« Avec le développement des nouvelles technologies, les États déjà puissants ont découvert de nouveaux moyens plus sophistiqués pour surveiller leurs populations notamment celles et ceux qui expriment des opinions dissidentes », entretien avec Glory Cyriaque Hossou, juriste et consultant en médias et droits humains (première partie)

WATHI est allé à la rencontre de Glory Cyriaque Hossou, juriste et consultant en médias et droits humains. Dans cette première partie de l’entretien, il évoque le niveau de réalisation des droits humains au Bénin, notamment les avancées et les retards en la matière.

 

Biographie :

Glory Cyriaque Hossou est juriste béninois consultant en médias et droits humains. Il est titulaire d’un Master recherche de la Chaire de l’UNESCO des droits de la personne humaine et de la démocratie de l’Université d’Abomey-Calavi. Ancien Secrétaire général de l’Association des blogueurs du Bénin, il est actuellement le Coordonnateur du pôle médias et surveillance des droits humains de la section béninoise d’Amnesty International.

 

Entretien :

 

Quelles sont les violations des droits humains les plus récurrentes que votre organisation a pu relever au Bénin ?

La situation des droits humains au Bénin, ces dernières années, n’est pas des plus reluisantes même si quelques avancées sont à noter. Le climat s’est détérioré au fil des ans en raison de l’édiction de cadre législatif quelque peu restrictif en matière des droits humains. La liberté d’expression et le droit des médias ont été sérieusement éprouvés en témoigne les décisions de suspension ou fermeture entre 2016 et 2019 de plusieurs organes de presse (Sikka TV, La Béninoise TV, La Chrétienne TV, UNAFRICA TV, EDEN TV, Soleil FM, E-TELE, La Nouvelle Tribune) par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et la poursuite pénale engagée contre des journalistes.

Le journaliste Casimir Kpedjo de « Nouvelle Économie » est toujours poursuivi devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme depuis avril 2019 pour entre autres « diffusion de fausses informations ».

Amnesty International a pu documenter en 2020 la situation d’au moins 17 personnes poursuivies pénalement en moins de deux ans pour violation du code du numérique. Parmi ces personnes figuraient des journalistes, des blogueurs, des activistes et des opposants politiques. Cette situation s’est malheureusement poursuivie en 2021 et se poursuivra tant que le cadre législatif rendant possible ces poursuites ne sera pas révisé

Le cas le plus emblématique est celui du journaliste Ignace Sossou condamné à 18 mois d’emprisonnement ferme le 24 décembre 2019 par le Tribunal de première instance de première classe de Cotonou pour harcèlement par le biais d’une communication électronique. Sa condamnation a été réduite plus tard à six mois d’emprisonnement ferme par la Cour d’appel de Cotonou. Le groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire a notamment qualifié la détention du journaliste de « détention arbitraire » et appelé les autorités béninoises à réparer l’injustice et à rendre conforme la législation béninoise sur le numérique  avec le droit international des droits humains.

Amnesty International a pu documenter en 2020 la situation d’au moins 17 personnes poursuivies pénalement en moins de deux ans pour violation du code du numérique. Parmi ces personnes figuraient des journalistes, des blogueurs, des activistes et des opposants politiques. Cette situation s’est malheureusement poursuivie en 2021 et se poursuivra tant que le cadre législatif rendant possible ces poursuites ne sera pas révisé.

Dans la même logique, il faudra rappeler également le droit à la vie, la liberté de manifestation et l’accès à la justice qui ont aussi connu un recul ces dernières années au Bénin. Lors des dernières élections législatives controversées, Amnesty International a pu documenter la situation d’au moins quatre personnes tuées lors des manifestations dont une mère de sept enfants et un jeune de 19 ans. Ces personnes attendent toujours justice, mais auront du mal à l’obtenir au niveau national en raison du vote d’une loi d’amnistie en octobre 2019.

S’agissant du droit de manifester, des  interdictions systématiques dans plusieurs régions du pays ont été notées, empêchant ainsi les populations de s’organiser et de revendiquer leurs libertés. Pour les cas particuliers des communes de Parakou et de Cotonou situées au nord et au sud du Bénin, la Cour constitutionnelle du Bénin a pu déclarer en 2020 et 2021 contraires à la constitution les décisions des autorités municipales de ces deux communes consistant à interdire les manifestations à caractère revendicatif dans la ville de Parakou jusqu’à nouvel ordre et interdiction provisoire de tout rassemblement et de toutes manifestations festives, revendicatives et politiques dans la ville de Cotonou.

Parlant du droit d’accès à la justice, le Bénin a procédé en 2020 au retrait de sa déclaration facultative d’acceptation de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples à recevoir directement des plaintes des individus et des ONG contre lui. Il s’agit sans nul doute d’un recul considérable en matière de promotion mais aussi de protection des droits fondamentaux des populations par l’Etat.

