Auteur : Annemarie Middelburg
Organisation affiliée : UNFPA
Date de publication : Janvier 2018
Lien vers le document original
Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Les Mutilations Génitales Féminines (MGF) se caractérisent par l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins réalisée pour des raisons non médicales. Cette intervention est le plus souvent pratiquée par des praticien(ne)s traditionnels sur des filles entre l’enfance et l’âge de 15 ans.
Depuis de nombreuses années déjà, l’Union africaine (UA) déploie des efforts visant à éliminer les MGF. En 2003, l’Assemblée de l’UA a adopté le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo). Ce protocole est le seul instrument juridiquement contraignant relatif aux droits de l’homme et applicable en Afrique qui mentionne explicitement les MGF. Son article 5, « Élimination des pratiques néfastes », oblige les États parties à prendre toutes les mesures nécessaires, de nature législative ou autre, en vue de garantir l’élimination des MGF.
En Afrique de l’Ouest, de nombreux pays ont élaboré et commencé à mettre en œuvre des mesures et des réformes juridiques visant à prohiber ces pratiques. Plus récemment, en 2015, les gouvernements de la Gambie et du Nigéria ont adopté des lois criminalisant les MGF. Toutefois, on observe d’importantes variations en ce qui concerne l’efficacité de la mise en œuvre et de l’application de ces lois visant à lutter contre les MGF. Le défi consiste à élaborer, introduire et mettre en application une législation qui permette de contribuer au changement social, à terme, à l’abandon volontaire de cette pratique par des communautés.
Les mutilations génitales féminines dans les mécanismes internationaux des droits humains
- Les mutilations génitales féminines en tant que violation des droits humains
Dans le monde entier, les Mutilations Génitales Féminines constituent une pratique néfaste aujourd’hui reconnue comme une violation des droits humains et des libertés fondamentales des filles et des femmes. Ces droits sont codifiés dans plusieurs traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains, dont les suivants :
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
- Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
- Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte de Banjul)
- Convention relative aux droits de l’enfant
- Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant
- Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo)
- Charte africaine de la jeunesse
Lorsqu’un État accepte un traité par voie de ratification, d’adhésion ou de succession, il accepte d’être lié par les dispositions juridiquement contraignantes de ce traité, notamment les obligations de respecter, de protéger et de réaliser les droits qu’il définit. Par conséquent, les gouvernements ont le devoir de veiller à ce que, sur leur territoire, les filles et les femmes puissent exercer les droits humains définis dans le traité auquel leur pays est partie. Par exemple, l’article 5 du Protocole de Maputo prévoit que :
Les États interdisent et condamnent toutes les formes de pratiques néfastes qui affectent négativement les droits humains des femmes et qui sont contraires aux normes internationales. Les États prennent toutes les mesures législatives et autres mesures afin d’éliminer ces pratiques et notamment : […] b) interdire par des mesures législatives assorties de sanctions, toutes formes de mutilation génitale féminine, la scarification, la médicalisation et la paramédicalisation des mutilations génitales féminines et toutes les autres pratiques néfastes.
En d’autres mots, tous les États ayant signé et ratifié des traités relatifs aux droits humains portant sur l’élimination des MGF sont obligés de prendre des mesures pour prévenir et éliminer ces pratiques, notamment des mesures législatives visant à les interdire. En outre, les gouvernements peuvent être tenus responsables s’ils manquent d’agir en faveur de l’interdiction des MGF en prenant des mesures législatives ou autres visant à les éliminer.
- Recommandations des organes de surveillance des traités
La plupart des traités relatifs aux droits humains ont établi un comité d’experts indépendants, c’est-à-dire un organe de surveillance des traités (OST), dont le mandat consiste à vérifier que les États parties au traité le mettent en œuvre et s’y conforment. Ces dernières décennies, les OST au niveau des Nations Unies et de l’UA ont émis une pléthore de recommandations au gouvernement à propos des MGF et, plus particulièrement, du cadre juridique et politique relatif aux MGF. Ces recommandations peuvent être regroupées en trois catégories.
La première catégorie concerne les recommandations des OST aux gouvernements à propos des lois relatives aux MGF et de leur mise en œuvre, y compris les recommandations aux pays ne disposant pas de lois interdisant expressément les MGF. Plusieurs OST ont encouragé les gouvernements disposant déjà de lois et de politiques de lutte contre les MGF à les mettre en œuvre et les appliquer avec efficacité. D’autres recommandations exhortent les gouvernements à poursuivre et punir comme il se doit les auteurs des MGF, y compris les parents, et à indemniser les victimes. Enfin, les OST ont également recommandé aux États d’établir des mécanismes de signalement et de plainte.
