Auteur : Valérie Couillard
Organisation affiliée : Anti-Slavery International
Date de publication : Juin 2019
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Circonstance de l’esclavage en Afrique de l’Ouest
En Mauritanie, au Mali et au Niger, la problématique de l’esclavage par ascendance forme la base des projets qui ont été mis en œuvre avec Anti-Slavery International au cours de la dernière décennie. L’esclavage par ascendance est défini par Anti-Slavery International ainsi : « une situation où des personnes naissent en esclavage parce que leurs ancêtres ont été capturés et que depuis lors, leurs familles ont vécu sous le joug des propriétaires d’esclaves.
Le statut d’esclave est transmis par la lignée maternelle. » Anti-Slavery International explique aussi que l’esclavage par ascendance existe toujours au Sahel, soit en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Tchad et au Soudan, et que dans plusieurs autres sociétés africaines certaines personnes sont considérées comme des descendants d’esclaves et d’autres comme des propriétaires d’esclaves.
De l’avis d’Anti-Slavery International, il est très difficile, voire impossible de tirer des constats généraux sur le nombre de personnes en situation d’esclavage par ascendance. Les statistiques indiquent à quel point les informations disponibles sont minimales et décousues. Par ailleurs, la nature très sensible, taboue et illicite de l’esclavage ne favorise pas – et peut rendre dangereuse – la collecte de données complètes par les organisations qui sont en contact avec les populations affectées.
Avancées juridiques récentes et contexte politique
La Mauritanie a connu des avancées législatives remarquables dans la dernière décennie, avec la loi de 2007 modifiée en 2015 pour créer trois cours pénales spécifiques à l’esclavage, accorder le statut de partie civile aux associations luttant contre l’esclavage et instituer une journée nationale de lutte contre l’esclavage. La loi de 2015 est toutefois mal appliquée. Un problème flagrant de volonté politique existe, puisque que l’État mauritanien nie publiquement et explicitement l’existence même de la pratique sur son territoire.
Il n’y a pas au Mali de loi spéciale pour interdire l’esclavage. Celui-ci est catégorisé par le Code pénal de 2001 en tant que crime contre l’humanité et crime de guerre. En pratique, il en résulte que les violences faites aux victimes d’esclavage sont punissables comme des infractions criminelles (voies de faits, brutalité, torture…), mais sans tenir compte du contexte général d’une tradition de l’esclavage par ascendance.
Au Niger, une loi criminalisant l’esclavage (adoptée en 2003) reconnaît le problème, mais plusieurs organisations dénoncent sa non application ainsi que l’absence de reconnaissance de l’esclavage comme un crime grave par les décideurs judiciaires et coutumiers. L’esclavage est parfois puni, mais « en tant que petit délit au lieu d’être traité comme un crime sérieux par les tribunaux ». De plus, il n’existe aucune politique spécifique sur les populations d’ascendance esclave.
- Aperçu des programmes et constats préliminaires
Au premier plan des obstacles identifiés dans la lutte contre l’esclavage se trouvent les problèmes de volonté politique et de lenteur judiciaire ; l’absence de volonté politique continue à faire obstacle au changement dans les trois pays et la lenteur et l’inaptitude du système judiciaire à traiter des cas d’esclavage sont généralisées dans les trois pays. Le travail au plan juridique est considéré comme une composante clef des programmes face à l’inaction des autorités politiques et judiciaires. L’appareil d’État ne cherche pas à poursuivre les auteurs des crimes commis à l’encontre des personnes d’ascendance esclave ou en situation d’esclavage.
L’absence de volonté politique continue à faire obstacle au changement dans les trois pays et la lenteur et l’inaptitude du système judiciaire à traiter des cas d’esclavage sont généralisées dans les trois pays
Les actions de Temedt, Timidria et SOS-Esclaves ont été décrites par les évaluateurs indépendants comme ayant influencé la reconnaissance grandissante de l’existence de la problématique. Il a été souligné que, malgré le nombre limité des prêts, le micro-crédit avait apporté de réels changements tels l’autonomisation, la réduction de l’exclusion et la restauration de la dignité des victimes. Les partenaires ont démontré leur capacité à développer des approches stratégiques nationales et internationales et il a été suggéré que les trois organisations améliorent leurs approches avec l’intégration de nouveaux partenariats et de nouveaux alliés, tels que les chefs traditionnels et les anciens maîtres.
