Auteur : Joseph Siegle et Daniel Eizenga
Organisation affiliée : Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique
Type de publication : Article
Date de publication : Septembre 2021
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Reconnaitre le coup d’État en Guinée ne ferait qu’encourager de futures interventions des militaires. Mais rendre son fauteuil à Alpha Condé ne rétablirait pas la démocratie. Plusieurs voies sont néanmoins ouvertes pour restituer l’ordre constitutionnel.
Jusqu’à présent, la condamnation de ce coup a été universelle. De plus la CEDEAO et l’Union africaine ont suspendu la Guinée et imposé des sanctions sur la junte. C’est une bonne première étape. Mais elle doit être suivie par d’autres actions concrètes qui refuseront toute reconnaissance à la junte. La délégation envoyée par la CEDEAO à Conakry doit demander un retour rapide à l’ordre constitutionnel et à une transition politique civile qui restaurera la gouvernance démocratique.
Néanmoins, rendre son fauteuil au Président Alpha Condé n’atteindrait non seulement pas cet objectif, il balayerait aussi sous le tapis la manière douteuse dont il était resté au pouvoir.
1. Le glissement autoritaire de Condé
La présidence d’Alpha Condé s’est distinguée pour ses dérives autoritaires, notamment l’arrestation de dirigeants de l’opposition, les enfreintes à la liberté de la presse, l’interdiction des manifestations et la mise au pas du système judiciaire et de la Commission électorale. Mais sa manœuvre la plus controversée a été son tripotage constitutionnel qui lui a permis de briguer un troisième mandat. En effet, la constitution de 2010 avait formellement interdit au président d’en servir plus de deux.
La CEDEAO, l’Union africaine et la communauté internationale n’ont prononcé que de rares critiques et se sont contentés de rappeler la nécessité de respecter la nouvelle constitution de 2020
La campagne pour la présidentielle de 2020 s’est caractérisée par les stratégies autoritaires habituelles: la violence envers l’opposition et l’empêchement de leurs meetings de campagne, et la suppression des médias. Les résultats officiels ont donné à Condé la majorité même dans les régions normalement acquises à l’opposition et lui ont décerné 59 % du vote.
Ces résultats ont déclenché des manifestations, des arrestations, une répression de l’opposition qui a causé la mort de plus de 20 personnes. L’opposition a déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle, qui contrôlée par des fidèles au président, a évidemment validé les résultats officiels. Ces violations flagrantes au processus électoral ont entrainé certains critiques à le qualifier de « coup rampant ». Mais la CEDEAO, l’Union africaine et la communauté internationale n’ont prononcé que de rares critiques et se sont contentés de rappeler la nécessité de respecter la nouvelle constitution de 2020.
2. Des voies au retour de la démocratie
La Guinée pourrait emprunter plusieurs chemins pour revenir à la règle constitutionnelle. Ces options vont au-delà de considérer la déchéance de Condé comme un fait accompli et augmenteraient la gouvernance légitime et démocratique, tout en appelant à la tenue de nouvelles élections.
La première option verrait Condé retrouver son siège, avec comme condition que les Nations unies organisent de nouvelles élections dans les six mois. Cette approche verrait la junte se désister, tout en reconnaissant la nature contestée du mandat présidentiel de Condé. Cette option fait usage de l’exemple offert par les évènements récents au Malawi et au Kenya où les cours ont invalidé les résultats d’élections frauduleuses et ordonné la tenue d’un nouveau scrutin présidentiel. Étant donné la politisation des cours aujourd’hui suspendues en Guinée, une telle décision devrait peut-être émaner de la Cour de justice de la CEDEAO qui ferait usage du décompte parallèle des voix de l’opposition comme justification.
La première option verrait Condé retrouver son siège, avec comme condition que les Nations unies organisent de nouvelles élections dans les six mois. Cette approche verrait la junte se désister, tout en reconnaissant la nature contestée du mandat présidentiel de Condé
Une deuxième possibilité verrait la CEDEAO invalider le référendum constitutionnel de 2020 de la Guinée. Cette option annulerait la base sur laquelle Condé a brigué un troisième mandate et s’alignerait avec les engagements du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Le président du Nigeria Muhammadu Buhari a fortement soutenu les provisions de l’article 45 du protocole qui déterminerait cette option.
Une troisième option verrait son fauteuil rendu à Condé, qui, au service de la paix et de la stabilité, démissionnerait, lui permettant de sauver la face et de restaurer la constitution. En échange de sa libération, il serait aussi protégé de futures poursuites judiciaires. Selon l’article 55 de la constitution de 2020, le président de l’Assemblée nationale s’en trouverait doté de l’autorité exécutive et organiserait de nouvelles élections dans les 90 jours.
3. L’ordre constitutionnel en priorité
L’échec de la CEDEAO et de la communauté internationale à soutenir les processus démocratiques quand Condé briguait un troisième mandat sont la cause de la situation malencontreuse dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays. Cela veut dire, ironiquement, que la CEDEAO est dans la position difficile de devoir négocier avec une junte pour remettre la Guinée sur la voie de la démocratie.
Agir pour prévenir les prises de pouvoir anticonstitutionnelles de toutes formes, que ce soit les coups d’État militaires ou les coups d’État rampants, doit être une priorité pour la CEDEAO
La CEDEAO devrait se souvenir de cette leçon quand de futurs présidents sortants tentent de contourner les limitations de mandats et d’organiser des élections frauduleuses. Agir pour prévenir les prises de pouvoir anticonstitutionnelles de toutes formes, que ce soit les coups d’État militaires ou les coups d’État rampants, doit être une priorité pour la CEDEAO. Laisser ces manigances se produire, aussi justifiées soient-elles dans l’intérêt immédiat de la stabilité, ne fait que semer les graines de l’instabilité future.
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