La deuxième catégorie des recommandations émises par les OST porte sur la collaboration entre les différents ministères et une meilleure coordination des activités dans le domaine de l’élimination des MGF, y compris avec les pays voisins. À cet égard, des recommandations ont été émises aux gouvernements en vue de soutenir les institutions nationales de coordination, par exemple les comités nationaux contre les pratiques néfastes, et de fournir des ressources humaines, techniques et financières en quantité suffisante pour garantir l’application des lois interdisant les MGF.
Quant à la troisième catégorie de recommandations, elle exhorte les gouvernements à soutenir la police, les autres responsables de l’application des lois et le système judiciaire en ce qui concerne l’application de la législation interdisant les MGF.
- Recommandation de l’Examen périodique universel
L’Examen périodique universel (EPU) est un mécanisme unique établi en 2006 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il facilite l’examen du respect des obligations et des engagements de chaque État membre des Nations Unies en matière de droits humains, avec la pleine participation de celui-ci, et dans le l’objectif d’améliorer la situation des droits humains sur le terrain.
Il donne aux États examinés l’occasion de décrire les mesures qu’ils ont prises pour améliorer la situation des droits humains dans leur pays et de surmonter les obstacles qui empêchent leurs citoyens d’exercer pleinement leurs droits humains. Dans le cadre d’un dialogue interactif, les États membres des Nations Unies peuvent émettre des recommandations ou des observations, soulever des préoccupations et poser des questions aux États examinés sur des problèmes particuliers liés aux droits humains.
Les neuf pays étudiés ici ont tous été couverts deux fois par l’EPU. La question des MGF a fréquemment été soulevée au cours des deux cycles précédents de l’EPU. Au cours du premier cycle, un total de 211 recommandations ont été émises à propos des MGF, dont environ 120 portaient sur la révision, la promulgation et l’application de lois et de politiques.
Analyse des cadres juridiques nationaux relatifs aux mutilations génitales féminines
- Garanties constitutionnelles
L’article 2(a) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) impose aux États parties de condamner la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes et d’« inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes, si ce n’est déjà fait, et à assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés, l’application effective dudit principe ».
De plus, la Recommandation Générale numéro 28 de la CEDAW explique que les États « doivent faire en sorte, par voie d’amendement constitutionnel ou par d’autres moyens législatifs appropriés, que le principe de l’égalité entre femmes et hommes et le principe de la non-discrimination soient inscrits dans leur droit interne, qu’ils y aient une place prépondérante et qu’ils soient applicables ».
Les neuf pays étudiés dans le présent rapport ont reconnu les principes de non-discrimination et d’égalité dans leur constitution. (…) quatre pays (Guinée, Mali, Mauritanie et Sierra Leone) ont fusionné les deux principes de non-discrimination et d’égalité en une seule disposition de leur constitution, tandis que l’on retrouve deux dispositions distinctes dans la constitution des autres pays.
Il convient de noter que la constitution de Gambie contient une disposition spécifique (article 28) intitulée « Droit des Femmes », qui stipule que les femmes seront traitées avec un niveau de dignité complet et égal à celui des hommes et qu’elles ont le droit au même traitement que les hommes, y compris aux mêmes opportunités dans les activités politiques, économiques et sociales.
Aucune des constitutions des neuf pays étudiés ne protège expressément les femmes et les filles contre les MGF, comme c’est le cas, par exemple, au Ghana et en Éthiopie. Toutefois, la constitution sénégalaise interdit expressément les mutilations physiques dans son article 7 :
Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle notamment à la protection contre toutes mutilations physiques.
- Lois nationales contre les mutilations génitales féminines
Parmi les neuf pays inclus dans la présente analyse, seuls deux (le Mali et la Sierra Leone) ne disposent d’aucune loi nationale explicitement opposée aux MGF. La Guinée a été le premier pays à promulguer une loi contre les MGF dans son Code pénal de 1965, qui interdisait la mutilation génitale des hommes (castration) et des femmes (excision) et prévoyait la condamnation à perpétuité pour leurs auteurs (article 265). Bien qu’il ne s’agisse pas d’une disposition juridique spécifique ou d’une loi portant explicitement sur les MGF, ces pratiques sont interdites en Guinée depuis 1965. La plupart des autres pays africains ont élaboré et commencé à mettre en place des mesures juridiques criminalisant les MGF dans les années 1990.
La législation nationale du Burkina Faso, la Gambie, de la Guinée, de la Mauritanie, du Nigéria et du Sénégal ne précise pas si les MGF sont illégales, que les femmes et les filles y consentent ou non
La rédaction des textes législatifs selon un processus consultatif et participatif facilite et améliore considérablement l’efficacité de l’application des lois. Les neuf pays étudiés ici ont recouru à des processus consultatifs de portée et de forme variables pour formuler leurs lois nationales. Il existe deux manières de criminaliser les MGF au niveau national : introduire une nouvelle loi ou amender une loi existante.
