WATHI est allé à la rencontre de Nassirou Bodo, membre du directoire du Mouvement politique indépendant « Tous pour la République » au Niger. Dans cette première partie de l’entretien, il évoque la question de l’État de droit au Niger, sa lecture de la dernière élection présidentielle et les actions prioritaires du nouveau président.
Biographie
Nassirou Bodo est juriste publiciste de formation. Il a fréquenté la Faculté des Sciences économiques et juridiques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Pendant ses années universitaires, il a été militant actif de l’Union des étudiants nigériens à l’Université de Niamey (UENUN). Ancien militant de la société civile, il milite au sein du Mouvement politique indépendant » Tous Pour La République TPLR – Al Qibla ». Aux dernières élections générales au Niger, il a été candidat aux élections législatives.
Quelle appréciation faites-vous de l’État de droit au Niger ces dernières années ?
Pour ces dernières années, l’État de droit n’a pas atteint le niveau de qualité requise conformément à ses implications (la soumission de l’État et de ses entités au droit, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice et l’effectivité des droits et libertés fondamentaux des citoyens). Dans les faits, l’Etat de droit n’existe pas au Niger, substantiellement.
L’État de droit n’existe que dans nos discours, sur nos papiers et dans les cours donnés dans les amphithéâtres de nos facultés de Droit. Il reste un vœu, sinon un objectif pour lequel nous continuons à nous battre. D’ailleurs, l’indice de démocratie qui est une évaluation annuelle du niveau de démocratie des États, créée par le groupe de presse britannique, The Economist Group, a classé le Niger parmi les régimes autoritaires avec hélas une détérioration continue. Cette réalité, nous la vivons au Niger et dans ces conditions, on ne peut quand-même pas parler d’Etat de droit à mon avis.
Comment appréciez-vous la décision du président Issoufou de ne pas se représenter pour un troisième mandat comme l’ont fait certains présidents africains après deux mandats successifs ?
Vous savez, au Niger le président de la République avant d’entrer en fonction prête serment sur le livre saint de sa confession, en l’occurrence le Coran dans le cas du président Issoufou. Il a juré de respecter et de faire respecter la constitution qui lui interdit par ailleurs de se représenter pour un troisième mandat.
L’indice de démocratie qui est une évaluation annuelle du niveau de démocratie des États, créée par le groupe de presse britannique, The Economist Group, a classé le Niger parmi les régimes autoritaires avec hélas une détérioration continue
Je constate avec vous que sur ce point, il a respecté son serment. Cependant, il faut avoir le courage de reconnaître que cela ne fait pas de lui le démocrate dans l’âme qu’il clame et revendique çà et là. Au Niger, nous avons un précédent. C’est bien qu’il en est tiré les leçons pour s’éviter des ennuis à lui d’abord et au pays qui a tant souffert de sa mauvaise gouvernance qui n’a rien de démocratique.
La démocratie c’est beaucoup plus que ce que veut nous faire croire une certaine vulgate médiatique mise au service de l’image du président Issoufou à l’international avec une chasse aux prix, titres pompeux et autres égards de l’ordre de la vanité humaine. La preuve, il est champion en tout pendant que son pays est dernier sur des questions pourtant essentielles que sont la gouvernance démocratique et le développement humain.
Vous ne pouvez pas faire de l’essentiel de votre gouvernance un cimetière pour les droits fondamentaux et libertés des citoyens en passant votre temps à « inféoder » à votre bon vouloir toutes les institutions qui fondent la démocratie, à persécuter des opposants politiques et d’opinion, ainsi que des journalistes et à garantir une impunité absolue aux vôtres et vous proclamer en même temps démocrate.
Cette décision du président Issoufou n’est pas une avancée démocratique, mais juste un banal fait à mon avis. Décider de se conformer à la décision du peuple, de se conformer à sa volonté générale exprimée à travers les lois de la République notamment la Constitution, n’est pas un fait extraordinaire. La démocratie a une substance, vous ne pouvez pas la vider de sa substance et vous balader avec sa coquille pour espérer tromper tout le monde.
Quel est votre regard sur l’élection présidentielle qui vient de se dérouler au Niger ?
Mon regard est celui du citoyen qui a fini par comprendre que dans notre pays, tout comme un peu partout en Afrique, la démocratie ne vaut rien aux yeux des acteurs eux-mêmes ainsi qu’aux yeux de ceux qui nous ont vanté les vertus d’un tel système politique, d’un tel modèle politique.
Décider de se conformer à la décision du peuple, de se conformer à sa volonté générale exprimée à travers les lois de la République notamment la Constitution, n’est pas un fait extraordinaire
En effet, même si nous croyons et pensons encore en ce qui nous concerne, que la démocratie est le meilleur régime politique jusqu’à preuve du contraire, nous avons, à l’occasion de l’élection présidentielle qui vient de se dérouler au Niger, découvert que, même l’alternance démocratique transparente et pacifique vantée n’en est pas une en réalité, en témoignent les troubles et les contestations qui ont suivi la proclamation des résultats provisoires.
Il suffit pour s’en convaincre de voir le conditionnement par le clan au pouvoir ou disons la soumission à mesure, de toutes les institutions de la chaîne électorale dans le seul but d’assurer une succession au pouvoir, des seuls membres dudit clan qui n’a pas lésiné sur les moyens légaux comme illégaux à cet effet. Toute chose qui a rendu perceptibles même aux yeux des moins avertis, les contestations pour des motifs de fraudes de tout genre ayant émaillé les opérations de vote.
