Dans cette deuxième partie de l’entretien, Madame Abarchi évoque la question de l’égalité entre homme et femme et aussi la participation politique des femmes au Niger.
Biographie : Titulaire d’un Doctorat en Droit privé de l’Université Cheikh Anta Diop du Sénégal, Balkissa Djibril Abarchi est la secrétaire générale adjointe de l’Association des femmes juristes du Niger (AFJN).
Entretien :
S’agissant de l’égalité entre homme et femme, quels sont aujourd’hui les avancées et les retards enregistrés dans ce domaine au Niger ?
Nous avons beaucoup avancé en termes de législation. Nous avons des textes qui consacrent des droits égaux à la femme et à l’homme. Le Niger est aussi partie à des conventions adoptées dans le cadre international, régional et communautaire qui reconnaissent des droits égaux à tous les genres. Au niveau national, la loi sur le quota constitue un premier pas vers cette égalité.
Nous dénotons aussi la création des institutions concourant à la jouissance des droits égaux à l’homme et à la femme. Par exemple, si on prend d’Agence nationale d’assistance juridique et judiciaire (ANAJJ), elle assure une assistance gratuite d’office aux femmes victimes de violences et aux enfants.
Quelle que soit la forme de violence, les femmes bénéficient de l’assistance d’un avocat. Nous avons avancé, mais il y a des difficultés dans l’application des textes pertinents. Un autre exemple que je peux donner au niveau de l’administration est l’ineffectivité de la loi sur le quota et le non-exercice des voies de recours disponibles pour dénoncer les violations constatées.
Nous avons constaté, dans la formation du nouveau gouvernement, une violation de la loi sur le quota, pour manquement au nombre requis de femmes
Lorsque les femmes arrivent à accéder aux instances de prise de décision, elles n’influencent pas le plus souvent les décisions publiques. Les choses n’ont pas beaucoup bougé sur ce plan. Cette situation pourrait être liée à notre contexte social qui ne favorise pas l’ascension des femmes à des postes à responsabilité.
Le plus souvent, les femmes ne semblent être engagées en politique que pour jouer des rôles de second plan ; elles ne sont pas promues à l’exercice des postes clés où les décisions majeures sont prises. Les postes de président sont généralement réservés aux hommes. Tout ce qui revient aux femmes au sein des partis politiques, ce sont les postes de secrétaire à l’organisation, des postes de secrétaires aux affaires féminines ou des postes d’adjoints.
Chaque fois que les décisions importantes sont à prendre, les femmes sont occupées à l’organisation des évènements ou sont occupées à préparer les repas. Les décisions se prennent à leur insu. C’est un sérieux problème qui fait que les femmes, déjà à la base des partis politiques, ne sont pas pleinement impliquées. Le second facteur explicatif est lié à la situation financière des femmes. Les femmes sont les plus pauvres. Elles n’ont pas accès au crédit facilement. L’autonomisation de la femme est au cœur de sa participation politique.
Il faut que les femmes soient autonomes pour qu’elles puissent efficacement participer à la chose politique. D’ailleurs, la pandémie de la COVID-19 a eu des conséquences sur la jouissance des droits de la femme et plus particulièrement les droits économiques, sociaux et culturels. Les restrictions imposées ont constitué un obstacle à beaucoup d’activités économiques qui contribuent à l’autonomisation des femmes.
Le plus souvent, les femmes ne semblent être engagées en politique que pour jouer des rôles de second plan ; elles ne sont pas promues à l’exercice des postes clés où les décisions majeures sont prises
A ces facteurs s’ajoute la domination masculine au sein des partis politiques. S’il y a des désignations à faire, il faut attendre minuit pour y procéder. C’est ce que les politiciens appellent « les réunions de minuit ». On sait que les femmes, à ce moment-là, sont rentrées chez elles. Ce n’est qu’à ce moment que les désignations politiques s’opèrent.