Les mécanismes de protection des droits humains au niveau régional et international constituent la plupart du temps le dernier rempart face à l’arbitraire au sein des États. Il faudra donc veiller, insister et plaider auprès des autorités afin que le Bénin reconsidère le plus rapidement possible sa position sur l’accès direct des citoyens et des ONG au prétoire de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

Certains peuvent estimer à tort ou à raison que ces reculs ne concernent que les droits civils et politiques. Mais en matière des droits humains, il n’y a pas de distinction à établir en raison de l’interdépendance des différents droits et libertés. A cet effet, tous les droits fondamentaux sont importants et doivent être promus et protégés. Ils sont interdépendants et restent donc intimement liés.

Lors des dernières élections législatives controversées, Amnesty International a pu documenter la situation d’au moins quatre personnes tuées lors des manifestations dont une mère de sept enfants et un jeune de 19 ans. Ces personnes attendent toujours justice, mais auront du mal à l’obtenir au niveau national en raison du vote d’une loi d’amnistie en octobre 2019

La jouissance d’un droit peut dépendre de la garantie d’un autre droit. Qu’à cela ne tienne, lors de son dernier discours sur l’état de la Nation, le Chef de l’État, Patrice Talon, est revenu sur les efforts qu’il reste à faire pour assurer une couverture du territoire en eau potable et électricité, pour améliorer la qualité de l’éducation et des soins de santé. L’année 2023 sera d’ailleurs l’année où, selon le chef de l’État, la réalisation de la plupart de ces droits sera possible.

 

Quelles sont les avancées constatées dans le domaine des droits humains au Bénin ?

Quelques avancées en matière des droits humains au Bénin peuvent tout de même être notées quand on fait une analyse objective de la situation ces dernières années. Si l’on peut dire que ces avancées n’égalent pas les reculs, il est tout de même important de les souligner.

Premièrement la commutation des peines des anciens condamnés à mort en février 2018 après des années de plaidoyer pour l’abolition formelle et complète de la peine de mort au Bénin est une avancée majeure. A la suite de cette décision, les prisonniers anciennement condamnés à mort ont pu quitter le couloir de la mort pour rejoindre le grand groupe des détenus de la prison civile de Missérété. La plupart de ces personnes ont été condamnées en 1998 soit depuis 23 ans. Aujourd’hui le plaidoyer porte sur la libération conditionnelle de celles et ceux qui y sont éligibles dans le lot et ce, conformément au code pénal béninois.

Ensuite, on peut retenir l’installation de la Commission béninoise des droits de l’homme après plusieurs années de plaidoyer aussi et ce, conformément aux principes de Paris. La Commission a pu commencer son travail et a même déjà sorti des rapports sur la situation des droits humains au Bénin. Même s’il existe à l’heure actuelle des choses qu’on peut améliorer dans la loi qui créée cette institution, il n’en demeure pas moins que certaines dispositions de sa version actuelle donnent du pouvoir à l’institution de faire un travail sérieux et de qualité sur les droits humains au Bénin.

Il faudra travailler à donner les moyens et à rendre véritablement indépendante cette institution et celles et ceux qui l’animent dans leur office. Pour être utile, la Commission devra également se rapprocher des populations sur le terrain et être un soutien pour les victimes de diverses atteintes et violations des droits humains. Il faudra enfin veiller à ne pas tomber dans le piège de l’instrumentalisation de la cause des droits humains pour faire carrière mais à se mettre véritablement à son service pour répondre aux défis qui sont importants et cruciaux.

la commutation des peines des anciens condamnés à mort en février 2018 après des années de plaidoyer pour l’abolition formelle et complète de la peine de mort au Bénin est une avancée majeure. A la suite de cette décision, les prisonniers anciennement condamnés à mort ont pu quitter le couloir de la mort pour rejoindre le grand groupe des détenus de la prison civile de Missérété

Il faudra, avant de mettre un point d’orgue sur les récentes lois sur la promotion et la protection de la femme (encadrement de l’avortement, modification du Code de la famille, infractions à raison du sexe), aborder les efforts en matière d’accès aux soins de santé et le programme ARCH qui est très ambitieux et dont la mise en œuvre sera scrutée de près afin qu’il soit accessible à toutes les populations et pour qu’aucun patient ne soit plus empêché de rentrer chez lui pour défaut de paiement des frais médicaux.

La construction des routes et infrastructures de développement et le réaménagement du cadre de vie peuvent être considérés comme des avancées. Mais il est important que le développement tant voulu et souhaité par les pouvoirs publics soit inclusif et accompagné de respect et de protections des droits fondamentaux.

Au demeurant, le dernier trimestre de 2021 peut être considéré au Bénin comme le « trimestre pour la protection de la femme ». Trois différents textes ont été adoptés et certains furent amendés dans le but de renforcer la protection de la femme. Il s’agit entre autres des lois sur la santé sexuelle et la reproduction, les personnes et la famille et la répression des infractions à raison du sexe.

A tout ceci il faudra ajouter la mise sur pied de l’Institut national pour la protection de la femme (INPF) doté de compétences assez élargies. Si la pertinence de ces lois n’est plus à démontrer, il aurait été utile et pertinent de consulter et de recueillir en amont les avis d’une plus large partie des organisations de la société civiles actives dans le domaine des droits humains. Cette consultation aurait pu permettre d’obtenir des contributions objectives visant à améliorer la qualité des documents tant dans la forme que dans le fond.