Cette élection a été aussi une opportunité pour nous de comprendre que, la communauté internationale n’est pas guidée par des principes d’objectivité. Elle ne se soucie guère de la démocratie et de ses valeurs avec ses missions d’observation en son nom qui la décrédibilisent davantage.
Il est bien malheureux de constater l’ingérence de certaines puissances extérieures telle que la France mais aussi le parti pris de certains chefs d’État qui se sont mis à féliciter le compétiteur déclaré provisoirement élu et contesté par l’autre candidat revendiquant également la victoire.
Ces félicitations, avant la validation ou l’invalidation des résultats provisoires par la Cour constitutionnelle, prouvent à suffisance que nos institutions ne valent rien. C’ est bien dommage et cela conforte les opposants dans leurs soupçons et accusations de partialité des institutions de la République et aggrave la méfiance des citoyens vis-à-vis de ces dernières.
En définitive, j’ai compris deux (02) choses à partir de ces élections :
- Que comme il est dit dans une citation attribuée à Joseph Staline, « les voix ne comptent pas, ce qui compte ce sont ceux qui comptent ces voix ». Donc finalement si tu disposes à ta guise de l’organe chargé d’organiser et de comptabiliser les voix, tu es assuré de remporter les élections;
- Que la démocratie est encore une illusion au Niger, voire en Afrique et que nous devons par conséquent continuer le combat pour son avènement effectif et substantiel.
Quels doivent être les chantiers prioritaires du nouveau président élu en termes de gouvernance politique ?
En tête des priorités, je pense que le nouveau président doit d’abord nous faire retrouver notre Nation aujourd’hui fracturée et sur ce plan je suis plutôt pessimiste. Les conditions d’organisation des élections ont radicalisé les positions des acteurs en présence qui ne se parlent plus et qui ne se font plus confiance. Or, rien de sérieux et d’important ne peut être réalisé dans une nation sans la confiance entre les fils et filles de cette dernière.
Les voix ne comptent pas, ce qui compte ce sont ceux qui comptent ces voix ». Donc finalement si tu disposes à ta guise de l’organe chargé d’organiser et de comptabiliser les voix, tu es assuré de remporter les élections
Le président élu doit se battre pour restaurer notre État dans sa dignité d’État souverain parce qu’il faut d’abord que nous existons en tant que nation puis État souverain pour attaquer les autres questions toutes aussi importantes, notamment sociales, économiques, environnementales etc.
Aujourd’hui, à l’interne comme à l’externe, notre État n’est plus souverain quoique disent les gouvernants actuels et leurs soutiens. Nous ne maîtrisons pas en termes de sécurité et de souveraineté, notre propre territoire. Il y a à l’intérieur de nos frontières, des citoyens qui payent leurs impôts à des groupes terroristes et autres bandits organisés qui règnent en maîtres dans des zones affectées par l’insécurité qui sévit depuis quelques années dans notre pays.
Mais ce dont on a le plus besoin aujourd’hui comme hier, reste et demeure la bonne gouvernance sous toutes ses formes, politique, sociale, économique etc. C’est en effet l’absence de bonne gouvernance qui a longtemps manqué et qui continue de manquer au Niger.
Comment appréciez-vous l’interruption de la connexion Internet à l’annonce des résultats du second tour de l’ élection présidentielle ?
Cette interruption d’Internet suite aux troubles ayant suivi l’annonce des résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle je la place sur la liste des actes de mauvaise gouvernance déjà en cours depuis une décennie dans ce pays. Aussi, je l’apprécie comme faisant partie de « l’inculture démocratique » de nos gouvernants actuels qui ont visiblement une vision figée de la démocratie, une vision pauvre et rétrograde de la démocratie.
En procédant à cette interruption, ils ont privé le peuple de la jouissance d’un des droits les plus fondamentaux dont les citoyens sont titulaires : Le droit à l’information. En effet, cet acte est révélateur de leur état d’esprit et le fond de ce qu’ils sont, des vrais dictateurs. C’est un réflexe de dictateur que de penser qu’en privant le peuple d’une de ces libertés on peut le contrôler.
Il y a à l’intérieur de nos frontières, des citoyens qui payent leurs impôts à des groupes terroristes et autres bandits organisés qui règnent en maîtres dans des zones affectées par l’insécurité qui sévit depuis quelques années dans notre pays
Le fallacieux motif tiré des troubles à l’ordre public, le énième du genre pour justifier des assauts systématiques contre nos libertés, n’aurait jamais servi d’argument à un démocrate pour priver tout un peuple de la jouissance d’un tel droit, un droit qui a selon Victor Hugo, la même valeur et la même importance que le droit de vote qui consacre le gouvernant démocratiquement élu.
L’interruption d’Internet nous a révélé également la faiblesse de notre État sous l’arrogance apparente de ses dirigeants. Si notre État, pour contenir les manifestations spontanées des mineurs pour la plupart, ne répondant à aucun mot d’ordre, a besoin de recourir à de tels procédés, alors il nous faut nous inquiéter pour notre sécurité collective. Et, cela doit amener nos autorités à être moins arrogantes et plus respectueuses du pacte social.
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