contenu, a priori succinct, renvoie au système universel et régional de protection des droits fondamentaux. En effet, l’article 3 du Traité du 10 janvier 1994 instituant l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dispose expressément : « L’Union respecte dans son action les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ».
La disposition est certes pour le moins concise, mais il faut noter qu’elle est logée sous le titre consacré aux principes et objectifs de l’UEMOA comme pour renseigner de la haute importance qu’ont voulu lui conférer les pères fondateurs. Il convient donc de s’interroger sur l’étendue de son champ d’application relativement aux sujets de droit concernés ainsi que le contenu des droits qu’on a entendu protéger. De par les statuts (Traité et textes subséquents), il incombe à la Cour de Justice de l’UEMOA de veiller « au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité ». Au titre de cette mission générale qui lui confère une posture de veille permanente sur la norme communautaire, devrait-on induire que la Cour doit être habilitée à sanctionner les Organes de l’Union pour non-respect des dispositions prévues à l’article 3 de son Traité constitutif ?
C’est l’évidence même pensons-nous, dès lors que le Traité à travers l’article 3 met à la charge de l’Union une obligation de se conformer aux droits consacrés par des instruments juridiques internationaux biens précisés. Il convient cependant de souligner que l’article 3 du Traité ne renvoie ni au protocole, ni à l’acte additionnel qui définissent ses statuts et précisent ses compétences. Le contenu de l’article 3 susvisé fait explicitement référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) de 1981.
Ainsi donc, l’Union, dans le cadre de son action, se doit de s’inscrire dans le respect de ces normes. Il serait peut-être souhaitable, en perspective d’une évolution des textes, de prendre en compte ces remarques pour prévoir expressément la compétence matérielle de la Cour de Justice dans ce domaine, qui serait en rapport avec sa mission spécifique. En réalité, ne disposant pas de son propre répertoire d’instruments de protection des droits fondamentaux, l’UEMOA a entendu assurer la protection des droits de l’homme, dans son ordre juridique, avec les instruments empruntés de l’ordre juridique international (DUDH) et de celui de l’Union Africaine.
La Déclaration universelle des droits de l’homme constitue donc la première source de protection des droits de l’homme à laquelle renvoie le Traité de l’UEMOA. Proclamée à Paris par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations-Unies, le 10 décembre 1948, la DUDH forme, actuellement, avec le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, le Pacte relatif aux droits civils et politiques et ses deux protocoles facultatifs, la Charte internationale des droits de l’Homme.
Le recours à la DUDH, comme source de protection des droits fondamentaux au sein de l’UEMOA, se justifie par son caractère universel à propos duquel René Cassin relevait : « Il s’agit de protéger l’unité de la famille humaine dont le socle est constitué des principes généraux de liberté, d’égalité, de non-discrimination et de fraternité … ». Les catégories de droits consacrés sont de même importance juridique et de dignité égale. Le premier groupe de droits est constitué « des droits et libertés d’ordre personnel » (articles 3 à 11 : vie, liberté, sûreté, habeas corpus, recours effectif, etc.).
Le deuxième est relatif aux «droits de l’individu dans ses rapports avec les groupements et les choses du monde extérieur ». Le troisième traite « des facultés spirituelles, des libertés publiques et des droits politiques fondamentaux » Enfin, le quatrième groupe vise les « droits économiques, sociaux et culturels ».
Ne disposant pas de son propre répertoire d’instruments de protection des droits fondamentaux, l’UEMOA a entendu assurer la protection des droits de l’homme, dans son ordre juridique, avec les instruments empruntés de l’ordre juridique international (DUDH) et de celui de l’Union Africaine
Il faut noter cependant, que malgré leur noble prétention à l’universalité, les articles constituant la DUDH restent marqués par une forte influence des valeurs culturelles occidentales. Pour autant, la Déclaration continue de représenter une source matérielle qui inspire la protection des droits de l’Homme dans l’ordre juridique de l’Union Européenne, tout comme les autres instruments internationaux des droits de l’Homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. L’origine occidentale des normes prescrites par la DUDH explique certainement pourquoi les pays africains, absents des procédures d’élaboration de la Déclaration, ont adopté la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ou Charte de Nairobi) comme instrument propre, de référence, en matière de protection des droits de l’homme.
