Droit à un conseil dès l’interpellation : de la portée de la réforme du code de procédure pénale, UMS, 2018

Auteur : El Hadji Birame Faye

Organisation affiliée : UMS

Type de publication : Article

Date de publication : Janvier 2018

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Un code, n’est pas plutôt achevé, que mille question inattendues viennent s’offrir aux magistrats. Cette assertion de Portalis se vérifie, une fois de plus, avec la loi n°2016-30 du 8 novembre 2016 portant modification du code de procédure pénale précisément, à propos de l’article 55 nouveau qui prévoit en son alinéa 9 que « l’officier de police judiciaire informe la personne interpellée de son droit de constituer conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis en stage ». S’agit- il d’une disposition à l’effet de conférer un statut à la personne interpellée ou tout simplement d’une formalité liée à la prolongation de la garde à vue? Le moins que l’on puisse dire c’est que cette modification est déjà, source d’une grande polémique.

Les officiers de police judiciaire, sans doute confortés par des magistrats qui ont quelque scrupule à prononcer la nullité du procès-verbal d’enquête de police, rechignent à notifier à l’agent pénal ses droits et se refusent catégoriquement à admettre la présence de l’avocat dès la première heure de la garde à vue, au grand dam du barreau qui s’égosille sur tous les toits, à crier à la forfaiture. Mais, à notre sens, les acteurs judiciaires se trompent de débat car c’est moins la question de la reconnaissance du droit à un conseil de toute personne interpellée(I) que celle du statut de personne interpellée (II), qui se pose.

  1. La reconnaissance effective (univoque) du droit à un conseil à toute personne interpellée
  • Dans la loi 2016-30 portant modification du code de procédure pénale

Sans verser dans l’iconoclasme mais au risque de heurter ou de refroidir les ultras conservateurs qui défendent mordicus le statu quo ante, considérant que la nouvelle rédaction de l’article 55 du code de procédure pénale est neutre par rapport à l’ancienne version et pour qui donc, aujourd’hui pas plus qu’hier, le mis en cause n’a droit à un avocat qu’en cas de prolongation de la mesure de garde à vue, il nous semble qu’il s’agit là d’une vaine controverse.

En effet, les pourfendeurs de cette disposition nouvelle s’agrippent désespérément à l’insertion malencontreuse du texte dans l’article 55 du code de procédure pénale organisant la garde à vue et immédiatement après le paragraphe sur la prolongation de  ladite mesure, pour justifier leur posture. Or, si la situation du paragraphe objet de la modification peut certes, laisser croire, à première vue,  qu’il se rattache aux dispositions qui organisent le régime de la prolongation de la garde à vue, une lecture plus attentive révèle qu’il n’en est rien et ceci pour plusieurs raisons. (…) non seulement les termes du législateur prêtent peu à équivoques avec la référence nouvelle à la « personne interpellée », mais aussi et plus décisivement la lecture de l’exposé des motifs de la loi ne laisse pas davantage persister de doute, s’il en est encore, d’autant plus que ce droit au conseil frappait déjà avec insistance aux portes de notre procédure pénale par le biais du règlement précité.

Il faut se réjouir de cette avancée de la démocratie et de l’État de droit et à fortiori, le juge qui constitutionnellement, est le garant des droits et libertés fondamentaux doit, sans verser dans la recherche d’expédient, prononcer sans état d’âme, la nullité pour sanctionner la carence de l’officier de police judiciaire

Il est vrai qu’il s’agit d’un bouleversement, d’une option pour le moins inattendue car le débat était surtout circonscrit autour de la question de l’admission de l’avocat dès la première heure ou dès les premières heures de la garde à vue, avec en filigrane la sempiternelle équation de l’équilibre entre l’efficacité de l’enquête, gage de la préservation de l’ordre public, de l’intérêt général et la protection des droits et libertés fondamentaux.

Malgré tout, pour peu que le législateur ait pris le parti de renforcer les droits de la défense, il faut se réjouir de cette avancée de la démocratie et de l’État de droit et à fortiori, le juge qui constitutionnellement, est le garant des droits et libertés fondamentaux doit, sans verser dans la recherche d’expédient, prononcer sans état d’âme, la nullité pour sanctionner la carence de l’officier de police judiciaire.

  • Dans le cadre du règlement n°5/CM/UEOMA relatif à l’harmonisation de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA

Aux termes de l’article 5 du règlement précité « les avocats assistent leur client dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police de la gendarmerie ou devant le parquet… ».