- Perspectives pratiques sur les acquis et les obstacles
Mauritanie : En Mauritanie le travail de plaidoyer au niveau national n’a pas fonctionné. La planification des activités était pertinente et appropriée, mais vu le contexte politique, il était impossible qu’un changement s’opère. Les programmes mis en œuvre ont été fortement ancrés dans une stratégie de plaidoyer visant la reconnaissance explicite par l’État de l’existence de l’esclavage. Contrairement à ce qui était espéré, le nombre de cas qualifiés de cas d’esclavage par les tribunaux, et assortis des peines prévues par la loi, n’a pas augmenté de manière significative.
Mali : (…) il n’y a pas au Mali de loi spéciale pour interdire l’esclavage. Entre 2013 et 2016, le Ministère de la Justice a soutenu un projet de loi criminalisant la pratique de l’esclavage devant les instances législatives compétentes. Cependant, des réaffectations ont compromis le suivi de ce projet de loi, qui n’a toujours pas été adopté. (…) depuis le coup d’état de 2012, la crise qui sévit au pays semble avoir significativement influencé les priorités des bailleurs de fonds et dirigé les ressources financières vers l’aide humanitaire d’urgence, laissant de côté pour le moment les programmes de longue haleine, comme la lutte contre l’esclavage.
Niger : « Les juges ne prennent pas au sérieux le crime d’esclavage, et ne le traitent pas à sa juste gravité. L’esclavage est considéré comme un délit au lieu d’être traité comme le crime sérieux qu’il est. » Dans les affaires pénales, les peines ne sont pas représentatives de la gravité du crime d’esclavage. La réussite des actions pour la réhabilitation des anciens esclaves est fortement ancrée dans la création des écoles. Non seulement les enfants ont l’opportunité d’étudier et de participer à de nombreuses actions d’entraide communautaire (les conseils d’enfants par exemple), mais toute une structure communautaire de soutien aux anciens esclaves a été mise en place autour même des écoles.
- Tirer parti des apprentissages et regards vers le futur
L’état des réformes juridiques nationales présente des angles de réflexion particulièrement intéressants, parce que la mise en œuvre efficace de la loi peut mener au changement. Dans les trois pays, les activités des projets qui prévoient le recours à la justice présentent de nombreux défis de mise en œuvre. Dans les trois pays, la volonté politique et la capacité des autorités gouvernementales sont des obstacles majeurs au changement.
La société civile se trouve ainsi souvent avec des responsabilités qui relèvent en principe de l’État, en d’autres mots, à faire le travail de l’État. Une des façons de promouvoir l’auto-détermination des populations d’ascendance esclave est de soutenir leurs initiatives pour la création et le maintien de réseaux, et par la même occasion soutenir les opportunités pour le renforcement d’un mouvement anti-esclavagiste qui soit mené par les populations affectées elles-mêmes.
Les femmes des communautés d’ascendance esclave sont particulièrement vulnérables et subissent de multiples formes de violation de leurs droits. La discrimination à laquelle elles font face s’opère entre autres au moyen de diverses structures sociales, l’absence de protections juridiques et/ou l’existence de lois discriminatoires. Aussi, la décision de sortir de l’esclavage est plus difficile à prendre pour les femmes, qui ont souvent des enfants à charge et qui ont peu d’espoir de devenir indépendantes financièrement à long terme.
Devant la justice, les femmes font face à plusieurs obstacles, notamment en raison de l’application de principes discriminatoires fortement ancrés dans des sociétés profondément inégalitaires. Pour ne soulever que deux exemples notés par les évaluateurs des programmes : la valeur probante des témoignages des femmes est dans certains cas considérée moindre que celle des témoignages des hommes ; et les femmes risquent d’être incriminées injustement lorsqu’elles s’adressent à la justice pour dénoncer l’esclavage.
Une des façons de promouvoir l’auto-détermination des populations d’ascendance esclave est de soutenir leurs initiatives pour la création et le maintien de réseaux, et par la même occasion soutenir les opportunités pour le renforcement d’un mouvement anti-esclavagiste qui soit mené par les populations affectées elles-mêmes
Dans les trois pays, la volonté politique et la capacité des pouvoirs décisionnels à faire face au problème de l’esclavage par ascendance demeurent si limitées qu’il s’agit là de l’obstacle principal à l’éradication de la pratique. Les gains au niveau législatif ne suffisent pas, et dans la pratique, ni les autorités de l’État ni les instances judiciaires ne sont mises à contribution pour appliquer les lois de façon à réaliser leurs propres objectifs.
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