Cette Charte a été adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et constitue le pilier du système régional africain de protection des droits de l’homme. Elle s’est voulu un instrument authentiquement africain traduisant la valeur accordée à la famille ainsi qu’à l’unité et la solidarité africaines. En effet, l’une de ses originalités résulte de la consécration de la protection d’une catégorie spéciale des droits de l’homme, dits droits de solidarité ou encore de troisième génération.
Il s’agit, en l’occurrence, du droit des peuples à l’existence et à l’auto-détermination, du droit des peuples à disposer de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, du droit au développement, du droit à la paix et du droit à un environnement sain. Au titre des droits individuels, la Charte africaine fait référence aussi bien aux droits civils et politiques dits de première génération, qu’aux droits économiques, sociaux et culturels dits de deuxième génération.
Quant à la CADHP, son caractère obligatoire ne suscite pas débat en ce qui concerne les États parties, dès lors que ces derniers l’ont signée et ratifiée conformément à leurs règles constitutionnelles nationales
En se référant d’une part, à la DUDH comme instrument universel de protection des droits de l’Homme et, d’autre part, à la CADHP en tant que source régionale de protection de ces droits, le Traité de l’UEMOA, comme le relève pertinemment le Docteur Relwende Louis Martial Zongo, a entendu inscrire la protection des droits fondamentaux, au sein de l’Union, dans la continuité du système de protection à l’échelle internationale, tout en privilégiant la spécificité de la protection régionale africaine des droits de l’Homme.
Par contre, il se pose la question de la valeur juridique de ces sources externes de protection des droits humains dans l’ordre juridique de l’UEMOA. Le statut juridique de la DUDH rapporté spécialement dans l’ordre juridique de l’UEMOA doit être considéré comme relevant du soft law qui désigne « des règles dont la valeur normative serait limitée, soit parce que les instruments qui les contiennent ne seraient pas juridiquement obligatoires, soit parce que les dispositions en cause, bien que figurant dans un instrument contraignant, ne créeraient pas d’obligation de droit positif, ou ne créeraient que des obligations peu contraignantes ».
Il faut souligner que la DUDH a été adoptée sous la forme juridique d’une résolution. De ce fait, à l’instar des autres résolutions déclaratives de l’Assemblée générale de l’ONU, elle ne possède pas, en tant que telle, de force juridique obligatoire. Certains auteurs affirment qu’elle ne comporterait qu’un simple engagement moral de ses signataires. C’est pourquoi la DUDH est souvent considérée comme une source matérielle, qui inspire la protection des droits de l’Homme dans l’ordre juridique de l’Union européenne au même titre que les « instruments internationaux de protection des droits de l’Homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré ». Mieux, de nos jours, les droits proclamés par la DUDH, ont été considérés comme revêtant le caractère de règles de droit coutumier, voire de normes impératives.
Quant à la CADHP, son caractère obligatoire ne suscite pas débat en ce qui concerne les États parties, dès lors que ces derniers l’ont signée et ratifiée conformément à leurs règles constitutionnelles nationales. Le principe de bonne foi en droit international commande que ceux-ci les appliquent, sous peine d’engager leur responsabilité internationale, notamment devant les instances africaines comme la Commission africaine des droits de l’Homme et peuples ou la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples.
Sur la question particulière de l’effet juridique obligatoire de la CADHP, on pourrait tout aussi appliquer la solution du principe de l’engagement unilatéral retenue pour la DUDH. Comme l’affirme, du reste, Julien CAZALA, « Le processus n’est pas propre au soft law : lorsqu’un tiers à un traité s’engage à respecter les termes de celui-ci, il n’est pas lié par le traité, n’intègre pas la Communauté des États parties, mais sera lié par l’engagement unilatéral pris ».
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