WATHI est allé à la rencontre de la Professeure Hajer Gueldich, agrégée de droit public. Dans cet entretien, elle analyse les décisions de l’Union africaine relativement aux coups d’État intervenus sur le continent africain entre 2019 et 2021 et évoque les réformes institutionnelles dont l’organisation panafricaine devrait subir pour mieux combattre les changements anticonstitutionnels de gouvernement.
Biographie :
Professeure de nationalité tunisienne agrégée de droit public et auteure d’une thèse intitulée Droit d’ingérence et interventions humanitaires : état du droit et de la pratique internationale, Madame Hajer Gueldich est membre élue de la Commission de l’Union africaine pour le Droit international depuis 2015 et en est le Rapporteur général. Elle a été désignée membre de l’équipe des experts de son excellence Paul Kagamé pour la Réforme institutionnelle de l’Union africaine depuis 2017.
Elle est directrice du Master de recherche en droit et politiques de l’Union africaine et responsable de la Chaire des études africaines, en même temps directrice du Laboratoire de recherche en droit international, juridictions internationales et droit constitutionnel comparé à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Carthage de Tunis. Ses recherches portent principalement sur le droit international, les relations internationales, les juridictions internationales et régionales et le droit africain de l’intégration régionale.
Entretien :
Quelles sont les causes des changements anticonstitutionnels de gouvernement dans les États africains ?
Les causes des changements anticonstitutionnels de gouvernement sont à la fois endogènes et exogènes. Il y a des causes qui remontent depuis les manœuvres frauduleuses sur la loi électorale et tripatouillages de la Constitution qu’on va réécrire sur mesure pour s’offrir un troisième mandat ou pour se pérenniser au pouvoir. Ceci témoigne d’un déficit de culture de la démocratie en Afrique. Il y a aussi le problème de la corruption, de la malversation et de dysfonctionnement de la justice, notamment la Cour des cours, c’est-à-dire la Cour constitutionnelle.
Dans un Etat de droit, la Cour constitutionnelle est la garante du respect des droits humains, de la démocratie et de la Constitution. Malheureusement, lorsqu’elle ne fonctionne pas comme une juridiction indépendante avec des juges impartiaux, elle ne pourrait censurer les actes des autorités politiques susceptibles d’engendrer des crises constitutionnelles ou des changements anticonstitutionnels de gouvernement.
Il y a aussi les causes venues de l’extérieur que je nomme les ingérences politiques des puissances étrangères néocoloniales et qui sont des sources de problèmes énormes au niveau du continent africain. Il y a parfois des puissances étrangères qui tirent les ficelles pour mettre certains Etats africains dans le désordre afin de mieux garder leur main mise sur les richesses naturelles.
Ces puissances étrangères tirent profit de ce qu’on pourrait appeler l’économie de la guerre, et comme nous le savons tous, le continent africain regorge des ressources naturelles extraordinaires qui suscitent la convoitise des grandes entreprises étrangères. Ces dernières sont soutenues par les gouvernements de leur pays d’origine qui s’immiscent dans les affaires intérieures des Etats africains et parfois à contre-courant avec la volonté populaire.
Au nombre des situations constitutives de changement anticonstitutionnel de gouvernement, l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance cite en son point 5 « tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique ». Pourtant, le contournement de la limitation des mandats est plus que d’actualité en Afrique avec des modifications de la Constitution pour réadapter le décompte au nouveau mandat à solliciter.
Pourquoi l’UA parait si impuissante face à toutes ces situations où des présidents en exercice procèdent à des tripatouillages de la Constitution en vue de s’offrir indéfiniment des mandats ou un mandat de plus ?
Cette question nous suggère trois autres pour une meilleure compréhension de la situation. Le terme impuissance de l’Union Africaine est-il approprié pour qualifier le recul nécessaire à l’appréciation des modifications constitutionnelles ? Par ailleurs, quel est le contenu que l’on choisit de donner aux manipulations de la constitution et autres tripatouillage électoraux ? Enfin, tous les gouvernements africains sont-ils démocratiques ou favorables à la démocratie ?