Il est exagérément restrictif voire déraisonnable de croire que l’admission de l’avocat ne doit être envisagée que dans le cadre de l’enquête préliminaire

La question de l’applicabilité du règlement ne se pose pas dans la mesure que, ce type d’acte a vocation à être directement applicable dans tous les États membres dès son entrée en vigueur. Mieux, « il produit des effets immédiats et est comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l’obligation de protéger ». Cette précision faite, il semble qu’il n’y ait pas de raisons pertinentes de refuser la présence de l’avocat au stade liminaire de l’enquête pénale.

Et cette disposition du règlement est encore beaucoup plus protectrice des droits fondamentaux mais la comparaison des deux régimes n’est pas ici le propos. Donc, sous réserve des développements ultérieurs consacrés à la notion d’interpellation, il est exagérément restrictif voire déraisonnable de croire que l’admission de l’avocat ne doit être envisagée que dans le cadre de l’enquête préliminaire.

Par ailleurs, il ne peut être soutenu avec pertinence le fait que le règlement n’a prévu aucune sanction en cas de carence pour éviter de prononcer la nullité car aux termes de notre charte fondamentale, les droits de la défense sont absolus. Autrement, leur méconnaissance constitue une violation procédurale substantielle  susceptible d’être censurée comme telle de nullité, même en l’absence de texte sanctionnateur spécifique.

  1. Le statut de personne interpellée ?
  • Généralités sur la notion d’interpellation

L’interpellation est un substantif susceptible de plusieurs sens, c’est l’action d’interpeller qui tout aussi polysémique, peut signifier arrêter ou apostropher quelqu’un. C’est aussi, la sommation faite à quelqu’un d’avoir à dire ou à faire quelque chose. En droit constitutionnel, il s’agit d’une demande d’explication adressée par  un parlementaire à un membre du gouvernement, et en droit civil, il désigne la mise en demeure. En droit pénal, le terme peut renvoyer à une sommation adressée par un agent de l’autorité à un individu (suspect, agent de trouble) en vue d’un contrôle ou d’un rappel à l’ordre. Dans le code de procédure pénale sénégalais, son utilisation était jusque-là cantonnée au périmètre de la sommation d’huissier.

En substance, la notion d’interpellation renvoie aux concepts de sommation et d’arrestation. Mais dans le premier cas le terme apparait d’un côté trop élastique et d’un autre trop restreint lorsqu’il est réduit à un contrôle ou un rappel à l’ordre. Du reste dans cette optique, l’interpellation peut se concevoir en marge de toute enquête alors qu’au vu du régime juridique organisé par l’article 55 du code de procédure pénale précité, il apparait que l’interpellation n’est envisagée autrement que dans le cadre d’une enquête pénale. L’idée d’arrestation semble primer mais, l’on ne peut manquer de s’interroger sur le recours, à la notion, d’ »interpellée » moins formelle en droit pénal par rapport à celle « d’arrêtée ».

Le choix est sans doute délibéré mais malgré tout, il semble inutile de rechercher des éléments de distinction entre deux termes que la jurisprudence comme la doctrine emploie indifféremment. Il faut donc considérer l’ »interpellation » comme un autre synonyme du mot « arrêté » dans notre code de procédure pénale. Ceci étant, le terme arrestation ou interpellation au sens strict est le fait d’appréhender un individu au corps, c’est-à-dire d’annihiler matériellement la liberté fondamentale d’aller et de venir à son gré, d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. L’interpellation ou l’arrestation ne concerne que les personnes arrêtées en flagrant délit ou en vertu d’un mandat judiciaire d’amener ou d’arrêt et se distingue de la comparution forcée, de la  détention et de la rétention en l’occurrence de la garde à vue.

  • Le champ d’application

Au vu du cadre légal du droit à l’avocat dès l’interpellation, il est évident que les interpellations intervenues en vertu de mandats judiciaires ne sont pas visées par le texte qui semble être circonscrit au stade de l’enquête de police. Au-delà,  il faut distinguer deux catégories de personnes, celles qui sont soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction, en l’occurrence interpellées en flagrant délit ou placées en garde à vue et, celles qui sans être dans ce cas, sont forcées à comparaitre ou retenues pour les nécessités de l’enquête dans le cadre et dans les conditions de l’article 55 alinéa 1 du code de procédure pénale.

Or, si au regard de l’exposé  des motifs de la loi 2016-30 précité qui justifie le droit à l’avocat dès l’interpellation par la volonté de « renforcer les droits de la défense », il est certain que la personne suspecte interpellée entre dans le champ d’application du texte(1) en revanche pour le reste, le doute est permis car s’agissant d’une personne non suspectée(2), elle n’est pas en principe protégée par les droits de la défense.

