« Du fait de la situation sécuritaire au Burkina Faso, la Commission nationale des droits humains éprouve des difficultés à se rendre dans certaines localités en vue d’investiguer sur des allégations de violations des droits de l’homme », entretien avec Nedanlou Ismaël Gnaon, directeur des affaires juridiques de la Commission nationale des droits humains (première partie)

WATHI est allé à la rencontre de Nedanlou Ismaël Gnaon, directeur des affaires juridiques de la Commission nationale des droits humains du Burkina Faso. Dans cette première partie de l’entretien, il aborde les actions de la Commission en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme et les difficultés auxquelles l’institution est confrontée.

 

Biographie :

Magistrat de profession,  Nedanlou Ismaël Gnaon a exercé tour à tour les fonctions de juge d’instruction et de doyen des juges d’instruction au sein du système judiciaire du Burkina Faso, entre les tribunaux de grande instance de Fada N’Gourma et de Ouagadougou. En tant que militant et défenseur des droits humains, il fut membre d’Amnesty International au Burkina Faso où il avait coordonné la campagne dite « Contrôlez les armes » qui s’articulait autour d’actions de plaidoyers et de lobbying en vue de parvenir à l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies du Traité sur le commerce des armes.

Par la suite, il avait rejoint le Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique où il a participé à l’animation des sessions des Universités d’été des droits humains. Présentement, il est le directeur des affaires juridiques de la Commission nationale des Droits humains du Burkina Faso.

 

Entretien :

Quelle est la compétence de la Commission nationale des droits humains du Burkina Faso dans le champ des droits de l’homme ?

La Commission nationale des droits humains (CNDH) du Burkina Faso est une autorité publique indépendante qui a été originellement créée par un décret de 2001. En vue de conformer la CNDH du Burkina Faso aux Principes de Paris régissant les Institutions nationales des droits humains (INDH), le législateur a adopté en 2009 une loi portant institution d’une Commission nationale des droits humains. Toutefois, un certain nombre d’insuffisances ont affecté l’indépendance et l’autonomie de cette CNDH ; toute chose qui a conduit en 2016 à une relecture la loi qui l’a instituée pour davantage parfaire sa conformité aux principes de Paris.

C’est dans cette dynamique que des commissaires, statutairement au nombre de onze, ont été désignés par leurs pairs à travers un appel à candidature et des élections organisées sur la base de diverses composantes. C’est donc un processus qui s’est voulu le plus inclusif et ouvert possible qui a conduit à la désignation de neuf commissaires sur onze ; les centrales syndicales s’étant opposés à la désignation d’un des leurs, et l’ordre des médecins, n’ayant pu le faire en raison de difficultés internes. Pour ce qui est de ses missions, il faut dire que la loi a confié à la CNDH un mandat de promotion, de protection et de défense des droits humains au Burkina Faso.

Au titre de son mandat de promotion des droits humains, la CNDH organise des activités de sensibilisation, de formation et d’information à l’égard des autorités étatiques et non étatiques et procède à des activités de renforcement de capacités.

La CNDH a également un mandat de protection des droits humains. A ce titre, elle est dotée de mécanismes de plainte en interne au titre duquel elle peut être saisie par tout citoyen qui allègue des violations de droits humains. La saisine peut se faire au moyen d’une dénonciation lorsque la personne n’a pas subi directement les effets de cette violation des droits humains, mais en a juste connaissance et décide de la porter à la connaissance de la Commission.

La CNDH peut également être saisie d’une plainte à proprement parler, lorsque l’auteur de la saisine a subi personnellement un abus ou une violation de ses droits humains. La Commission va dès lors investiguer sur les violations alléguées et en établir les responsabilités le cas échéant. La loi a du reste prévu que les décisions auxquelles la CNDH parvient à l’issue de ses investigations s’opposent à tous les pouvoirs publics et personnes privées au niveau national.

Maintenant, la CNDH peut être saisie par divers canaux. Elle peut être saisie tout d’abord au moyen de courriers physiques qui sont déposés directement au siège de la Commission ou envoyés à sa boîte postale. La CNDH peut également être saisie par courrier électronique ou par téléphone sur son numéro vert le 80 00 12 94 ou sur les autres lignes téléphoniques de la Commission. Enfin, elle peut être saisie en venant directement à son siège en vue d’un entretien avec le personnel aux fins de plainte ou de dénonciation.

Quel rapport la Commission nationale des droits humains entretient-elle avec l’État, notamment ses démembrements institutionnels tels que l’exécutif, le législatif et les juridictions nationales ?

La loi instituant la CNDH dispose que celle-ci collabore avec les autres institutions, mais précise qu’elle conserve toute sa liberté et son indépendance d’action dans le cadre de cette collaboration.

Pour ce qui est des rapports de la CNDH avec l’Exécutif, ceux-ci sont des relations de courtoisie républicaine. Le gouvernement peut solliciter l’avis de la CNDH sur toutes questions relatives aux droits humains. En outre, la Commission est habilitée à formuler à l’endroit du gouvernement toute proposition de réformes législatives portant sur la thématique des droits humains.

Relativement aux relations entre la Commission et le Parlement, il faut dire que la CNDH est régulièrement associée par les commissions des lois de l’Assemblée nationale à l’examen des avant-projets de loi ou de projet de loi.