À la vérité, s’il y a un élément de réponse qui semble unanimement partagé dans la mesure de son incontestabilité, c’est celle selon laquelle l’UA dispose d’un nombre important d’instruments juridiques et institutionnels, mais demeure la question de leur efficacité qui dépend fortement tantôt de la volonté politique tantôt du financement des interventions visant à rétablir l’ordre constitutionnel. A cet égard, il y a lieu de rappeler que parmi les principes de l’Union africaine consacrés par l’article 4 de l’Acte constitutif du 11 juillet 2000, nous notons: « [la] Condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement ».
L’Union africaine ne s’est pas contentée des dispositions relatives au respect de la démocratie et de l’Etat de droit dans son Acte constitutif. Elle a adopté, lors de la huitième session ordinaire de la conférence tenue le 30 janvier 2007 à Addis Abeba, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Il s’agit d’une véritable convention internationale imposant des normes de référence en matière de démocratie et des droits de l’Homme.
Pratiquement aucun autre texte international de type continental, mis à part la Charte démocratique interaméricaine (adoptée à la première séance plénière tenue le 11 septembre 2001), n’en fait autant. Le point 4 de l’article 2 relatif aux objectifs de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance précise que celle-ci vise à « interdire, rejeter et condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout Etat membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement ».
Au-delà, la question de l’alternance démocratique n’est pas aussi simple qu’on aurait la facilité de penser et de conclure. Elle fait en réalité débat dans la mesure où elle se trouve à la lisière entre la liberté démocratique du peuple de choisir ses représentants et l’égalité des chances dans la participation politique à la gestion des affaires de la cité. Si elle est mal gérée ou manipulé inopportunément par les institutions communautaires et régionales, on s’expose soit à la remise en question de l’esprit démocratique qui suggère de placer la volonté du peuple au centre du processus démocratique, soit à une remise en question de la liberté souveraine du peuple de choisir son système de gouvernement (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Ceci représente une grave ingérence dans les affaires internes des Etats, un coup de force contre la démocratie qui aurait entre autre conséquence la crise de la légitimité au sein de l’Etat et vis-à-vis de l’organisation régionale.
La question de l’alternance démocratique n’est pas aussi simple qu’on aurait la facilité de penser et de conclure. Elle fait en réalité débat dans la mesure où elle se trouve à la lisière entre la liberté démocratique du peuple de choisir ses représentants et l’égalité des chances dans la participation politique à la gestion des affaires de la cité.
On est donc en présence d’un concept particulièrement ambigu que la Déclaration de Lomé a eu le mérite d’identifier, en l’érigeant au rang des principes relatifs à la gouvernance démocratique à travers notamment « v) [l’]admission du principe de l’alternance démocratique et [la] reconnaissance d’un rôle pour l’opposition ». Cependant, il subsiste des indéterminations conceptuelles qui s’articulent autour de deux interrogations : la première est de savoir si toute alternance est démocratique et la seconde si la démocratie se définit exclusivement par référence à l’alternance. Il est donc finalement question de préciser si l’alternance est une nécessité ou un impératif démocratique.
En effet, bien que la position de l’UA soit claire en ce qui concerne la consécration du principe d’alternance comme étant cardinal à la mise en œuvre de la démocratie en Afrique, ledit principe semble avoir une portée beaucoup plus recommandative dans la mesure où elle s’oppose à l’alternance non démocratique (par la force, par l’absence de la volonté du peuple consistant tantôt dans la transmission héréditaire du pouvoir, tantôt dans les atteintes multiformes à la légalité pour proroger le mandat ; par l’instrumentalisation de ladite volonté consistant dans les manœuvres frauduleuses visant à prétendre son expression ou la vicier ou enfin ne pas mettre le peuple dans les conditions d’exprimer librement son suffrage).
On comprend donc que le problème ne réside pas dans l’idée « d’alternance », mais dans le caractère démocratique de cette alternance. D’ailleurs, l’expression nous semble superfétatoire dans la mesure où le jeu démocratique ne vise pas exclusivement l’alternance mais renvoie à la manifestation de la volonté d’un peuple (dont l’identification semble visiblement controversée au regard de la multiplication des fractions au sein des Etats se prévalant de cette qualité et dont l’expression semble de plus en plus fraudée à l’occasion des échéances électorales) qui peut également décider démocratiquement du maintien du gouvernement en place pour des raisons diverses, notamment de bonne gouvernance.