Le Burkina Faso, la Guinée et le Sénégal ont amendé leur Code pénal pour y inclure des dispositions relatives aux MGF, tandis que la Gambie a amendé la Loi sur les femmes. Quant à la Mauritanie, elle a adopté un Code de protection de l’enfant en 2005, dont l’une des dispositions prévoit également l’interdiction des MGF (article 12). La Guinée-Bissau est le seul pays ayant adopté une loi distincte portant spécifiquement sur les MGF, en 2011.
Sur les sept pays ayant adopté une loi nationale contre les MGF, quatre interdisent également toute tentative de les pratiquer, à savoir le Burkina Faso, la Mauritanie, le Nigéria et le Sénégal. Les personnes prises en flagrant délit de tentative de MGF sont punies. La législation nationale du Burkina Faso, la Gambie, de la Guinée, de la Mauritanie, du Nigéria et du Sénégal ne précise pas si les MGF sont illégales, que les femmes et les filles y consentent ou non. Seule la loi no 14/2011 de Guinée-Bissau spécifie que la pratique des MGF « avec ou sans le consentement de la victime » est une infraction punissable. Cela signifie qu’en Guinée Bissau, même si la victime consent à être soumise à des MGF, l’auteur de celles-ci demeure passible de poursuites.
- Application des lois interdisant les mutilations génitales féminines
Le nombre de poursuites judiciaires liées aux MGF varie d’un pays à l’autre. Dans la plupart des pays, les mécanismes de signalement, d’orientation et de protection des femmes et des filles exposées au risque de MGF ne sont pas suffisamment opérationnelles. Toutefois, quelques pays (dont le Burkina Faso et la Guinée) ont mis en place une ligne téléphonique gratuite, disponible 24 heures sur 24, qu’il est possible d’appeler pour signaler anonymement les actes (prévus ou réalisés) de MGF, de mariage forcé ou de violence basée sur le genre. Ces appels aident les autorités compétentes à identifier les filles à risque, à prévenir les MGF, mais aussi à arrêter les contrevenants et leurs complices après avoir commis des MGF.
Au moment de la publication du présent rapport, des poursuites judiciaires contre des personnes ayant pratiqué des MGF avaient été engagées au Mali, en Gambie, au Sénégal, en Guinée, en Guinée-Bissau et au Burkina Faso. À ce jour, aucune affaire n’a été portée devant les tribunaux de la Mauritanie, du Nigéria et de la Sierra Leone. (…) une affaire a été portée devant les tribunaux Mali. En Gambie, deux poursuites liées aux MGF ont eu lieu depuis que l’adoption de la loi fin 2015, l’une d’entre elles ayant été engagée après le décès d’un bébé de cinq mois en conséquence de MGF, dans le village de Sankandi. À l’heure de la rédaction de la présente analyse, ces deux affaires étaient toujours en cours d’instruction.
Dans la plupart des pays, les mécanismes de signalement, d’orientation et de protection des femmes et des filles exposées au risque de MGF ne sont pas suffisamment opérationnelles
Huit affaires ont été portées devant les tribunaux du Sénégal, qui ont abouti à des condamnations de trois à six mois d’emprisonnement. On compte 29 et 37 affaires portées devant les tribunaux de Guinée et de Guinée-Bissau respectivement. C’est en 2012 que la première affaire liée aux MGF a été portée devant les tribunaux en Guinée, bien qu’elles y soient interdites par la loi depuis beaucoup plus longtemps.
Le tribunal de Mafanco à Conakry a condamné une femme âgée de 80 ans à une peine d’emprisonnement de deux ans avec sursis et une amende de 1 000 000 GNF (108 USD) après avoir été appréhendée en train de pratiquer des MGF sur une fille de 15 ans. En 2015, 14 poursuites judiciaires ont été signalées en Guinée, qui ont abouti à sept condamnations. En 2016, 11 poursuites ont été entamées en Guinée, aboutissant à deux condamnations.
En Guinée-Bissau, 37 affaires se sont traduites par 16 condamnations depuis 2011. Bien que la peine maximale pour actes de MGF soit relativement élevée en Guinée-Bissau (de deux à six ans d’emprisonnement), 13 contrevenants ont bénéficié d’une peine réduite (moins de deux ans) en raison de circonstances atténuantes. Trois contrevenants ont été condamnés à trois ans de prison. Des exciseurs et leurs complices ont été poursuivis en Guinée-Bissau. La plupart des poursuites judiciaires liées aux MGF ont été signalées au Burkina Faso. Entre 2009 et 2015, 223 affaires de MGF se sont traduites par la condamnation de 384 personnes (dont 31 exciseurs).
Commenter