  • Le champ d’application univoque : l’interpellation de la personne suspecte

Au regard de notre code de procédure pénale l’arrestation ou l’interpellation stricto sensu sans ordre d’un magistrat  n’est possible qu’en cas de flagrant délit. Toute personne peut y procéder à fortiori un agent ou un officier de police judiciaire. De ce point de vue, il est clair que le texte a entendu régir cette situation, l’enjeu étant surtout de déterminer le délai raisonnable de notification du droit à un avocat lorsque l’interpellation n’a pas été faite par un officier de police judiciaire.

Il est tout aussi certain que ce droit au conseil couvre le domaine de la garde à vue qui est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, dans le cadre de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, sous le contrôle du procureur de la république, par laquelle une personne à l’encontre de qui il existe une ou plusieurs raisons de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, est maintenue à la disposition des enquêteurs dans leurs locaux.

A partir du moment où le droit à un avocat, tel qu’il apparait dans la nouvelle loi, est arrimé à l’interpellation, il transcende tout le régime de la garde à vue, et ne présente à cet effet d’intérêt que dans l’hypothèse où le placement en garde à vue intervient à la suite d’une comparution spontanée ou libre. Dans ce dernier cas, à l’instar de la personne interpellée stricto sensu, l’officier de police judiciaire est tenu également de notifier à la personne placée en garde à vue son droit à un conseil et d’observer les formalités requises, au moment de l’application de la mesure.

Par contre, la personne soupçonnée d’avoir commis un crime ou délit flagrant de terrorisme est expressément exclue du champ d’application du droit au conseil dès l’interpellation, le choix ayant été de tenir compte de la particularité des infractions de terrorisme. De sorte que pour la personne placée en garde à vue dans ce cadre, rien n’a changé, elle n’a droit à un conseil qu’en cas de prolongation de la mesure.

  • Le champ d’application incertain : le sort de la personne non suspectée

A côté de la personne placée en garde à vue, l’officier de police judiciaire peut également garder à sa disposition pour les mêmes motifs de nécessité de l’enquête, une personne pendant 24h dans les conditions de l’article 55 alinéa 1 du code de procédure pénale. Avec la seule nuance que dans ce dernier cas, le délai de 24h ne peut en aucune manière être prorogé.

Il peut s’agir de personnes trouvées sur les lieux de l’infraction ou de personnes dont l’officier de police judiciaire entend vérifier l’identité et de témoins forcés à comparaître. Ce ne sont donc pas des suspects ou en tous les cas elles ne sont pas encore officiellement reconnues comme telles à ce stade de la procédure. Ces individus n’étant pas pénalement mis en cause, ils ne sont pas dans la position de se prévaloir de droits de la défense.

Sous ce rapport, lorsque le droit au conseil durant la phase de l’enquête est envisagé dans l’optique stricte des droits de la défense, il va sans dire que les personnes ci-dessus énumérées se situent en dehors du champ d’application du droit à l’avocat dès l’interpellation.

Une avancée remarquable et salutaire qui peut constituer une garantie solide pour toutes ces personnes dans une position de vulnérabilité particulière vis-à-vis des pouvoirs inquisitoriaux des enquêteurs

Par contre, si on considère d’une part que le témoin forcé à comparaitre ou le gardé à disposition subit au même titre que le gardé à vue une mesure de contrainte sur sa personne, une atteinte à son droit d’aller et de venir dès l’instant que dans l’un ou l’autre cas, il est maintenu contre son gré à la disposition des enquêteurs, sans possibilité de s’en soustraire tant que le délai n’est pas expiré ou que la mesure n’est pas levée.

Et d’autre part que ce droit a, vocation, au-delà des droits de la défense, à lutter contre les arrestations et les rétentions arbitraires, à organiser le cadre de l’enquête dans des conditions qui garantissent le respect de la loyauté et de la dignité de la personne, on peut en conclure qu’il n’y a pas lieu à faire une distinction-surtout là où la loi n’en fait pas- entre les deux régimes dans la perspective de la reconnaissance du droit à un avocat à la personne interpellée.

Il semble donc que dans la phase de l’enquête, le législateur a entendu conférer un statut à la personne interpellée quels qu’en soient les motifs. Et il s’agit là d’une avancée remarquable et salutaire qui peut constituer une garantie solide pour toutes ces personnes dans une position de vulnérabilité particulière vis-à-vis des pouvoirs inquisitoriaux des enquêteurs.

 

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