Bien que la position de l’UA soit claire en ce qui concerne la consécration du principe d’alternance comme étant cardinal à la mise en œuvre de la démocratie en Afrique, ledit principe semble avoir une portée beaucoup plus recommandative dans la mesure où elle s’oppose à l’alternance non démocratique
Ceci suggère de s’intéresser tant aux instruments juridiques élaborés pour encadrer le jeu politique, qu’aux mécanismes visant à s’assurer de l’intégrité du consentement du peuple à l’occasion des échéances électorales. A ce sujet l’UA observe attentivement cette situation. D’ailleurs, elle envoie régulièrement des émissaires au sein des Etats à l’occasion des échéances électorales pour s’assurer de leur bon déroulement.
En outre, l’Union dispose implicitement en vertu de l’article 23 (5) de la Charte d’un pouvoir d’appréciation et de contrôle des actes du pouvoir constituant dérivé, des autorités législatives et gouvernementales afin de s’assurer de leur conformité à la Constitution à défaut de quoi elle appliquerait les sanctions appropriées prévues par l’article 25 de la Charte. Il s’agit d’une véritable affirmation de la primauté de l’ordre juridique international sur les ordres juridiques des Etats parties, et la détermination de la validité des secondes par les premières.
Cependant, Peut-on raisonnablement parler de changement anticonstitutionnel dès lors que les procédés de révisions de la Constitution ont été respectés ? En d’autres termes, dès lors que la Constitution, en tant que norme fondamentale, prévoit elle-même ses propres mécanismes de révision et que le gouvernement s’en sert conformément aux dispositions qui s’y rapportent dans le cadre du jeu politique pour se maintenir au pouvoir, une intervention de l’Union africaine serait constitutive d’une violation de la légalité interne, notamment de la norme fondamentale.
Malgré cet état des choses, le Conseil de paix et de sécurité donne son avis chaque fois qu’il estime que la Constitution pourrait être violée à la suite d’une déclaration de candidature ou qu’une modification de la Constitution met à mal le jeu démocratique. Cependant, aucune sanction ne peut être prononcée dans la mesure où il n’y aurait au sens de l’article 23 (5) de la Charte une modification effective de la Constitution.
Dès lors que la Constitution, en tant que norme fondamentale, prévoit elle-même ses propres mécanismes de révision et que le gouvernement s’en sert conformément aux dispositions qui s’y rapportent dans le cadre du jeu politique pour se maintenir au pouvoir, une intervention de l’Union africaine serait constitutive d’une violation de la légalité interne, notamment de la norme fondamentale
Toutefois, si le peuple ne semble pas être d’accord, elle a la possibilité d’attribuer son suffrage à un autre candidat. C’est la raison pour laquelle l’article 23 (5) considère comme prises anticonstitutionnelles du pouvoir les réformes constitutionnelles, législatives et réglementaires qui auraient pour objectif de porter atteinte au principe d’alternance démocratique, consistant dans la rupture de l’égalité entre les candidats en favorisant un candidat au détriment des autres ou en faussant le jeu électoral pour exclure certains candidats.
Dans ces cas, l’Union par le biais du Conseil de paix et de sécurité, peut après échec des initiatives diplomatiques, appliquer les sanctions prévues à l’article 25 de la Charte, notamment la suspension des droits de participation de l’Etat partie concerné aux activités de l’Union en vertu des dispositions des articles 30 de l’Acte Constitutif et 7 (g) du Protocole à l’encontre de ce gouvernement.
Très souvent la prise de recul de l’Union africaine est mal interprétée par les populations au point que lorsque la justice privée est mise en œuvre soit par le biais d’une junte militaire qui prendrait le pouvoir par la force ou qu’un mouvement insurrectionnel parvient à renverser le pouvoir établi, les sanctions prononcées sont systématiquement rejetées par le peuple, ce qui pose la question de leur légitimité en raison de l’engouement populaire pour le nouveau gouvernement.
Contrairement aux coups d’État au Soudan ou au Mali et dernièrement en Guinée, l’Union africaine n’a pas souhaité sanctionner le Tchad, ni le suspendre de ses instances après la prise du pouvoir par des militaires suite au décès du Président Idriss Déby Itno. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a même approuvé la création d’un Conseil militaire de transition.