La CNDH bénéficie d’une totale franchise en vue d’accéder à tous les lieux de privation de liberté. Si d’aventure elle y observe des faits pouvant être qualifiés de torture ou de traitements cruels inhumains et dégradants, l’autorité judiciaire sera appelée à y réserver les suites de droit

Pour ce qui est des interactions entre la CNDH et le pouvoir judiciaire, il faut dire qu’il s’agit de relations de bénéfices mutuels. L’on note une certaine complémentarité entre ces deux institutions car très souvent, lorsque la CNDH documente des cas de violation des droits humains, elle formule des recommandations pouvant donner lieu à des poursuites pénales. La CNDH effectue régulièrement le monitoring des procès pénaux. A l’issue de ceux-ci, elle communique ses rapports aux autorités judiciaires.

Enfin, il convient de préciser que la Commission s’est vue reverser le Mécanisme national de prévention de la torture en mars 2021. A ce titre, la CNDH bénéficie d’une totale franchise en vue d’accéder à tous les lieux de privation de liberté. Si d’aventure elle y observe des faits pouvant être qualifiés de torture ou de traitements cruels inhumains et dégradants, l’autorité judiciaire sera appelée à y réserver les suites de droit.

Quelles sont les difficultés auxquelles la Commission nationale des droits humains est confrontée dans l’accomplissement de ses missions ?

Les difficultés sont assez nombreuses, je ne vais pas m’attarder sur les difficultés matérielles qui ne sont pas exclusives à la seule CNDH burkinabè. Deux difficultés principales me viennent à l’esprit. La plus essentielle, selon moi, c’est d’abord la situation sécuritaire.  Du fait de celle-ci, la Commission éprouve des difficultés à se rendre dans certaines localités du territoire national en vue d’investiguer sur des allégations de violations des droits de l’homme.

Suite à la récente attaque terroriste survenue en juin dernier à Solhan, dans la région du Sahel, la Commission a dépêché une mission de documentation et de rapportage des violations des droits humains auxquelles celle-ci a donné lieu.  Cependant les circonstances sécuritaires sur le terrain n’ont pas permis à la mission de se rendre sur le lieu de commission du massacre, d’autant plus que les responsables de la sécurité en ont dissuadé la délégation. Les membres de la Commission ont donc dû se limiter au chef-lieu de la région.

Cela vaut également pour bien d’autres localités où la Commission aimerait bien se rendre, en vue d’investiguer sur des thématiques diverses telle que l’impact des activités extractives sur les droits humains. Mais la situation sécuritaire au sein de ces zones est telle que le personnel de la Commission qui s’y rendrait serait fortement en danger. La problématique sécuritaire est donc la principale difficulté qui affecte l’efficacité des actions de la Commission.

Suite à la récente attaque terroriste survenue en juin dernier à Solhan, dans la région du Sahel, la Commission a dépêché une mission de documentation et de rapportage des violations des droits humains auxquelles celle-ci a donné lieu.  Cependant les circonstances sécuritaires sur le terrain n’ont pas permis à la mission de se rendre sur le lieu de commission du massacre, d’autant plus que les responsables de la sécurité en ont dissuadé la délégation

La deuxième difficulté que je tiens à relever est relative à la méconnaissance de l’institution qu’est la CNDH, tant dans son mandat que dans ses prérogatives. Cette méconnaissance de la Commission est davantage problématique lorsqu’elle s’observe dans la personne des autorités étatiques. J’ai en mémoire l’exemple d’un responsable d’unité de police judiciaire qui s’est opposé à ce que la Commission puisse avoir accès aux cellules de garde à vue de son unité car n’ayant pas reçu d’instructions de sa hiérarchie dans ce sens.  Celui-ci a autorisé la mission a le faire seulement après avoir passé un certain nombre de coups de fil.

Les actions de la Commission nationale des droits humains sont-elles limitées par le problème de l’autonomie financière qui affecte beaucoup d’institutions nationales de protection des droits de l’homme en Afrique ?

Il est possible en effet que le fonctionnement de la Commission soit affecté par des questions de finances. A ce sujet, deux décrets d’application de la loi de 2016 ont été pris par le gouvernement. Il s’agit de celui portant rémunération des membres de la CNDH et du décret portant statut du personnel de la CNDH.

Ceci dit, au-delà des aspects d’ordre salarial, pour la première fois à partir de l’année 2022 la Commission va bénéficier d’une section dans le budget national. Jusqu’à ce jour, les dotations budgétaires nécessaires au fonctionnement de la Commission étaient logées dans les comptes du ministère de la Promotion des droits humains. Ainsi, la Commission va bénéficier d’un budget propre.

Les difficultés matérielles et financières existent certes mais il convient de saluer les efforts déployés en vue d’éviter que cela n’entrave au bon fonctionnement de la Commission. A ce titre, permettez-moi de saluer l’excellence du partenariat que la Commission a noué avec un certain nombre d’organisations internationales.

Pour la première fois à partir de l’année 2022 la Commission va bénéficier d’une section dans le budget national. Jusqu’à ce jour, les dotations budgétaires nécessaires au fonctionnement de la Commission étaient logées dans les comptes du ministère de la Promotion des droits humains. Ainsi, la Commission va bénéficier d’un budget propre

Je citerai notamment l’Union européenne, l’Association du barreau américain/initiative pour l’État de droit (ABA/ROLI) et l’Organisation internationale du droit du développement (IDLO) qui exécutent des programmes en tandem avec la CNDH.

Les activités menées au titre de ces programmes sont prises en charge financièrement par ces partenaires. Ces appuis viennent en complément du budget de la CNDH et permettent ainsi d’accroître les capacités d’intervention de la Commission.

 

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