Comme je l’ai dit, on veut bien nommer des femmes ou désigner des femmes, mais si les concernées elles-mêmes ne semblent pas s’engager, il faudra chercher dans tous les sens pour trouver celles qui ont le profil recherché. La question du profil se pose toujours.
Si on regarde, par exemple, dans un ministère où on veut nommer comme directeur une femme ingénieur, on ne va pas prendre une femme sociologue pour la mettre à la place de l’ingénieur. On veut bien mettre des femmes, mais il se pose souvent la question du profil à remplir.
Comme je l’ai dit, au niveau social, il y a toujours cette domination masculine. L’homme est le chef de la famille. Donc la femme ne peut pas agir sans le consentement du frère, du mari ou du père. Cela est aussi un facteur handicapant une participation politique effective des femmes. Voilà, en tout cas de manière résumée, les quelques facteurs qui limitent en général les femmes dans la participation politique.
Puisqu’on parle de la participation des femmes dans le domaine politique, peut-on espérer voir une femme diriger le Niger dans les prochaines années ?
Pour voir une femme diriger le Niger dans les prochaines années, il faudrait que les femmes elles-mêmes prennent conscience du poids de leur responsabilité sur la société et sur la marche de la République. La politique du quota vise à pallier l’absence des femmes dans les instances de prise de décision. Maintenant que les femmes ont commencé à y accéder, elles doivent s’intéresser à la chose politique, comme les hommes. Il s’agit d’impliquer tout le monde dans la gestion de la chose commune.
Chaque fois que les décisions importantes sont à prendre, les femmes sont occupées à l’organisation des évènements ou sont occupées à préparer les repas
Elles sont des citoyennes à part entière. A ce titre, elles doivent se battre pour la jouissance des droits que les différents instruments juridiques reconnaissent à toutes et à tous, et à elles spécifiquement. Les questions de quotas et de discriminations positives doivent être dépassées. Il faudrait qu’elles se battent pour mériter une place dans la société.
Pour cela, il faut vraiment intensifier les actions de sensibilisation, de formation et aussi, à la base, l’éducation. Il faut que les femmes soient instruites. Il faut que les femmes aient des diplômes du niveau supérieur pour réellement prétendre aux mêmes aspirations politiques que les hommes.
Nous sommes dans une société qui n’est pas encore favorable à l’idée qu’une femme dirige toute une nation. Je pense néanmoins que la lutte n’est pas pour aujourd’hui. Elle a commencé et va continuer. Elle est loin de son aboutissement. Nous avons vu des femmes qui ont osé et des femmes qui se sont présentées à des échéances électorales même si elles n’ont pas été élues.
Si nous regardons ce qui se passe du côté du pays de Paul Kagamé, on voit bien qu’au Parlement il y a plus de femmes que d’hommes. Il faut donc une volonté politique. Un droit ne se donne pas ; il s’arrache. Si nous laissons ça à la volonté des uns, ils ne vont jamais l’appliquer de manière effective. Donc, il faut que les femmes se battent pour arracher leurs droits.
Quelle analyse faites-vous des mesures annoncées en faveur des femmes au lendemain des dernières élections présidentielles ?
Par rapport à l’engagement du Président de la République, j’estime qu’il est très tôt pour se prononcer là-dessus. Nous avons constaté, dans la formation du nouveau gouvernement, une violation de la loi sur le quota, pour manquement au nombre requis de femmes.
Nous sommes dans une société qui n’est pas encore favorable à l’idée qu’une femme dirige toute une nation
Par ailleurs, les pouvoirs publics ont tendance à limiter ce quota au seul gouvernement alors qu’il doit être élargi à beaucoup de postes électifs et nominatifs comme les gouverneurs, les préfets, les maires, les députés et les directeurs des administrations publiques.
Ce quota n’a pas été respecté. Or, le quota a été institué pour que les femmes puissent accéder aux instances décisionnelles. Certaines ont pu y accéder. Il faudrait songer à une parité désormais. Il faudrait changer le fusil d’épaule. Il va falloir que les associations féminines se montrent très actives. Le moment n’est pas au repos.
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