De ce fait, il y aurait visiblement une véritable crise de dialogue entre les organisations communautaires et régionales et le peuple qui, dans la manifestation de son droit de résistance à l’oppression, emploie des méthodes anticonstitutionnels pour favoriser l’alternance au pouvoir. On serait donc écartelé entre l’efficacité du gouvernement déchu, l’effectivité du gouvernement établi anticonstitutionnellement et l’impératif de légalité.
Contrairement aux coups d’État au Soudan ou au Mali et dernièrement en Guinée, l’Union africaine n’a pas souhaité sanctionner le Tchad, ni le suspendre de ses instances après la prise du pouvoir par des militaires suite au décès du Président Idriss Déby Itno. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a même approuvé la création d’un Conseil militaire de transition.
Quelle grille de lecture a pu fonder la position de l’UA sur la situation tchadienne, contraire à celle qu’elle a adoptée dans les cas du Soudan, du Mali et de la Guinée ? N’est-il pas question d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement au Tchad, sachant que la Constitution prévoyait des modalités claires de succession au pouvoir en cas de vacance du poste du Président de la République ?
Je ne pense pas qu’il y ait eu une exception tchadienne. La position du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a fortement été motivée par le contexte géopolitique et géostratégique de la sous-région.
Bien sûr qu’il s’agit d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement au Tchad. Car, conformément à l’article 76 de la Constitution Tchadienne c’est le Président de l’Assemblée nationale qui assure l’intérim en cas de vacance au poste et en cas d’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel saisi. C’est la raison pour laquelle la résolution qui intervient en mai 2021 viendra condamner les actes perpétrés par les militaires.
De même, le CPS n’a pas formellement approuvé le Conseil Militaire de Transition (CMT). Sa résolution qui intervient en Mai 2021, soit pratiquement un (01) mois après la prise militaire du pouvoir, commence par condamner cet acte, comme il est de la pratique constante de l’UA de condamner les prises anticonstitutionnelles du pouvoir.
Il exige d’ailleurs du Conseil des » mesures strictes » comme le retour rapide à un régime démocratique dans un délai non prorogeable de 18 mois, ainsi que la nomination d’autorités de transition ne pouvant par ailleurs pas se présenter aux élections démocratiques à organiser.
C’est pour moi une solution sage, car toute entreprise d’exclusion ou de sanction du Tchad aurait entraîné l’exacerbation des violences et une fragilisation de la sous-région de l’Afrique centrale dont l’Etat tchadien serait un peu la porte d’entrée, que maintenait fermée et solide Idriss Deby, tant pour les rebelles de Libye que pour les terroristes du Groupe Boko Haram.
Toute entreprise d’exclusion ou de sanction du Tchad aurait entraîné l’exacerbation des violences et une fragilisation de la sous-région de l’Afrique centrale dont l’Etat tchadien serait un peu la porte d’entrée, que maintenait fermée et solide Idriss Deby, tant pour les rebelles de Libye que pour les terroristes du Groupe Boko Haram
La reconnaissance par l’UA, à travers son CPS, du caractère anticonstitutionnel de la prise militaire du pouvoir au Tchad nous semble rationnelle pour marquer la constance de sa politique claire de condamnation des prises anticonstitutionnelles du pouvoir.
Quelle est la doctrine de l’UA sur l’idée de changement anticonstitutionnel de gouvernement ?
La doctrine de l’UA consiste dans l’affirmation de son opposition ferme aux changements anticonstitutionnels de gouvernement qui portent atteinte aux principes de l’organisation en matière d’Etat de droit, de démocratie et de droits de l’homme. Dans ce sens, l’organisation assure d’une part la protection des gouvernements démocratiquement élus et d’autre part la répression des changements anticonstitutionnels de gouvernement.
Relativement au premier point, un certain nombre d’instruments juridiques garantissent cette protection. Il s’agit notamment de l’article 14(2) et (3) de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007 qui prévoit à l’attention des États parties, de prendre les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour traduire en justice toute personne qui tente de renverser un gouvernement démocratiquement élu par des moyens anticonstitutionnels. D’ailleurs, le présent article les invite à coopérer entre eux pour traduire en justice toute personne qui tente de renverser un gouvernement démocratiquement élu par des moyens anticonstitutionnels.
