Dans cette première partie de l’entretien, Madame Abarchi fait un diagnostic de la situation des droits des femmes au Niger et les difficultés qui interviennent dans la défense des droits des femmes.
Biographie : Titulaire d’un Doctorat en Droit privé de l’Université Cheikh Anta Diop du Sénégal, Balkissa Djibril Abarchi est la secrétaire générale adjointe de l’Association des femmes juristes du Niger (AFJN).
Entretien :
En parlant des droits des femmes au Niger, nous nous rappelons du combat des femmes pionnières qui ont exigé et obtenu l’aboutissement de leurs revendications en 1990 à la veille de la tenue de la conférence nationale souveraine. Aujourd’hui le contexte politique, économique et culturel a beaucoup évolué, et les acquis d’hier ne répondent pas forcément aux enjeux actuels. Quels sont les nouveaux défis que les femmes devraient relever ?
Les femmes ont protesté en 1990 en raison de la désignation d’une seule femme au sein du comité préparatoire de la conférence nationale souveraine. Elles se sont battues et ont pu obtenir cinq postes. Suite à cette lutte, la journée du 13 mai, a été proclamée « Journée nationale de la femme » au Niger. Depuis lors, les femmes ont continué à se battre. Nous avons assisté à la naissance et à la multiplication des associations féminines et bien d’autres collectifs de femmes ont vu le jour.
Ces structures œuvrent dans le domaine de la prise en charge et de la protection des droits de la femme. Cette lutte a continué jusqu’à l’adoption de la loi sur le quota au courant de l’année 2000.
Les femmes, en fait, n’ont pas cessé de se battre. Et aujourd’hui, elles essaient d’occuper les instances de prise de décision. Ce constat est vraiment général. Les femmes, un peu partout et à tous les niveaux, essaient d’occuper des responsabilités politiques en fonction de ce que cette loi sur le quota permet.
Même si cette loi n’est pas très effective, les femmes ont quand même pris conscience des enjeux du moment et essayent d’occuper les instances décisionnelles afin d’influencer les décisions qui seront prises en ce qui concerne les questions de développement. En parlant de l’effectivité du quota, même dans la formation du gouvernement, il n’est pas respecté et c’est le constat qui se dégage dans la formation du gouvernement actuel. Pour les postes de commandement et autres responsabilités, le constat est amer. Sur les huit (8) gouverneurs des régions, il n’y a qu’une seule femme.
Quelles sont les atteintes les plus récurrentes aux droits des femmes au Niger et comment une association comme la vôtre œuvre-t-elle pour y apporter des solutions ?
Les atteintes aux droits des femmes sont vivaces. Nous assistons le plus souvent aux violences basées sur le genre qui comprennent notamment les viols, les coups et blessures volontaires, les violences morales sur tous les plans, l’accès à la terre, les conflits en matière de succession, la garde d’enfants, la répudiation et le défaut de versement de la pension alimentaire en cas de divorce avec des enfants à charge.
L’association des femmes juristes du Niger assiste les femmes victimes des violences conjugales, des femmes souffrant des problèmes de garde d’enfant, des questions d’abus de répudiation.
Notre association reçoit pratiquement tous les jours des femmes à son bureau d’écoute. Nous les écoutons, nous les conseillons en les orientant selon les spécificités des cas qui se présentent. Au cas où la situation exposée par la femme nécessite un procès, nous l’accompagnons généralement à travers les services d’un avocat. Nous sommes une association de juristes. Nous avons une centaine de membres et parmi nos membres, il y a des avocates.
En parlant de l’effectivité du quota, même dans la formation du gouvernement, il n’est pas respecté et c’est le constat qui se dégage dans la formation du gouvernement actuel. Pour les postes de commandement et autres responsabilités, le constat est amer. Sur les huit (8) gouverneurs des régions, il n’y a qu’une seule femme
Quand nous nous retrouvons avec des dossiers qui nécessitent une prise en charge judiciaire, Nous faisons appel à nos membres qui le font généralement gratuitement. Les financements que nous trouvons nous permettent de prendre en charge les frais de procédure et les frais d’avocats en cas de besoin. Si le cas de la femme ne nécessite pas une procédure judiciaire, nous tentons une conciliation.
Sur ces questions de violences basées sur le genre, notre association organise des formations dans les grandes villes comme dans les villages pour sensibiliser les femmes sur leurs droits ainsi que les voies de recours qui s’offrent à elles en cas de difficultés. Nous disposons des antennes régionales qui font pratiquement le même travail que nous. La seule différence est que, quand nous assistons à des cas très compliqués, Nous sommes saisis au niveau de notre siège national à Niamey pour que nous puissions intercéder et trouver une solution.
Par rapport à l’éducation des jeunes filles, il fut adopté récemment un décret en vue du maintien de la jeune fille en milieu scolaire. Dans le cadre de nos activités de sensibilisation dans le domaine éducatif, nous avons vulgarisé ce décret qui permet de maintenir les jeunes filles à l’école jusqu’à un certain niveau. L’objectif est d’éviter les mariages précoces ou toute situation pouvant affecter le cours normal de sa scolarité. Nous sommes aussi souvent saisis pour des dossiers concernant les questions de mariages précoces et forcés.
Quelles sont les difficultés qui peuvent limiter votre action de défense des droits des femmes ?
L’un des problèmes majeurs est lié à la mise en œuvre effective de la réglementation adoptée en la matière. Sinon sur le plan international, le Niger est partie à plusieurs instruments juridiques de protection des droits de la femme comme la CEDEF bien que l’État du Niger a émis des réserves qui tardent à être levées.
Ensuite, s’agissant des limites, il y a celles qui sont liées aux plaignants car on ne peut pas faire le bonheur de quelqu’un contre son gré. Nous avons l’habitude de recevoir des femmes victimes des coups et blessures qui sollicitent une assistance pour agir en justice contre le mari.
Dans le cadre de nos activités de sensibilisation dans le domaine éducatif, nous avons vulgarisé ce décret qui permet de maintenir les jeunes filles à l’école jusqu’à un certain niveau
Il arrive que des femmes nous sollicitent pour tenter une conciliation. Quand nous appelons la famille, elles prétendent qu’elles ne sont jamais passées au bureau d’écoute. Nous observons cette peur de se tourner vers des organes étrangers à la famille. C’est un problème qui freine notre action. Désormais, quand nous recevons une plaignante, nous lui faisons signer un engagement écrit.
Le deuxième problème auquel nous sommes confrontés est celui des moyens pour agir. Il faut aller vers les partenaires. Ca ne marche pas toujours. Nous sommes réellement limités par l’aspect financier. Alors, par rapport à nos actions, il y a le défi de l’effectivité des textes car ils ne sont pas suffisamment appliqués. Ceci constitue un handicap majeur à l’évolution, à la promotion et à la protection des droits des femmes.
Commenter