Auteur : Fédération Internationale pour les Droits Humains
Type de publication : Note d’orientation
Date de publication : Mai 2020
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La pandémie du COVID-19 et ses réponses ont déjà eu de graves conséquences humaines, économiques et sociales dans le monde entier, testant et remettant en cause la gouvernance des États, et notamment en la tenue d’élections. Cette situation peut constituer un risque pour la démocratie et les droits et libertés fondamentaux en Afrique subsaharienne, où doivent se tenir plusieurs élections nationales cette année et au début de l’année prochaine, dans plusieurs pays.
La FIDH donne un aperçu des risques que la pandémie pose en matière de démocratie et de droits humains – que les élections soient reportées ou maintenues – et rappelle l’importance d’avoir des élections crédibles, libres, transparentes, pacifiques et sûres.
- La pandémie du covid-19, un défi supplémentaire pour des élections démocratiques ?
Le COVID-19 s’est répandu dans la plupart des pays dans le monde. Sur le continent africain, 53 pays avaient rapporté des cas confirmés d’infection au virus à la date de publication de cette note . La majorité des États africains ont adopté des mesures pour lutter contre la propagation du virus, certains déclarant l’État d’urgence .
La plupart de ces mesures ont un impact sur la jouissance des droits humains, notamment sur le droit de voter, ainsi que sur l’organisation d’élections crédibles et en temps voulu. Des élections nationales, notamment présidentielles et législatives, sont prévues pour la seconde partie de l’année 2020 et la première partie de 2021 dans plusieurs pays africains. Elles pourraient être remises en cause par l’évolution du contexte du fait du COVID-19 .
Avec la menace omniprésente de la pandémie du COVID-19, les États sont désormais obligés d’évaluer s’ils sont en mesure d’organiser des élections crédibles, composante essentielle de la gouvernance démocratique, mais aussi de la paix, de la sécurité et du développement
En temps normal, les élections représentent une composante essentielle de la société et un test pour la démocratie, avec des investissements importants en matière de temps, de budget et de force de travail. Les électeurs, les candidats, les observateurs et les agents électoraux sont tous engagés dans le processus électoral, souvent dans un contexte très lourd. Dans bien des cas, les périodes électorales sont marquées par des violations des droits humains, qui sapent la tenue d’élections crédibles et apaisées.
La pandémie du COVID-19 représente un défi supplémentaire pour les processus électoraux en Afrique. Des inquiétudes se font sentir dans certains pays quant à la tenue d’élections libres, équitables et transparentes, alors qu’il faut dans le même temps garantir la sûreté des citoyens. Avec la menace omniprésente de la pandémie du COVID-19, les États sont désormais obligés d’évaluer s’ils sont en mesure d’organiser des élections crédibles, composante essentielle de la gouvernance démocratique, mais aussi de la paix, de la sécurité et du développement.
- Qu’est-ce que le droit international prévoit pour les élections ?
Des élections crédibles sont caractérisées par l’équité, la transparence et la liberté. La tenue d’élections apaisées est une composante essentielle d’élections démocratiques. La crise du COVID-19 a apporté une composante supplémentaire à la tenue d’élections démocratiques : le caractère sûr des élections au regard de la santé des participants. Les principes d’élections équitables, transparentes, libres, apaisées et sûres sont consacrés dans plusieurs textes internationaux et régionaux.
La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) (2007) reconnaît l’importance de consolider une culture de changement politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et équitables organisées par des organes électoraux nationaux indépendants, compétents et impartiaux (art.3 et 17).
De véritables élections démocratiques nécessitent un environnement propice au respect des droits humains et des libertés fondamentales, notamment la liberté de réunion pacifique et d’association, la liberté d’opinion et d’expression, et le droit à la sécurité et sûreté de la personne, qui sont tous des conditions essentielles à l’exercice effectif du droit de vote.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) renvoie au droit de tous les citoyens de prendre part à la conduite des affaires publiques et au droit de voter à des élections « assurant l’expression libre de la volonté des électeurs » (art.25).
En outre, la CADEG énonce que « les États partis créent un environnement propice à la mise en place des mécanismes nationaux indépendants et impartiaux de contrôle ou d’observation des élections (art.22). Cependant, en période d’urgence publique, des dérogations et limitations à certains droits et obligations électorales, y compris le processus de vote, peuvent être permises, sur la base de la nature exceptionnelle du contexte et suivant des conditions strictes.
A cet égard, selon les Nations unies (Centre pour les droits humains), « Le report d’élections prévues, rendu nécessaire par l’urgence publique, peut être autorisé dans certaines circonstances limitées, mais seulement si et dans la mesure strictement requise par les exigences de la situation. Ces exigences doivent être conformes à toutes les normes strictes internationales régissant ces dérogations et ne doivent pas menacer la démocratie elle-même » .
- Une diversité de contextes et de risques pour des élections démocratiques
En Afrique subsaharienne, où des élections sont prévues dans plusieurs pays, différentes approches ont été apportées dans la gestion de la crise du COVID-19 et la tenue d’élections, ainsi que sur les défis et risques pour la tenue d’élections crédibles, apaisées et sûres, dont certains sont détaillés ici.
Dans certains pays, des décisions ont déjà été prises pour maintenir ou reporter les élections, alors que dans d’autres, elles se font encore attendre. Dans tous les cas, cependant, il y a un risque réel que la pandémie du COVID-19 soit utilisée à des fins politiques, notamment dans les régimes autoritaires, où maintenir ou reporter les élections pourrait servir des intérêts politiques personnels, au mépris des considérations de sécurité et de sûreté de la population.