Il convient cependant de faire remarquer un certain déclin au sujet du rétablissement du gouvernement démocratiquement élu comme cela avait été le cas en 1998 à l’issu du coup d’État perpétré en Sierra Leone contre le président démocratiquement élu Ahmad Tejan Kabbah. Car, dans la pratique contemporaine, malgré l’action du CPS, les gouvernements déchus par la force rentrent rarement au pouvoir même s’ils ont été démocratiquement élus. Cette situation constitue un recul et une véritable injustice car l’amorce d’une nouvelle légitimité constitutionnelle semble remettre en cause un certain nombre d’acquis démocratiques.
Pour ce qui est de la répression des changements anticonstitutionnels de gouvernement, l’Union a élaboré une liste non exhaustive des situations susceptibles de recevoir la qualification de changement anticonstitutionnel de gouvernement qui figure au sein de la Déclaration de Lomé de 2000, renforcé par la CADEG de 2007. Cette dernière reprend, dans son article 23, les hypothèses énumérées au sein de la déclaration en leur accordant d’ailleurs une valeur juridique contraignante et ajoute le cas de « [tout] amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui portent atteinte aux principes de l’alternance démocratique ».
Il convient cependant de faire remarquer un certain déclin au sujet du rétablissement du gouvernement démocratiquement élu comme cela avait été le cas en 1998 à l’issu du coup d’État perpétré en Sierra Leone contre le président démocratiquement élu Ahmad Tejan Kabbah. Car, dans la pratique contemporaine, malgré l’action du CPS, les gouvernements déchus par la force rentrent rarement au pouvoir même s’ils ont été démocratiquement élus
Ensuite, l’article 30 de l’Acte constitutif ne reconnait pas aux gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels un droit de participer aux activités de l’Union. Le Protocole sur les amendements à l’Acte constitutif de l’Union africaine consacre d’ailleurs l’intervention de celle-ci au sein des États membres en cas de « menace grave de l’ordre légitime » afin de restaurer la paix et la stabilité dans l’État membre de l’Union sur la recommandation du CPS.
Ainsi, le CPS est principalement responsable de s’assurer du maintien de l’ordre constitutionnel conformément aux dispositions pertinentes de son Protocole de création. La Conférence de l’Union ainsi que les Etats parties disposent d’une responsabilité subsidiaire.
En effet, outre ses activités de prévention structurelle qui consiste dans l’examen régulier des progrès accomplis dans les processus de démocratisation, le CPS dispose d’un pouvoir de sanction après avoir constaté qu’il y a eu changement anticonstitutionnel de gouvernement dans un Etat partie et que les initiatives diplomatiques se sont avérées infructueuses
Ces sanctions consistent notamment dans la :
- suspension des droits de participation de l’Etat partie concerné aux activités de l’Union en vertu des dispositions des articles 30 de l’Acte Constitutif et 7 (g) du Protocole ;
- proscription de la participation des auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ainsi que l’interdiction à occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat ;
- traduction desdits auteurs devant la juridiction compétente de l’Union.
S’agissant de la Conférence, elle impose des sanctions à l’encontre de tout Etat partie qui fomente ou soutient un changement anticonstitutionnel de gouvernement dans un autre Etat, et ce, en vertu des dispositions de l’article 23 de l’Acte constitutif. Elle peut en outre décider d’appliquer d’autres formes de sanctions à l’encontre des auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement, y compris des sanctions économiques.
Enfin, les Etats parties ne doivent ni accueillir ni accorder l’asile aux auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement. Ils peuvent d’ailleurs juger les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ou prennent les mesures qui s’imposent en vue de leur extradition effective. Sur ce point, ils sont encouragés à signer des accords bilatéraux ou d’adopter des instruments juridiques sur l’extradition et l’entraide judiciaire.
Quel serait l’apport d’une Cour pénale régionale africaine face aux crises internes, sachant que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples peine à assurer l’autorité de ses décisions à l’égard des États ?
L’idée d’une chambre africaine extraordinaire créée en 2013 par un accord entre l’UA et le Sénégal pour juger des crimes commis au Tchad entre 1982 et 1990 peut être vue comme la prise de conscience par les dirigeants africains de la nécessité de se doter d’entités juridictionnelles qui soient extérieures à l’État. Cela est d’autant plus nécessaire puisque l’actuelle Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples n’est pas compétente pour ces chefs d’inculpation.