Le dernier point est relatif à l’élection de l’Etat du Bénin au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies. Cette élection, nous l’espérons, pourra amener les gouvernants à replacer le respect des droits humains au cœur du pouvoir d’État, au cœur de la gouvernance. La communauté de principes et des valeurs à laquelle nous appartenons comporte des exigences qu’il faut respecter. Notre vœu est que le Bénin en soit à la hauteur.

 

Quelle appréciation faites-vous de la surveillance de masse opérée par certains États sur leurs populations par l’interception des correspondances électroniques, des écoutes téléphoniques ou en invoquant les nécessités de régulation des plateformes numériques et des réseaux sociaux ?

Avec le développement des nouvelles technologies, les États déjà puissants, ont découvert de nouveaux moyens plus sophistiqués pour surveiller leurs populations notamment celles et ceux qui expriment des opinions dissidentes, les acteurs de la société civile, les blogueurs ou les opposants politiques. Des lois sont votées pour rendre légale la surveillance et l’intrusion dans la vie privée de ces personnes.

Parfois ces lois sont rédigées en des termes vagues avec des « mots valises », difficiles à cerner et capables de conduire à des situations arbitraires et à des violations graves des droits humains. Au nom de la sécurité nationale, du secret d’État ou de la lutte contre le terrorisme ces violations sont légitimées. Certains États n’hésitent pas aussi à s’offrir les services de grandes sociétés privées spécialisées dans la conception de logiciel espion.

Le logiciel Pégasus de l’entreprise israélienne « NSO Group » dont les activités ont été signalées en Afrique de l’Ouest est encore présent dans les mémoires. Il est important que conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les droits qui bénéficient d’une protection hors ligne, bénéficient de la même protection en ligne. Autant les gens ont la liberté de s’exprimer en dehors d’Internet dans la vie courante, autant ils ont le droit de continuer à le faire en ligne tant qu’ils n’utilisent pas leur liberté d’expression pour appeler à la haine, à la discrimination raciale, à la violence ou à nuire aux droits et libertés des autres.

Pour finir, il faudra continuer de mettre la pression sur les entreprises du secteur de l’informatique, des multimédias et des réseaux sociaux et d’insister sur leurs obligations de de respecter les droits humains des utilisateurs des plateformes numériques. Les géants du numérique et les entreprises spécialisées dans le domaine de la technologie devraient s’assurer que leurs différentes solutions n’entravent pas la jouissance des droits fondamentaux de leurs utilisateurs. Elles devraient également s’assurer qu’un mauvais usage ne soit pas fait desdites solutions.

 

Quelle appréhension avez-vous du parrainage appliqué aux dernières élections présidentielles au Bénin au regard du droit à l’égal accès aux fonctions politiques et à la liberté de candidature ?

En tout cas c’est l’une des rares fois où des élections ont pu se tenir au Bénin sans véritable liesse populaire malgré les assurances du Chef de l’État au sujet de la participation de tout le monde à l’élection présidentielle. « Je vous promets, c’est un engagement que je prends, que les élections présidentielles à venir verront la participation de tout le monde. Inchalla, les FCBE iront aux élections. Les démocrates qui redoublent d’efforts depuis quelques jours auront leur récépissé et ils iront aux élections présidentielles s’ils le souhaitent. Si cela se passe ainsi, alors, nos élections au Bénin seront de nouveau, des moments de fête, et nous aurons ainsi gagné le pari des réformes politiques », avait soutenu le Président Patrice Talon en novembre 2020 à Nikki. Dans l’application des réformes politiques institutionnelles, l’on a pu constater que le pluralisme politique n’a pas été totalement au rendez-vous lors de la présidentielle d’avril 2021 au Bénin.

Il avait été demandé entre autres aux candidats de réunir au moins 16 parrainages de députés et ou maires alors même que sur 160 députés/maires parrains institués par la loi, 154, soit 96,25 % appartenaient à la majorité présidentielle. C’est la raison pour laquelle beaucoup de candidats crédibles ont été recalés, faute de n’avoir pas obtenu le nombre requis de parrains. Il ne faudrait également pas perdre de vue que la révision des lois électorales ayant conduit à l’instauration du parrainage en 2019 a été faite sans une implication de toutes les parties prenantes et que le maintien d’une telle législation ne pouvait générer que des frustrations et des mécontentements.

C’était donc normal de demander la suppression du parrainage ou du moins de l’amender en vue de permettre aux populations de pouvoir participer ou de prétendre gérer les affaires publiques de leur État et ce conformément aux instruments africains et onusiens de promotion et de défense des droits humains. La société civile béninoise l’avait rappelé en son temps à travers la campagne citoyenne « Laissez-moi choisir » où elle insistait sur la violation des droits civils et politiques des populations que constituait le parrainage dans sa conception béninoise. La suite nous la connaissons. Plusieurs dossiers ont été rejetés par la Commission électorale nationale autonome (CENA), des manifestations organisées à travers le pays et de nombreuses personnes poursuivies pénalement en justice. Cette situation aurait pu être évitée si la société civile avait été écoutée.

 

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