Les décisions prises en temps de crise peuvent ainsi poser un dilemme entre les responsabilités civiques et la protection de la santé, lorsque les gens veulent ou sont encouragés à voter mais sont aussi inquiets pour leur santé, et quand des mesures appropriées ne sont pas mises en place dans les délais. Ainsi, il y a un risque que, dans certains pays, la propagation de la pandémie soit favorisée ou accrue par la tenue d’élections et que la vie et la santé de la population soient en jeu, notamment là où les services de santé sont très faibles et donc, mal équipés face à la crise.
En outre, maintenir les élections en temps de COVID-19 sans mesures de protection suffisantes peut rendre le vote plus difficile, dans la mesure où l’électorat, y compris la diaspora, peut être réduit dans ses mouvements. Si elle s’avère en outre réticente à voter par peur du virus, cela conduira à un faible taux de participation, pouvant remettre en cause le caractère crédible des élections.
Il y a un risque réel que la pandémie du COVID-19 soit utilisée à des fins politiques, notamment dans les régimes autoritaires, où maintenir ou reporter les élections pourrait servir des intérêts politiques personnels, au mépris des considérations de sécurité et de sûreté de la population
Des décisions prises sur les élections pourraient entraîner un mécontentement populaire et des troubles dans les pays où la confiance dans l’État est déjà faible, dans la mesure où la plupart des gens veulent voter, mais pas à n’importe quel prix. Plus encore, ce mécontentement et ces troubles pourraient entraîner une réponse violente des autorités. Ceci est particulièrement vrai pour les régimes autoritaires, où les mesures restrictives déjà mises en place pour lutter contre la propagation du virus ont causé des violations graves des droits humains, notamment par l’utilisation abusive de la force.
En Afrique de l’ouest par exemple, des élections parlementaires et un référendum constitutionnel largement critiqués ont été organisés en mars 2020 en Guinée . Le changement constitutionnel introduit par le référendum est considéré comme un moyen pour le Président de solliciter des mandats présidentiels supplémentaires, alors qu’il avait déjà effectué deux mandats, limite légale constitutionnelle. Le référendum a été organisé dans un contexte général de troubles et de méfiance à l’égard du gouvernement. Les partis d’opposition ont boycotté le vote et les observateurs indépendants étaient absents.
Les décisions sur les élections qui découlent du contexte de la pandémie pourraient poser un risque supplémentaire pour la protection des civils et la stabilisation d’un pays et d’une région, là où un conflit armé est en cours. Par ailleurs, les décisions prises sur les élections, puis les élections organisées dans ce contexte, pourraient attirer très peu d’attention aux niveaux national, régional et international, puisque le virus est devenu une préoccupation majeure dominant la couverture médiatique. Les mesures adoptées pour lutter contre le virus peuvent rendre l’observation électorale plus difficile, voire impossible, dans les cas où les frontières sont fermées et les pays verrouillés, mais aussi quand une période de quarantaine est imposée à l’entrée du territoire.
En Afrique de l’ouest par exemple, des élections parlementaires et un référendum constitutionnel largement critiqués ont été organisés en mars 2020 en Guinée . Le changement constitutionnel introduit par le référendum est considéré comme un moyen pour le Président de solliciter des mandats présidentiels supplémentaires, alors qu’il avait déjà effectué deux mandats, limite légale constitutionnelle
Pour Drissa Traoré, Secrétaire-général de la FIDH et membre du Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) en Côte d’Ivoire : « La communauté internationale et régionale doit rester mobilisée sur la question des élections en Afrique, même en cette période où sévit la pandémie du COVID-19 ».
La FIDH demande :
- Aux États avec des échéances électorales :
De veiller à l’établissement d’un environnement propice à des élections crédibles, apaisées, et sûres, notamment durant la pandémie de COVID-19, en :
- Mettant fin aux violations des droits humains, notamment à l’encontre des représentants des organisations de la société civile ;
- S’assurant que les mesures limitant les droits et libertés individuels dans le cadre de circonstances exceptionnelles, respectent certaines conditions, telles que la nécessité, la proportionnalité, la limitation dans le temps et la non-discrimination ;
- Veillant à la protection de la santé de tous les participants aux élections, en prenant des mesures adéquates avant, pendant et après les élections ;
- S’abstenant de prendre des décisions politiques opportunes, mais plutôt des décisions légales sur le processus électoral ;
- Adoptant une approche inclusive et consultative aux élections, en incluant au maximum la société civile dans tout processus décisionnel relatif aux élections ;
- Fournissant de l’information et en communiquant sur les décisions relatives aux élections, à travers les médias et la société civile.
- A la communauté internationale, notamment l’Union africaine, les Nations unies, et l’Union européenne, de :
- Rester en alerte sur la situation électorale et les décisions prises dans le contexte du COVID-19, et de surveiller attentivement les situations à risque ;
- Appeler les États à respecter leurs obligations nationales, régionales et internationales en matière de droits humains et de processus électoral ;
- Condamner publiquement les États si des violations des droits humains sont commises avant, pendant et après les élections, et les appeler à lutter contre l’impunité de ces cas ;
- Appliquer les principes de l’Acte constitutif de l’Union africaine relatif aux changements de gouvernement non constitutionnels, ainsi que ceux consacrés dans la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, en imposant des sanctions adéquates (notamment la suspension de l’adhésion) aux États qui entreprendraient des élections non crédibles ;
- Appeler la Cour pénale internationale à s’exprimer publiquement pour souligner que les crimes qui seraient commis dans un contexte électoral dans certaines situations déjà examinées par la Cour, pourraient relever de sa compétence et que leurs auteurs devraient être tenus pour responsables.
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