Cependant, la future Cour africaine de justice et des droits de l’Homme aura compétence dans ce sens, si le Protocole de Malabo de 2018 entre en vigueur. Cette future Cour africaine aura une section pénale et cela pourrait avoir un double avantage. Le premier étant l’autonomisation juridictionnelle du continent en réponse au scepticisme quant à la crédibilité de la Cour pénale internationale.
Cette Cour régionale aurait donc plus de légitimité. Deuxièmement, elle contribuerait avec des moyens juridiques et matériels adéquats à une réduction de la criminalité et à l’effectivité de l’État de droit, dans un continent marqué par des conflits armés les plus désastreux de la planète, des instabilités politiques et constitutionnelles conséquentes et des violations répétées des droits humains.
Il faut pour cela une volonté politique suffisante qui doit se traduire par la capacitation suffisante de ladite Cour pour lui permettre d’accomplir son mandat, ainsi que les moyens financiers nécessaires à son fonctionnement. À défaut, ce sera comme il est le cas de certaines institutions de l’UA, une organisation de plus sans efficacité. Les conflits de leadership, frontaliers, géopolitiques, géostratégiques et le poids du néocolonialisme persistant seraient les principaux obstacles à juguler. Le problème des institutions en Afrique n’étant pas tant celui de leur existence que celui de leur habilitation.
Cette future Cour africaine aura une section pénale et cela pourrait avoir un double avantage. Le premier étant l’autonomisation juridictionnelle du continent en réponse au scepticisme quant à la crédibilité de la Cour pénale internationale. Cette Cour régionale aurait donc plus de légitimité. Deuxièmement, elle contribuerait avec des moyens juridiques et matériels adéquats à une réduction de la criminalité et à l’effectivité de l’État de droit, dans un continent marqué par des conflits armés les plus désastreux de la planète, des instabilités politiques et constitutionnelles conséquentes et des violations répétées des droits humains
Une Cour pénale régionale ou une section pénale dans la future Cour africaine de justice et des droits de l’Homme pourrait contribuer efficacement à la réduction des crises internes en Afrique. Car au-delà de sa fonction répressive, elle contribuera significativement à décourager la commission des crimes de masse au sein des Etats parties. La conviction est d’autant plus forte que les juridictions nationales dont l’autonomie est contestée et influencée peinent à se démarquer.
La mise en place d’une Cour pénale régionale africaine nécessite tout aussi une forte volonté politique, car à chaque fois qu’on évoque des initiatives supranationales il y a toujours la souveraineté des Etats avec laquelle il faut comploter
Il faut pour cela bien ajuster les mécanismes juridiques de collaboration entre cette Cour et les juridictions internes qui, sous peine de fracture, doivent travailler en étroite collaboration. Il faut surtout penser à des mécanismes nouveaux, compte tenu des limites des mécanismes existant dont le principe de subsidiarité. Aussi, à la lumière de l’actualité internationale, le critère de la proximité des organisations confère une certaine légitimité contrairement aux institutions mondiales à qui la critique est faite d’agir de manière sélective.
La mise en place d’une Cour pénale régionale africaine nécessite tout aussi une forte volonté politique, car à chaque fois qu’on évoque des initiatives supranationales il y a toujours la souveraineté des Etats avec laquelle il faut comploter. Il faut donc faire évoluer l’intégration tout au moins juridictionnelle qui ne peut se départir de l’intégration politique. Une telle Cour, si elle est à l’image de la Cour pénale internationale, pourrait être amenée à juger des leaders politiques des Etats, qui sont pourtant sensé lui donner un mandat fort. La réticence est en cela une évidence.
À votre avis et en guise de plaidoyer à l’endroit des dirigeants africains, quelles sont les réformes à mener pour doter l’UA de pouvoirs lui permettant d’accomplir au mieux ses missions ?
D’ores et déjà, l’UA est en plein processus de réforme qui a débuté depuis 2017, tant au niveau institutionnel et structurel, que financier. Mais au-delà des réformes, il est impératif de voir plus d’effectivité des règles juridiques et des institutions existantes. Il faut pour cela, une réelle volonté d’intégration des dirigeants ; « affectio integrationis » qui permettra d’actionner tous les leviers dont la sempiternelle problématique du financement. Seule une prise de conscience progressive et un sursaut panafricaniste permettront d’y parvenir.
Il faut par la suite une volonté politique suffisante pour défaire les querelles de leadership, différences sociologiques et les conflits qui perdurent et fragilisent le processus d’intégration.
Le cadre juridique de l’UA est expressif de cette incertitude et réticence à l’intégration effective qui implique la limitation de la souveraineté des Etats à laquelle, si durement acquise, les Etats africains tiennent fortement. Pris dans l’étau du multilatéralisme, on ne sait pas très bien si l’on est dans un processus de coopération ou d’intégration. L’émancipation des communautés économiques régionales traduit d’ailleurs cette préférence pour le cadres régionaux qui même considérés peine en effectivité, à l’exception de la CEDEAO qui semble se démarquer. Il faut redéfinir le cadre juridique et institutionnel de l’UA pour établir la compétence suprême de l’échelon continental et réaliser une intégration effective. C’est d’ailleurs un grand chantier en cours.
Le cadre juridique de l’UA est expressif de cette incertitude et réticence à l’intégration effective qui implique la limitation de la souveraineté des Etats à laquelle, si durement acquise, les Etats africains tiennent fortement. Pris dans l’étau du multilatéralisme, on ne sait pas très bien si l’on est dans un processus de coopération ou d’intégration
Tous les secteurs sont concernés et même prioritaires car comme un engrenage, ils s’entraînent et ne peuvent que difficilement être séparés. Il faut commencer par le domaine juridique qui est le fondement de toute action ; l’Acte constitutif en premier, en tant que le texte fondamental. Il faut qu’il exprime une idée claire d’intégration au-delà de la controverse entre le Groupe de Casablanca et celui de Monrovia ayant présidé à sa rédaction.
On pourra, par la suite, bien définir les rôles et compétences des institutions de l’Union, encadrer dans le sens de l’autonomisation, le maintien de la paix et la sécurité internationales, le marché intérieur, la monnaie unique, la justice pour la garantie de l’État de droit, etc. Pour susciter l’engouement et l’adhésion à sa démarche, l’Union africaine ne doit pas être déconnectée de ses citoyens ; elle doit miser sur les jeunes et les femmes, la société civile et les ONG de promotion et de protection des droits humains. C’est ainsi qu’elle pourra sensibiliser à une véritable culture de la Démocratie et des droits humains en Afrique et cultiver un véritable vouloir vivre en commun, un vouloir vivre ensemble et unir les Africains autour des objectifs de l’Agenda 2063 pour en faire la locomotive du développement et de la prospérité du Continent.
Il faut redéfinir le cadre juridique et institutionnel de l’UA pour établir la compétence suprême de l’échelon continental et réaliser une intégration effective
Il faut faire obstacle aux problèmes de corruption de malversation et rendre compte. Il faut aussi oser bloquer les ingérences extérieures, dire non au néocolonialisme, répartir les richesses du continent équitablement et s’unir autour des idées d’union et d’intégration face aux nouveaux groupements régionaux et face aux nouvelles donnes géopolitiques et stratégiques du 21ème siècle.
Pour susciter l’engouement et l’adhésion à sa démarche, l’Union africaine ne doit pas être déconnectée de ses citoyens ; elle doit miser sur les jeunes et les femmes, la société civile et les ONG de promotion et de protection des droits humains. C’est ainsi qu’elle pourra sensibiliser à une véritable culture de la Démocratie et des droits humains en Afrique et cultiver un véritable vouloir vivre en commun, un vouloir vivre ensemble
Mais la volonté politique réelle et audacieuse est la clé de voûte de toute réforme efficace. Le reste ira de soi et aisément.
PS : Cet entretien avec la Professeure Hajer Gueldich s’est tenu à l’occasion de la table ronde virtuelle organisée par WATHI en partenariat avec la Fondation Konrad Adeneaur le 19 novembre 2021, sur le sujet « Les récentes crises constitutionnelles en Afrique : l’Union africaine et la CEDEAO impuissantes ? ».
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